Les collisions de noyaux atomiques lourds révèlent les secrets de la matière fondamentale. Une étude novatrice explore les propriétés du plasma de quarks et de gluons, ouvrant de nouvelles perspectives sur la structure de l’univers primordial.
Lorsque des noyaux atomiques lourds entrent en collision à haute énergie, un phénomène remarquable se produit. Une soupe fluide composée des constituants fondamentaux de la matière visible, les quarks et les gluons, est créée. Les physiciens ont longtemps été intrigués par les propriétés de ce fluide, notamment sa viscosité exceptionnellement basse.
Une équipe de théoriciens a récemment mené la première étude systématique visant à comprendre l’évolution de la viscosité de ce fluide sur une large gamme d’énergies de collision. Les chercheurs ont pris en compte les changements qui se produisent lorsque les noyaux en collision se traversent mutuellement, offrant ainsi une perspective plus complète du phénomène.
Densité baryonique nette et viscosité
Les calculs effectués par les scientifiques ont conduit à une prédiction fascinante : la viscosité du fluide augmente avec la densité baryonique nette. Cette dernière représente l’abondance relative des baryons (particules composées de trois quarks, comme les neutrons et les protons des noyaux en collision) par rapport aux antibaryons (produits lors de la collision).
L’analyse a permis de déterminer les meilleurs paramètres pour ajuster de nouvelles simulations aux données expérimentales issues de collisions de noyaux d’or à différentes énergies. Bien que la prédiction d’une viscosité accrue avec l’augmentation de la densité baryonique nette soit en accord avec certaines prévisions théoriques, elle ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique.
Les chercheurs envisagent d’utiliser ce cadre théorique pour intégrer des données supplémentaires provenant d’une gamme étendue d’énergies de collision. Ces simulations élargies ne se limiteront pas à fournir des informations sur les viscosités, mais offriront également des données sur l’ensemble du diagramme de phase de la matière nucléaire.
Ce diagramme de phase est un outil précieux qui cartographie les variations de la matière nucléaire entre les états solide, liquide, gazeux ou plasma en fonction de la température et de la densité baryonique. Son étude approfondie permettra aux physiciens de mieux comprendre les transitions de phase de la matière nucléaire dans des conditions extrêmes.

Une approche multidimensionnelle innovante
Les travaux réalisés combinent des simulations de dynamique des fluides visqueux à la pointe de la technologie dans les trois dimensions spatiales avec des modèles dynamiques nouvellement développés de la phase initiale des collisions. Cette approche permet de décrire les collisions d’ions lourds au Collisionneur d’ions lourds relativistes (RHIC), une installation utilisateur du Département de l’Énergie, sur une large gamme d’énergies de collision.
L’incorporation de l’évolution de l’état initial permet la génération continue de matière nucléaire fluide lorsque les noyaux en collision se traversent. Cette considération est particulièrement importante à des énergies de faisceau plus basses, où l’hypothèse d’une collision instantanée n’est pas valide.
Une équipe de théoriciens issus du Brookhaven National Laboratory, du Lawrence Berkeley National Laboratory, de l’Université de Californie à Berkeley et de l’Université d’État Wayne a utilisé ce modèle polyvalent pour effectuer des calculs événement par événement. Ces calculs prennent en compte les fluctuations dans la géométrie initiale des noyaux en collision et la forme résultante de la boule de feu produite.
Les chercheurs ont fait varier et contraint les paramètres du modèle, qui incluent les viscosités de la matière produite ainsi que les propriétés de l’état initial, pour réaliser une analyse statistique basée sur les données expérimentales collectées lors du Balayage de l’énergie du faisceau (BES) du RHIC. Cette analyse basée sur les données de la dépendance des viscosités à la densité baryonique nette s’appuie sur 5 millions d’événements de collision simulés numériquement.
Les résultats de cette analyse peuvent désormais être comparés aux calculs purement théoriques. Le même cadre peut être appliqué aux mesures de la phase II du BES au RHIC et au future Facility for Antiproton and Ion Research (installation future pour la recherche sur les antiprotons et les ions) (FAIR) en Europe, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles découvertes dans le domaine de la physique nucléaire.
Article : « Viscosities of the Baryon-Rich Quark-Gluon Plasma from Beam Energy Scan Data » – DOI: 10.1103/physrevlett.132.072301