L’Islande vient de déclarer qu’un phénomène climatique constitue désormais une menace directe pour sa sécurité nationale. Le pays craint l’effondrement d’un gigantesque système de courants océaniques dans l’Atlantique, dont dépend la douceur du climat européen. La décision demeure une première mondiale. Jamais un gouvernement n’avait officiellement reconnu un événement climatique précis comme un danger existentiel.
Un tapis roulant océanique en danger
Pour comprendre l’inquiétude islandaise, il faut imaginer l’océan Atlantique comme un immense tapis roulant qui transporte l’eau chaude du sud vers le nord. Ce système s’appelle l’AMOC (circulation méridienne de retournement atlantique). Il fonctionne comme une pompe naturelle : l’eau chaude des tropiques remonte vers l’Europe et l’Arctique en surface, se refroidit au contact de l’air glacial, devient plus dense et replonge vers les profondeurs avant de repartir vers le sud.
Chaque seconde, l’AMOC déplace 17 millions de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de 6 800 piscines olympiques, selon le Centre national britannique d’océanographie. La masse d’eau transporte une quantité colossale de chaleur vers l’Europe, expliquant pourquoi Paris bénéficie d’hivers bien plus doux que Montréal, pourtant située à la même latitude. Sans ce système, l’Europe du Nord ressemblerait climatiquement au Canada.
Or, la fonte accélérée des glaces du Groenland et de l’Arctique apporte de plus en plus d’eau douce froide dans l’Atlantique Nord. Cette eau douce devient moins dense et ne plonge donc pas aussi facilement en profondeur, ralentissant progressivement le mécanisme. C’est ce ralentissement qui inquiète les scientifiques.
Pourquoi l’Islande s’alarme
Pour l’Islande, les conséquences seraient dramatiques. « C’est une menace directe pour notre résilience et notre sécurité nationales », a expliqué Jóhann Páll Jóhannsson, ministre islandais du Climat. L’île redoute que la banquise bloque ses routes maritimes, que les conditions météorologiques extrêmes détruisent son agriculture et déciment ses pêcheries, deux secteurs vitaux pour nourrir sa population.
En désignant officiellement ce risque comme une menace sécuritaire, le gouvernement islandais a désormais la possibilité de coordonner tous ses ministères pour préparer le pays à stocker de la nourriture, à renforcer les infrastructures, à sécuriser l’approvisionnement en énergie, et planifier des solutions de secours pour les transports.
Un danger confirmé par les scientifiques
L’inquiétude de l’Islande n’est pas une exagération. En octobre 2024, quarante-quatre spécialistes du climat venus de quinze pays ont envoyé une lettre d’alerte aux gouvernements nordiques (Lettre ouverte .pdf). Leur message était assez clair. Le risque d’effondrement de l’AMOC a été largement sous-estimé et pourrait se produire dans les prochaines décennies.
Par ailleurs, une étude du PIK révèle également qu’un effondrement de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC) pourrait survenir dans un délai difficile à prévoir, entraînant des hivers glaciaux et un climat plus sec en Europe du Nord, même avec des scénarios d’émissions intermédiaires ou faibles.
Stefan Rahmstorf, océanographe à l’Institut de Potsdam en Allemagne, spécialisé dans l’étude du climat, a aussi prévenu dans une interview : « La science progresse rapidement, et le temps est compté pour agir car le point de basculement pourrait être imminent ». En clair, nous pourrions être très proches du moment où l’AMOC ne pourra plus fonctionner normalement.
Du 21 au 24 octobre 2025, soixante experts se sont réunis à Helsinki et Rovaniemi en Finlande lors de la « Semaine nordique des points de basculement » pour évaluer ce qui pourrait se passer concrètement si l’AMOC s’effondrait. Aleksi Nummelin, océanographe à l’Institut météorologique finlandais, a souligné un problème majeur lors d’une présentation à l’Université d’Helsinki : « Il existe de nombreuses recherches sur la probabilité de survenue d’événements spécifiques, mais il y a beaucoup moins d’informations concernant les conséquences sociétales réelles ». Autrement dit, on sait que le danger existe, mais on ne sait pas encore précisément comment s’y préparer.
Les autres pays commencent à réagir
L’Islande n’est pas seule à s’inquiéter. L’Irlande a déjà été informée de la situation au plus haut niveau gouvernemental, et le sujet a été abordé devant le Parlement le mois dernier, selon Iceland Review. La Norvège étudie actuellement la question avant de décider si elle doit également classer l’AMOC comme menace sécuritaire. Le Royaume-Uni, de son côté, investit plus de 81 millions de livres sterling dans des recherches pour mieux comprendre quand ces bouleversements climatiques pourraient se produire.
Si l’effondrement de l’AMOC frapperait surtout l’Europe du Nord avec des hivers beaucoup plus rigoureux, les répercussions toucheraient la planète entière. Les pluies dont dépendent des millions d’agriculteurs en Afrique, en Inde et en Amérique du Sud seraient perturbées, d’après la lettre des climatologues. L’Antarctique fondrait plus rapidement, et les côtes est des États-Unis verraient le niveau de la mer grimper d’un mètre supplémentaire, selon Stefan Rahmstorf.
Le 6 novembre 2025, lors de la conférence climatique COP30 au Brésil, des scientifiques de plus de trente universités ont publié un rapport alarmant sur l’état des glaces de la planète. Ils y révèlent que la glace de mer (Arctique et Antarctique combinés) a atteint son niveau le plus bas jamais mesuré le 7 février 2025, selon les satellites japonais JAXA qui surveillent les pôles.
Pour les gouvernements nordiques qui commencent à coordonner leurs réponses, la question n’est plus de savoir si l’AMOC va basculer, mais quand et s’ils auront agi suffisamment tôt pour protéger leurs populations des conséquences.
Source : Iceland Review













