Les chercheurs explorent de nouvelles frontières en physique quantique en utilisant des ingrédients du quotidien. Une équipe internationale dirigée par l’Université d’Ottawa a développé une méthode novatrice combinant matière organique et lumière pour créer des états quantiques, ouvrant la voie à des applications potentielles dans divers domaines technologiques.
Le professeur Jean-Michel Ménard, responsable du groupe de spectroscopie térahertz ultrarapide à la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa, a coordonné une collaboration internationale visant à concevoir un dispositif capable de modifier efficacement les propriétés des matériaux en utilisant la superposition quantique avec la lumière.
L’équipe de recherche, composée de scientifiques de l’Université d’Ottawa, du Max Planck Institute for the Science of Light en Allemagne et d’Iridian Spectral Technologies à Ottawa, a mis au point une approche originale pour explorer les phénomènes quantiques.
Une métasurface au cœur du dispositif
Le dispositif conçu par les chercheurs repose sur un résonateur planaire bidimensionnel, également appelé métasurface. Cette structure sophistiquée a été conçue pour capturer la lumière de manière efficace.
Une fois la métasurface créée, les scientifiques ont appliqué une fine couche de glucose sur sa surface en utilisant une technique de revêtement par pulvérisation. Cette étape cruciale a permis d’induire une forte interaction entre la lumière et les molécules de glucose présentes dans le sucre.
Vers l’exploitation des propriétés quantiques
Le concept développé par l’équipe internationale rapproche les chercheurs de la capacité technologique d’exploiter certaines des propriétés uniques des systèmes quantiques se trouvant dans un état hybride de lumière et de matière.
Les professeurs Ksenia Dolgaleva et Robert Boyd de la Faculté des sciences ont contribué à ces travaux aux côtés du professeur Ménard, auteur principal de l’étude.
Cette avancée dans le domaine de la physique quantique ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de technologies basées sur les propriétés quantiques de la matière. Les applications potentielles de cette recherche pourraient s’étendre à des domaines tels que l’informatique quantique, les communications sécurisées ou encore les capteurs de haute précision.
La capacité de manipuler les états quantiques à l’aide de matériaux organiques courants et de lumière pourrait également conduire à des innovations dans le domaine des matériaux intelligents et des dispositifs optoélectroniques avancés.
Question : Qu’avez-vous cherché à faire et qu’avez-vous trouvé ?
Jean-Michel Ménard : « Nous présentons une technique innovante et efficace pour synthétiser des matériaux organiques quantiques en combinant la lumière et la matière. Lorsque la lumière dans la région de l’infrarouge lointain – à des fréquences térahertz (THz) – est piégée dans un matériau organique, elle peut fusionner avec des molécules, ce qui donne lieu à un état quantique présentant des propriétés uniques qui suscitent un intérêt croissant en raison de leur application potentielle à la modification des propriétés physiques et chimiques de la matière. Ces états intrigants n’apparaissent que dans des conditions spécifiques. Notre équipe a identifié ces conditions critiques et a créé un « piège photonique » ou un dispositif permettant de confiner efficacement la lumière dans un espace de petit volume pendant une durée substantielle. Ce piège permet d’établir un régime de couplage fort entre la lumière et un ensemble moléculaire« .
« Contrairement aux approches précédentes qui reposaient sur des cavités optiques constituées de deux miroirs en vis-à-vis, nous avons conçu et testé un résonateur planaire bidimensionnel connu sous le nom de métasurface. Cette métasurface permet effectivement le confinement optique dans une géométrie plane, ouvrant de nouvelles voies pratiques pour explorer le régime quantique des interactions fortes entre la lumière et la matière.«
« Enfin, nous avons combiné des métasurfaces avec des géométries de cavités traditionnelles pour former des architectures de cavités hybrides et nous avons observé une amélioration de la force de couplage entre la lumière et la matière. Ces résultats sont démontrés avec le glucose, un composé organique dont les propriétés sont utiles dans les domaines de la biologie et de la médecine. »
Q : Pourquoi utiliser la lumière THz et le sucre ?
Jean-Michel Ménard : « La lumière térahertz est particulièrement intéressante parce qu’elle peut induire des vibrations dans de nombreuses molécules, y compris les molécules de glucose dans le sucre. L’énergie de vibration des molécules est intimement liée à leurs propriétés, notamment leur capacité à s’engager dans des réactions chimiques avec d’autres molécules. Par conséquent, en concevant des plates-formes permettant un couplage fort entre la lumière térahertz et la vibration des molécules, qui sont des éléments fondamentaux des substances organiques, nous avons la possibilité de modifier leurs propriétés pour éventuellement contrôler les mécanismes qui sont à la base de la vie.«
Q : Qu’avez-vous finalement découvert grâce à vos recherches ?
Jean-Michel Ménard : « Nous avons découvert des approches efficaces pour coupler la lumière térahertz et la matière. Le concept le plus prometteur est basé sur une surface métallique structurée, la métasurface, incorporée dans la conception d’une cavité photonique. La lumière est ainsi doublement piégée et reste étroitement confinée à l’intérieur du dispositif.«
« Notre plateforme robuste prête à l’emploi permet d’insérer potentiellement de nombreux matériaux organiques à l’intérieur de ce dispositif pour créer des systèmes quantiques dotés de nouvelles propriétés. En effet, aucun alignement précis du dispositif n’est nécessaire pour piéger la lumière, cette condition critique étant essentiellement remplie par la géométrie du motif métallique de la métasurface.Il est intéressant de noter qu’il existe des techniques de fabrication évolutives pour fabriquer des métasurfaces interagissant avec la lumière térahertz. Nous pensons que ces dispositifs pourraient être utilisés assez rapidement pour des applications réelles de réactions chimiques améliorées par des éléments quantiques« .
Q : Quel impact cette recherche peut-elle avoir ?
Jean-Michel Ménard : « Ces résultats nous rapprochent de la possibilité technologique d’exploiter certaines des propriétés uniques des systèmes quantiques constitués d’un état hybride de lumière et de matière. En réalisant une étude théorique et expérimentale systématique de différents types de résonateurs photoniques, nous avons découvert de nouveaux modèles de résonateurs photoniques capables de créer une superposition quantique entre un matériau moléculaire, le glucose, et la lumière dans une région spécifique de la fenêtre spectrale de l’infrarouge lointain appelée région térahertz. Des travaux antérieurs ont démontré que ce processus d’hybridation, lorsqu’il implique la lumière térahertz, modifie les propriétés physiques et chimiques originales du matériau. Par exemple, la présence d’un résonateur photonique peut modifier la vitesse de certaines réactions chimiques impliquant ce matériau.«
« À l’avenir, nous pensons que cette approche pourrait contribuer à réguler certains processus moléculaires, ce qui permettrait d’envisager des applications médicales pour des diagnostics rapides et, potentiellement, de nouvelles stratégies thérapeutiques.«
Article : « Hybrid architectures for terahertz molecular polaritonics » – DOI: 10.1038/s41467-024-48764-6
Légende illustration : Schéma d’une architecture de cavité hybride permettant d’obtenir un couplage lumière-matière efficace.