Xia (Alice) Zhu, Memorial University of Newfoundland; Chelsea Rochman, University of Toronto et Matthew Mazloff, University of California, San Diego
La pollution plastique ne se contente pas de flotter dans l’océan : elle est également absorbée par la faune marine. De nouvelles recherches estiment que les populations de tortues vertes femelles abritent, à elles seules, six tonnes de déchets plastiques.
Des milliers – voire des millions – de tonnes de plastique entrent chaque année dans les océans, mais leur destination est mal connue. Quelle est leur destination finale ? Comment se répartissent dans l’océan ? C’est une question encore mal comprise.
Depuis des années, les chercheurs s’efforcent d’assembler les pièces du puzzle. Pour cela, ils estiment la quantité de plastique que l’océan peut abriter en surface, ou encore dans la colonne d’eau et dans les profondeurs de l’océan. Mais dans ces calculs, les animaux marins sont trop souvent négligés.
Tous les animaux peuvent être des réservoirs de pollution plastique. Mais pour illustrer à quel point la pollution plastique océanique peut être facilement stockée par la faune marine, nous avons pris les tortues de mer comme étude de cas.
Les tortues de mer ingèrent des débris de plastique de formes et de tailles diverses. Par exemple, des granulés plastiques, de la mousse, des sacs en plastique, des morceaux de bâches en plastique, du matériel de pêche et des emballages alimentaires. Leur ingestion peut avoir toute une série d’effets négatifs, comme conduire les animaux à mourir d’inanition, à s’amaigrir ou encore provoquer des lésions de la muqueuse intestinale. Les tortues de mer peuvent également s’empêtrer dans des filets et cordes en plastique. https://www.youtube.com/embed/ZaQ_AqiKz-w?wmode=transparent&start=0 Vidéo sur l’impact de la pollution plastique sur les tortues de mer.
Une espèce vulnérable
Nous nous sommes intéressés aux tortues de mer parce que nous savons qu’elles sont affectées par les plastiques et qu’elles sont particulièrement vulnérables aux changements globaux qui touchent l’océan. Six des sept espèces de tortues de mer sont classées comme vulnérables, en danger ou en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Pour estimer la quantité de plastique qui reste dans les tortues de mer, nous avons construit un modèle qui se base sur les données disponibles sur l’ingestion de plastique par les tortues de mer ainsi que sur plusieurs facteurs supplémentaires que nous soupçonnons de prédire la quantité de plastique ingérée par une tortue. Il s’agit de facteurs géographiques, socio-économiques et écologiques.
Nous avons estimé la taille de ce réservoir global pour les tortues vertes (Chelonia mydas) femelles, car c’est pour ce groupe que l’on disposait du maximum de données.
Nous estimons qu’à tout moment, on peut trouver environ six tonnes de déchets plastiques dans la population de tortues vertes femelles. Cela équivaut approximativement à la quantité de déchets plastiques que contient un camion à ordures.
Sur la base de ces résultats, nous avons évalué qu’une seule tortue verte pouvait contenir jusqu’à 26,4 grammes de plastique en moyenne, soit l’équivalent de la masse de 10 balles de ping-pong.
Comment prédire l’ingestion de plastique
Le lieu de vie des tortues a également son importance. Nous avons constaté que les tortues de mer qui s’alimentent près de l’équateur sont plus susceptibles que les autres d’accumuler des déchets plastiques. En outre, les tortues qui s’alimentent à proximité de pays au statut socio-économique moins élevé sont susceptibles de manger plus de plastique, le statut socio-économique étant lié à la gestion des déchets.
Nous avons également constaté que des caractéristiques propres à chaque espèce de tortue, notamment la taille du corps et la stratégie de recherche de nourriture (où et comment une tortue identifie et récupère la nourriture) pouvaient également jouer un rôle.
Par exemple, les tortues caouannes) sont carnivores et se nourrissent en haute mer pendant les sept à quinze premières années de leur vie, avant de migrer vers les zones côtières proches du rivage.
En revanche, les tortues luths passent la majeure partie de leur vie en haute mer et se nourrissent de proies à corps mou, notamment de méduses et de salpes). Il leur est donc facile de confondre les plastiques avec de la nourriture.
Les tortues vertes, quant à elles, se nourrissent principalement d’algues et d’herbes marines et ne passent que trois à cinq ans en haute mer avant de se déplacer vers des zones côtières peu profondes où elles restent jusqu’à la fin de leur vie.
Ces différences de comportement et de taille entre les différentes espèces de tortues de mer influencent la façon dont elles sont exposées aux débris de plastique et la quantité de plastique qui peut entrer dans leur estomac.
Il est important de comprendre les facteurs qui prédisent l’ingestion de plastique pour déterminer quelles sont les espèces les plus menacées. Nous avons ainsi constaté que les tortues luths ont la plus grande propension à ingérer des débris de plastique.
Les perspectives futures
Les tortues de mer subissent de plein fouet les problèmes qui touchent les océans, et nos déchets plastiques font partie du problème. La quantité relativement constante de plastique que l’on retrouve chez les tortues de mer soulève des questions sur les risques associés.
Dans le cadre de notre étude, l’étape suivante consiste à essayer de comprendre
si la quantité de plastique stockée diffère en fonction des espèces animales. Quelle est la quantité totale stockée dans les animaux marins du monde entier à un moment donné ?
Se pose une question supplémentaire : les tortues de mer et les animaux marins en général pourraient-ils transporter des déchets de plastique lors de leurs déplacements, agissant ainsi comme des « tapis roulants » de plastique dans l’océan ?
Un appel à l’action
Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de plus de données sur les tortues de mer et les autres espèces. Nous appelons à une surveillance accrue des tortues marines afin d’améliorer les modélisations et d’améliorer la qualité de l’information quant aux risques associés. Nous appelons également à une surveillance plus poussée des autres espèces et recommandons de normaliser la façon dont sont enregistrées les données, ainsi que d’améliorer leur transparence.
Nous espérons que nos résultats démontrent la valeur de la surveillance pour combler les lacunes dans nos connaissances sur le cycle du plastique dans l’environnement. Ces connaissances pourraient à leur tour contribuer à l’élaboration du traité mondial sur la pollution plastique.
Nous espérons également que ce travail pourra fournir une base à des actions directes pour mieux protéger les tortues de mer des effets du plastique et à réduire la quantité de plastique qui entre dans l’océan.
Xia (Alice) Zhu, Banting Postdoctoral Fellow, Ocean Sciences, Memorial University of Newfoundland; Chelsea Rochman, Assistant Professor of Ecology and Evolutionary Biology, University of Toronto et Matthew Mazloff, Researcher, Scripps Institution of Oceanography, University of California, San Diego
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.