Raccorder les sources d’énergie renouvelable au réseau : chantier du siècle ?

« L’énergie est notre avenir »

Au-delà du slogan, c’est une réalité économique et sociétale : nous consommons de plus en plus d’énergie, tout en produisant selon des modalités industrielles qui ne sont plus acceptables, pour une bonne partie. Entre déchets nucléaires et démantèlement problématique des centrales d’un côté, et émissions de CO2 et usages de ressources fossiles limitées de l’autre, nous sommes condamnés à trouver d’autres voies. « L’urbanisation, la densification de la population, la raréfaction des ressources : toutes ces tendances ont pour point d’achoppement commun la disponibilité de l’énergie », explique par exemple Thomas Peaucelle, le directeur général délégué de Cofely Ineo.

De la production aux modes de consommation en passant par la distribution, nous allons devoir réinventer notre modèle énergétique, et changer ce « mix énergétique », dans le cas de la France, sur lequel est assis notre modèle industriel depuis 40 ans ou presque. C’est tout l’enjeu de la fameuse transition énergétique dont on peine à constater les effets. « La transition énergétique suppose donc qu’une priorité forte soit donnée à la valorisation des ressources locales » rappelle Géraud Guibert au nom du think tank La Fabrique écologique. Par ressources locales on entendra « énergies renouvelables disponibles sur place ».

Les solutions techniques sont connues depuis longtemps déjà, mais elles demandent encore des progrès en termes de rendements, notamment parce que l’endroit où elles sont le plus nécessaire est l’endroit qui peut le moins les accueillir : en ville, faute de place, nous ne verrons pas fleurir rapidement les éoliennes et les panneaux solaires, sauf à mobiliser les toits et les rues.

Première étape : la ville et ses contraintes

A de rares exceptions près, notamment aux Pays-Bas, les villes ne produisent pas ou peu d’énergie en dehors de « centrales » excentrées, dont le nom même porte en lui notre vision « centralisée » de la production d’énergie. Les agglomérations sont pourtant les lieux où la consommation d’énergie est la plus importante et où les gaspillages sont les plus problématiques. C’est donc là qu’il faut en premier lieu réguler la consommation : isolation des bâtiments, éclairage publique, systèmes de stockage d’énergie… Les réseaux électriques de demain s’intégreront dans des Smart Grids, dont la fonction principale sera le pilotage de la production en fonction de la consommation et des « stocks » d’énergies disponibles.

Tâches complexes s’il en est : il va falloir mettre en adéquation une consommation croissante et une production intégrant de plus en plus de sources d’énergie aléatoires (solaire et éolien surtout). « La diversité des conditions locales en termes de demande, mais également de capacité d’insertion d’énergie renouvelable dans la production, par exemple, transforme les collectivités en un excellent terrain d’expérimentation », avance la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Des expérimentations ont déjà commencé, comme à Issy-les-Moulineaux, avec le projet IssyGrid. Initiative à échelle micro-locale, elle ne concerne qu’un seul quartier de la ville. « Les premiers équipements qui ont été mis en place concernent plusieurs immeubles de bureaux, une centaine de logements ainsi qu’une partie de l’éclairage public du quartier Seine Ouest », expliquent les 11 acteurs publics et privés du premier réseau de quartier intelligent. Eric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier, société pilote du projet IssyGrid, évoque de son côté « une ville où nos immeubles vont parler entre eux, échanger de l’énergie et échanger des informations ». Mais surtout « un démonstrateur grandeur nature de ce pourra être la ville de demain », ajoute Guillaume Parisot, directeur Innovation de la même entreprise.

En effet, le projet n’ambitionne pas moins que de servir de référence aux projets de Smart Grids parisiens : « on est en train de reconfigurer le quotidien énergétique des gens et les relations économiques. Il va donc falloir que la réglementation évolue largement », s’enthousiasme Jean-Claude Millien, directeur délégué Ile-de-France d’ERDF. La réglementation et les comportements devront évoluer. Car le consommateur va devenir acteur énergétique.

Deuxième étape : le consommateur-producteur

La question n’est pas vraiment problématique à la campagne où existe toujours un peu de place pour des panneaux solaires ou une petite éolienne. Mais comment produire de l’énergie lorsque l’on habite un appartement parisien ? A défaut d’être auto-suffisant en production, chose inenvisageable actuellement pour les citadins, les logements urbains pourraient déjà consommer mieux et moins. Avec l’appui des technologies numériques ? C’est du moins ce que pense Thomas Peaucelle, de chez Cofely Ineo, qui indique que l’on « assiste à la convergence de deux véritables révolutions : l’une énergétique, l’autre numérique » En effet, il estime que « des solutions de pilotage plus étroits de la consommation apparaissent. L’utilisation des technologies dites intelligentes permet d’adapter progressivement les flux d’énergie au besoin réel des citoyens et de mieux rapprocher production et consommation […] Cela constitue pour moi l’enjeu le plus important de notre époque car elle rend le citoyen acteur de la révolution énergétique à venir. »

Nos logements pourraient ainsi disposer rapidement de capacités de stockage d’énergie, de dispositifs intelligents, capables de se recharger en période de faible consommation (la nuit par exemple) et d’alléger la charge sur le réseau lors des pics de consommation. Le « Smart-User » sera partie intégrante des réseaux. Ce qui signifie que le consommateur ne sera plus le receveur passif de services de fournitures d’électricité. Pour Olivier Sala, le Directeur général de Gaz Electricité de Grenoble (GEG), participant au projet Greenlys, « rendre le consommateur actif est fondamental […] afin de maîtriser et comprendre [sa] consommation d’énergie ». Connaitre le consommateur est un enjeu pour les fournisseurs, mais plus important encore, il serait souhaitable que les consommateurs se connaissent eux-mêmes, apprennent les gestes simples de la sobriété économique. Les « Smart Community », déjà réalités au Japon, pourraient inspirer le modèle français.

D’après Thomas Peaucelle, « c’est désormais du côté des hommes, de leur rapport culturel à l’énergie que le changement interviendra à moyen et long termes. Au cours des prochaines décades, les innovations majeures en matière énergétique ne seront donc pas technologiques, mais humaines et intellectuelles. » Le chantier du siècle, défi technique et scientifique, sera aussi un chantier des mentalités et des comportements, parce que ce qu’il faut changer en priorité, ce sont les agissements des consommateurs, du citoyen aux états. Une façon de comprendre, enfin, que seules les énergies renouvelables nous sont acquises.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par J. Lefevre

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