Valérie Mignon, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Marc Joëts, IÉSEG School of Management
C’est bien connu : en économie, la parole compte, qu’il s’agisse d’un PDG de grande entreprise ou d’un responsable de banque centrale. Dire peut avoir un effet sur le réel. Qu’en est-il du marché pétrolier et de l’un de ses acteurs majeurs, l’Opep ? Quel pouvoir les mots des producteurs de pétrole exercent-ils sur les cours du brut ?
Chaque déclaration de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) est scrutée comme une parole d’or. Les pays membres de cette organisation représentent près de 40 % de la production mondiale et la majorité des réserves prouvées de pétrole. Cela fait de cette organisation un acteur incontournable du secteur. Ses annonces peuvent déclencher d’importantes variations des prix du baril, faire évoluer la facture énergétique des ménages et peser sur l’inflation mondiale.
Mais une question persiste : ces communiqués apportent-ils réellement de l’information sur le marché, ou ne sont-ils qu’un exercice de communication diplomatique destiné à préserver l’image de l’organisation ?
Les communiqués passés au crible
Pour répondre à cette question, nous avons mené une étude visant à analyser plus de 260 déclarations publiées par l’Opep entre 2002 et 2021. Dépassant la simple lecture descriptive de ces communiqués, nous avons utilisé des outils d’analyse textuelle (Structural Topic Models) afin de mettre en évidence les grands thèmes récurrents et leur évolution au fil du temps.
Cette approche révèle que les messages de l’Opep sont bien plus riches qu’on ne l’imagine. Certes, ils traitent régulièrement de prix et de quotas, mais ils couvrent aussi des sujets comme la croissance économique mondiale, la stabilité de la demande et les pénuries, la coopération entre pays et, de plus en plus, ces dernières années, la transition et les politiques énergétiques ainsi que le climat.
L’Opep ne se limite donc pas à parler volumes de production et nombre de barils : elle construit de véritables récits qui replacent ses décisions dans un cadre plus large, les reliant à des facteurs fondamentaux comme la demande mondiale, l’offre disponible ou l’incertitude économique.
Deux thèmes apparaissent comme étant particulièrement cruciaux : la capacité de production disponible et la cohésion entre les pays membres de l’organisation. Le premier est essentiel pour rassurer les marchés sur la possibilité de répondre à la demande. Le second est la clé de voûte de la crédibilité du message : une annonce de l’Opep n’a de portée que si l’organisation parvient à afficher une unité minimale.
Quand la parole apaise les marchés
En croisant ces discours avec des données financières afin d’en mesurer l’effet concret sur les marchés, le constat est frappant : les annonces de l’Opep réduisent la volatilité des prix du pétrole, en particulier sur les contrats à plus long terme.
Lorsqu’elle insiste sur sa capacité à maintenir la stabilité en rassurant sur ses capacités de production ou lorsqu’elle met en avant la coopération entre ses membres, l’organisation parvient à calmer les marchés. Ainsi, même sans toucher aux robinets, l’Opep remplit une des missions principales qu’elle affiche : stabiliser le marché pétrolier.
Tous les acteurs ne réagissent cependant pas de la même manière. Les acteurs physiques – producteurs, raffineurs, industriels – ajustent leurs positions lorsque l’Opep évoque la croissance économique ou la demande. Les investisseurs financiers, eux, sont davantage sensibles aux signaux liés à l’offre et aux politiques énergétiques. Cette différence met en évidence des interprétations de ces communiqués selon les prismes et les intérêts des uns et des autres. Dans tous les cas, un mot revient, apparaissant comme décisif : coopération.
Lorsque l’Opep affiche son unité, sa parole est crédible. En revanche, si des divergences entre pays membres apparaissent, les annonces de l’organisation perdent de leur impact et de leur efficacité.
Une influence renforcée en période de crise
L’effet stabilisateur de la communication de l’Opep est encore plus marqué en période de crise. Lors de la crise financière de 2008 ou de la pandémie de Covid-19, les signaux envoyés par l’organisation ont joué un rôle essentiel pour orienter les anticipations des investisseurs. En période de forte incertitude, les marchés se fient davantage aux annonces publiques ; investisseurs et industriels cherchent, en effet, une boussole, et la parole de l’Opep leur offre un point de repère.
Même lorsque ses décisions de production étaient difficiles à appliquer dans un contexte de désorganisation, l’Opep a pu limiter la panique par le simple poids de ses annonces. Ces épisodes montrent que sa communication constitue un instrument à part entière de gestion des marchés, parfois aussi important que les choix de production eux-mêmes.
Pourquoi cela importe aujourd’hui
Nos recherches montrent ainsi que les communiqués de l’Opep ne sont pas de simples discours politiques. Ils constituent un signal crédible, capable de réduire la volatilité et d’orienter les décisions des investisseurs comme des industriels.
Derrière les mots, l’Opep détient donc une arme puissante, même si elle n’est pas très visible : la capacité de stabiliser les marchés sans produire un seul baril de plus. Ce pouvoir souligne l’importance de sa communication comme instrument de politique énergétique internationale.
À l’heure où la transition énergétique s’accélère et où le prix du brut reste volatil, comprendre les messages de l’Opep est plus que jamais essentiel pour anticiper les mouvements du pétrole et, plus largement, pour saisir les équilibres de l’économie mondiale.
Valérie Mignon, Professeure en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Marc Joëts, Profressor of Finance and Machine Learning, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.