Stockage de l’energie via l’ammoniac

Une autre solution consiste à stocker l’énergie lorsqu’elle est excédentaire, pour l’utiliser ensuite en fonction de la demande. Malheureusement, pour un scénario “tout renouvelable“, les besoins de stockage se chiffrent en jours ou même en mois de consommation. Les moyens de stockage généralement proposés sont très inférieurs aux besoins :

· Le stockage par batteries est limité par leur faible densité d’énergie, ainsi que par la disponibilité des matériaux nécessaires: plomb ou lithium

· Le stockage hydraulique (barrages de retenue ou Stations de Transfert d’Energie par Pompage) est limité par la rareté des sites utilisables

· Le stockage Hydrogène est limité par sa faible densité d’énergie, les hautes pressions nécessaires, ainsi que sa dangerosité.

L’ammoniac gazeux (NH3) est un candidat prometteur pour se substituer à l’hydrogène, ou tout au moins constituer un moyen de stockage de l’hydrogène :

· Il peut être synthétisé à partir d’eau, d’azote atmosphérique et d’énergie renouvelable (procédé Haber-Bosch)

· Il se stocke et se transporte à l’état liquide à basse pression (10-20 bar). Son contenu énergétique est environ la moitié de celui du pétrole : 6,5 kWh/kg

· Il pourrait être utilisé comme carburant de transport : route, rail, avion, pour produire de l’électricité, et pour le chauffage, sans émission de CO2, puisque sa combustion ne produit que de l’azote et de l’eau : 2 NH3 + 3/2 O2 à N2 + 3 H20

Des études ont été faites ou sont en cours dans plusieurs pays : princip alement aux Etats-Unis, mais aussi Canada, Japon, Belgique, Autriche. Depuis 2004, l’association NH3 Fuel (1), créée par l’université d’Iowa, organise une conférence annuelle aux Etats-Unis (2). Les projets en cours couvrent les domaines suivants :

· Production de NH3 à partir d’énergies renouvelables
· Utilisation de NH3 comme combustible pour

o Moteurs à combustion interne
o Piles à combustible
o Turbines à gaz

Dans cet article, je voudrais faire le point sur les résultats actuels de ces projets.

1. Production de NH3

La production actuelle d’ammoniac est de l’ordre de 150 millions de tonnes, destinées principalement à la fabrication d’engrais. La synthèse de NH3 s’effectue à partir d’hydrogène et d’azote, selon le procédé Haber-Bosch. Dans la majorité des cas, l’hydrogène est obtenu par « reformage » (craquage) d’hydrocarbures. Pour des raisons de rentabilité, les centres de production sont situés près des terminaux gaziers. Toutefois, pour une partie de la production, l’hydrogène est obtenu par électrolyse de l’eau, l’électricité pouvant provenir de diverses sources, en particulier hydraulique (Norsk Hydro en Norvège). Le rendement énergétique de l’électrolyse atteint actuellement les 80%.

Une partie des programmes de la ‘NH3 Fuel Conference’ concerne la production de NH3 à partir d’énergies renouvelables, principalement éolienne.

Une usine pilote de production de NH3 alimentée par une éolienne est en cours de réalisation à l’université de Minnesota (3). La mise en service est prévue pour 2013.

Plusieurs études économiques (4) ont analysé les prix de NH3 dans les unités de production existantes. Celui-ci se décompose en :

– une partie liée au fonctionnement et à l’amortissement des installations, d’autant plus faible que la production est importante (de l’ordre de 100$ / tonne de NH3 pour une unité produisant 2000 tonnes par jour)

– une partie proportionnelle au prix de l’énergie, donc du cours du gaz naturel. Le rendement énergétique de la synthèse de NH3 est de l’ordre de 70%.

2. Stockage et transport (5)

L’ammoniac est stocké à l’état liquide dans des gazomètres réfrigérés à -28°C, à la pression atmosphérique. Le transport terrestre par wagons ou par camions s’effectue à température ambiante dans des réservoirs sous pression. Les Etats-Unis possèdent un réseau de pipe-lines d’environ 5000 km au total, avec des débits de 1 à 2 Mt/an. Le transport fluvial ou maritime s’effectue dans des réservoirs réfrigérés à -28°C.

3. Utilisation de NH3 dans des moteurs à combustion interne

3.1 Moteurs diesel

Une caractéristique de l’ammoniac est sa température élevée d’autoallumage : 600°C. De ce fait, les moteurs diesel ne peuvent fonctionner qu’avec des mélanges NH3 + hydrocarbures. Un moteur diesel a fonctionné avec un mélange comportant 95% de NH3 et 5% de gasoil (6), mais avec une combustion incomplète de NH3, donc une émission importante de NH3 dans les gaz d’échappement.

3.2 Moteurs à allumage par étincelle

Des essais ont été faits avec diverses options :

· Fonctionnement NH3 seul sans craquage: l’optimisation des paramètres compression, avance à l’allumage et composition du mélange a permis d’atteindre un rendement de près de 40% avec de très faibles émissions de NO et NO2 (7).

· Fonctionnement NH3 seul avec craquage catalytique. Un modèle très simple de « craqueur » thermique autoentretenu a été réalisé. Le mélange sortant du craqueur : N2 + 3 H2, alimente un petit moteur de démonstration (8).

· Fonctionnement avec divers mélanges: NH3 + Méthanol, NH3 + DiméthylEther, NH3 + nitrate d’ammonium (9)

4. Utilisation de NH3 dans des turbines à gaz

Dans les années 1960, l’avion fusée X15 a fonctionné avec un moteur alimenté par un mélange oxygène liquide + ammoniac (10).

Actuellement, la société ‘Space Propulsion Group’ (11) a commencé un programme d’essais de turbines alimentées par NH3. Pour favoriser la combustion, il est prévu d’effectuer un craquage partiel du gaz NH3 dans un pré-brûleur avant de l’envoyer dans la turbine. Actuellement, aucun résultat de test n’a été publié.

5. Utilisation de NH3 dans les Piles à combustible (PAC, Fuel Cell)

En 1964, un laboratoire danois (12) remplace l’alimentation en hydrogène d’une PAC standard SOFC (Solid Oxyde Fuel Cell) par des mélanges de plus en plus riches en NH3, allant jusqu’à NH3 pur. Les caractéristiques sont presque indépendantes de la concentration en NH3, ce qui montre que dans ce type de PAC, NH3 est entièrement dissocié en N2 + H2. Le rendement avec NH3 pur atteint 70% à une température de 800°C, avec des émissions très faibles de NOx (<0.5 ppm).

Actuellement, des prototypes de PAC de type PCFC (Proton Ceramics Fuel Cell) de 500 W et 1 kW alimentées par NH3 sont en cours de développement.

6. Cracking de NH3

Dans la plupart des utilisations, l’hydrogène est un meilleur combustible que l’ammoniac. L’ammoniac peut être dissocié en N2 + 3H2 à haute température (400°-800°) en présence de catalyseurs. Plusieurs études décrivent des craqueurs efficaces (99,99% de NH3 dissocié) avec un coût abordable (Catalyseurs Ni–Ru) (13). Dans ce cas, l’ammoniac devient un simple moyen de stockage de l’hydrogène.

7. Sécurité NH3

L’ammoniac est très peu inflammable. Le principal danger est sa toxicité : une exposition de quelques minutes à 10.000 ppm peut être mortelle (14). L’expérience relative à l’utilisation de NH3 dans l’agriculture aux Etats-Unis fait état de 2 accidents mortels en 8 ans. Les précautions à prendre pour un véhicule alimenté en NH3 sont comparables à celles du GPL. Toutefois, l’ammoniac est facilement détectable du fait de son odeur suffocante : le seuil de perception est de l’ordre de 1 à 50 ppm.

Conclusion :

L’ammoniac gazeux permet de stocker l’énergie dans des conditions comparables aux hydrocarbures gazeux ou liquides. Il peut être stocké en volume suffisant pour adapter une production intermittente et saisonnière aux besoins fluctuants de la consommation.

Il peut être synthétisé à partir d’énergies renouvelables avec un rendement énergétique de l’ordre de 70%. Il peut être utilisé comme énergie primaire sans émission de CO2, ou comme source d’hydrogène, pour la production d’électricité, pour les transports terrestres, maritimes ou aériens, et éventuellement pour le chauffage.

Des études sont encore nécessaires pour passer à la pratique, et il est étonnant que la France soit absente dans ce domaine. Mais au fur et à mesure du développement des applications, la mise en œuvre de l’ammoniac pourrait permettre une réduction considérable des émissions de CO2, ainsi que le développement des énergies renouvelables au maximum de leur potentiel.

Références

(1) NH3 Fuel Association: ici
(2) NH3 Fuel Conference: ici
(3) “Lessons learned in developing a wind to ammonia Pilot Plant” (NH3 Fuel Conference 2012)
(4) “Kick Off/ Update from Chairman” (NH3 Fuel Conference 2012)
(5) “Transportation & Delivery of Anhydrous Ammonia” (NH3 Fuel Conference 2006)
(6) “Combustion Efficiency and Exhaust Emissions of Ammonia Combustion in Diesel Engines” (NH3 Fuel Conference 2008)
(7) “Ammonia Combustion in spark ignition engine conditions” (NH3 Fuel Conference 2010)
(8) “A Comparison of Combustion Promoters for Ammonia” (NH3 Fuel Conference 2010)
(9) “Engine Ready Carbon Free NH3 Fuel” (NH3 Fuel Conference 2010)
(10) “The Choice of NH3 to Fuel the X-15 Rocket Plane” (NH3 Fuel Conference 2011)
(11) “Fuel Conditioning System for Ammonia-Fired Power Plants” (NH3 Fuel Conference 2012)
(12) “Highly efficient conversion of ammonia in electricity by Solid Oxide Fuel Cells” 6th European Solid Oxide Fuel Cell Forum, 28 June – 2 July 2004, page 1524, Lucerne Switzerland
(13) “Ammonia for high density storage” (.pdf) : ici
(14) “Ammonia safety” (NH3 Fuel Conference 2006)

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Marcarmand

[ Communiqué ]

3 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Michel

Bonjour
Pourquoi n’essaye t on pas d’utiliser l’amonniac dans les moteurs. Ce combustible est un moyen simple de transporter de l’hydrogène.
J’espère que rapidement on s’intéressera à l’amonniac.

Lionel_fr

Cet article date de 2013 !
L’ammoniac est déjà utilisé pour transporter l’hydrogène de l’Australie vers le Japon. On parle de millions de tonnes dans un avenir tout proche. La Japon a par ailleurs acté un programme de R&D national visant à remplacer le fuel lourd des bateaux. Les programmes en développement sont innombrables, certains sont déjà en production bien que la mise à l’échelle de la consommation mondiale de pétrole annonce encore de gros programmes de recherche.
Google : “stockage hydrogène ammoniac”

lionel-fr

Il y a une autre filière au potentiel autrement explosif pour convertir l’hydrogène gazeux en liquide stable à température ambiante. La conversion en méthanol puis en essence directement injectable dans un bon vieux moteur thermique à allumage commandé. Le tout extrait le carbone de l’atmosphère. Pas de métaux chers, juste de l’acier. Pas de nox, pas de cuivre, pas de platine, pas de neodyme, pas de lithium ni de cobalt. Encore moins de lanthanides dans le catalyseur de pac. Pas de réservoir en carbone. Juste une vieille techno concue il y a 120 ans dont les rejets sont inférieurs à ceux des VE Li-ion.
Porsche commence à produire au Chili, pays des Enr par excellence, moins que l’Australie mais mieux que l’Islande, les trois futurs rois de l’e-pétrole. Je crois que l’ammoniac est battu à plates coutures. Cette unité, à elle seule, produira exactement 1% du pétrole brûlé par les transports en France.
Voici un lien mais il y en a des milliers d’autres : https://www.moteurnature.com/31061-essence-synthetique-c-est-parti-pour-porsche-au-chili