Trois physiciens américains, John Clarke, Michel H. Devoret et John M. Martinis, reçoivent le prix Nobel de physique pour avoir démontré dans les années 1980 que des effets quantiques pouvaient se manifester dans des circuits électriques de taille macroscopique. Leurs expériences pionnières avec des jonctions Josephson ont ouvert la voie aux technologies quantiques de nouvelle génération. L’Académie royale des sciences de Suède a salué lundi ces travaux qui continuent de transformer notre compréhension de la frontière entre monde quantique et monde classique.
Des particules qui traversent les murs, à l’échelle d’une main
La question peut sembler abstraite, mais elle hante les physiciens depuis près d’un siècle. Jusqu’où peut-on pousser les dimensions d’un système tout en conservant ses propriétés quantiques ? L’intuition commune voudrait que ces phénomènes étranges demeurent confinés au royaume de l’infiniment petit. Les lauréats ont réussi à démontrer que des circuits électriques suffisamment grands pour tenir dans la paume de la main pouvaient exhiber un comportement pleinement quantique.
Entre 1984 et 1985, les 3 scientifiques ont conçu une série d’expériences sophistiquées autour de circuits supraconducteurs, ces matériaux capables de transporter un courant électrique sans la moindre résistance. Leur installation reposait sur ce qu’on appelle une jonction Josephson, deux composants supraconducteurs séparés par une mince couche isolante. En ajustant minutieusement tous les paramètres de leur montage, ils ont pu observer et contrôler les phénomènes qui émergeaient lorsqu’un courant traversait le circuit.
Un système macroscopique qui se comporte comme une seule particule
L’exploit réside dans ce que les chercheurs ont réussi à créer. Un ensemble de particules chargées circulant dans le supraconducteur qui se comportait collectivement comme une particule unique remplissant l’intégralité du circuit. Ce système macroscopique se trouvait initialement dans un état où le courant circulait sans tension électrique, prisonnier de cet état comme derrière une barrière infranchissable. Pourtant, le système parvenait à s’échapper de cet état de tension nulle par effet tunnel, ce processus quantique qui permet à une particule de traverser un obstacle qu’elle ne devrait pas pouvoir franchir !
La Royal Swedish Academy of Sciences, dans son communiqué, souligne que les lauréats ont également démontré que ce système suivait fidèlement les prédictions de la mécanique quantique en exhibant une quantification. Il n’absorbait ou n’émettait que des quantités spécifiques et discrètes d’énergie, signature caractéristique du monde quantique. « Il est merveilleux de célébrer comment la mécanique quantique centenaire continue à offrir de nouvelles surprises. C’est aussi extrêmement utile, car la mécanique quantique est le fondement de toute la technologie numérique », a déclaré Olle Eriksson, président du Comité Nobel pour la physique.
Des applications qui façonnent déjà notre quotidien
Les implications de ces travaux dépassent largement le cadre théorique. Les transistors qui peuplent les microprocesseurs de nos ordinateurs constituent déjà un exemple de technologie quantique établie qui nous entoure au quotidien. Mais selon le Comité Nobel, ce prix ouvre surtout des perspectives pour le développement de technologies quantiques de prochaine génération comme la cryptographie quantique pour des communications inviolables, les ordinateurs quantiques aux capacités de calcul révolutionnaires, et les capteurs quantiques d’une sensibilité inégalée .
Les trois lauréats partagent un parcours ancré dans les grandes universités américaines. John Clarke, né en 1942 à Cambridge au Royaume-Uni et diplômé de l’université de Cambridge en 1968, est professeur à l’université de Californie à Berkeley. Michel H. Devoret, parisien d’origine né en 1953, a obtenu son doctorat à l’université Paris-Sud en 1982 et enseigne à Yale University et à l’université de Californie à Santa Barbara. John M. Martinis, né en 1958 et titulaire d’un doctorat de Berkeley en 1987, est également professeur à l’université de Californie à Santa Barbara. Ils se partageront équitablement le montant du prix, soit 11 millions de couronnes suédoises, précise le communiqué .
Une fenêtre vers l’infiniment grand quantique
Ces expériences menées il y a quatre décennies sur de minuscules puces électroniques ont posé les jalons conceptuels et techniques qui permettent aux chercheurs de nos jours de manipuler des états quantiques à des échelles toujours plus grandes, repoussant sans cesse la frontière entre le microscopique et le macroscopique. L’attribution de ce Nobel rappelle que certaines découvertes fondamentales mettent parfois plusieurs décennies avant de révéler pleinement leur potentiel technologique et leur portée scientifique.
Source : Nobel Prize