La panne d’électricité généralisée du 28 avril 2025 en Espagne et au Portugal a fait l’objet d’un rapport rédigé par le Groupe d’experts en enquêtes de l’Incident Classification Scale (ICS) mandaté par ENTSO-E. Le document retrace, seconde par seconde, la cascade de déconnexions et la montée de tension qui ont provoqué l’arrêt total du système ibérique. Qualifié d’« incident le plus grave qu’ait connu le réseau européen depuis plus de deux décennies » , il met en lumière les failles qui ont plongé près de 60 millions de personnes dans le noir. Ses conclusions obligent désormais les exploitants européens à revisiter en profondeur la résilience de leurs réseaux face aux phénomènes de surtension.
Un effondrement en quelques secondes
La matinée du 28 avril s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices. À 12h30, selon les données de Red Eléctrica de España, le réseau espagnol disposait d’une capacité largement suffisante avec 32 gigawatts de production pour une demande de 25 gigawatts. Plus de la moitié de cette électricité provenait de l’énergie solaire, et les prix étaient même légèrement négatifs. L’Espagne exportait alors simultanément vers le Portugal, la France et le Maroc.
Pourtant, en l’espace de cinq secondes à peine, tout a basculé. Une sous-station dans la province de Grenade a connu une défaillance initiale, déclenchant une réaction en chaîne dans les provinces de Badajoz et Séville. La connexion avec la France s’est découplée à 12h33, et les systèmes de surveillance automatique ont enregistré une chute brutale de la production. Ce qui rend cet événement véritablement exceptionnel, c’est sa nature : une succession de déconnexions de générateurs accompagnée d’augmentations de tension, un phénomène jamais observé auparavant dans le réseau synchrone de l’Europe continentale.
Une enquête d’une ampleur inédite
Conformément au règlement (UE) 2017/1485, ENTSO-E a constitué, le 12 mai 2025, un panel de 45 experts issus des gestionnaires de réseaux de transport, des autorités réglementaires nationales et de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER). L’investigation suit la méthode ICS en deux phases. Une collecte des données pour l’établissement d’un rapport factuel, puis une analyse approfondie des causes et enfin les recommandations possibles.
L’investigation s’est heurtée à des défis considérables, notamment dans la collecte de données auprès de plusieurs gestionnaires de réseaux de distribution et compagnies de production en Espagne. Le rapport factuel publié par le Groupe d’experts en enquêtes ICS décrit méticuleusement les conditions du réseau le 28 avril, depuis 9h00, et détaille le processus de restauration qui a suivi.
Des oscillations précoces ignorées
L’un des éléments troublants révélés par l’enquête concerne les oscillations forcées observées dès 12h05 dans le sud de l’Espagne, soit près d’une demi-heure avant l’effondrement total du système. Les experts ont analysé les contre-mesures prises pour les atténuer, mais ces interventions se sont révélées insuffisantes pour empêcher la catastrophe. La séquence d’événements soulève par conséquent des questions majeures sur la capacité des opérateurs à détecter et réagir aux signaux précurseurs dans un contexte de forte pénétration des énergies renouvelables.

Le rapport du Groupe d’experts en enquêtes ICS souligne que cette coupure représente l’incident le plus grave du système électrique européen depuis plus de vingt ans, avec des répercussions majeures sur les citoyens et la société ibériques. Les conséquences ont été dramatiques : dysfonctionnements des télécommunications, paralysie des systèmes de transport, perturbation des services d’urgence. Au moins huit personnes auraient perdu la vie dans des circonstances liées à la panne, victimes d’incendies de bougies ou d’émanations de générateurs.
L’avenir de la sécurité énergétique européenne
Le rapport publié le 3 octobre par le Groupe d’experts en enquêtes ICS n’est que la première étape d’une investigation de grande envergure. Ce rapport factuel sera suivi d’un rapport final, attendu pour le premier trimestre 2026, qui devra apporter une analyse approfondie des événements du 28 avril, établir les causes profondes de l’incident et inclure des recommandations pour améliorer la résilience du système électrique européen.
Les experts s’intéresseront particulièrement à cette cascade de déconnexions de générateurs et d’augmentations de tension comme déclencheur le plus probable de la panne. Si cette hypothèse se confirme, ce mode de black-out par haute tension nécessitera une analyse exhaustive de la part de tous les experts du réseau électrique de la communauté ENTSO-E. L’événement posera également la question de l’obsolescence partielle des infrastructures électriques face à l’intégration massive des énergies renouvelables intermittentes.
Lire le rapport : « Grid Incident in Spain and Portugal on 28 April 2025 » (.pdf)