Une équipe de chercheurs de l’institut Femto-ST vient de démontrer qu’il est possible d’étendre la portée d’un capteur distribué de température à fibre optique jusqu’à 150 kilomètres, tout en maintenant des temps de mesure compatibles avec une utilisation opérationnelle et une résolution spatiale de 20 mètres. Publiés dans la revue Optica, ces travaux pourraient modifier la manière dont les infrastructures énergétiques, notamment les câbles sous-marins reliant les parcs éoliens offshore au réseau terrestre, sont surveillées en temps réel.
La technologie mise en œuvre repose sur un principe physique bien établi de la diffusion Brillouin. Lorsqu’une impulsion laser est envoyée dans une fibre optique, une infime partie de la lumière est rétrodiffusée, et la fréquence de ce signal diffusé varie en fonction de la température locale le long de la fibre. En mesurant le « temps de vol » de l’impulsion, il devient possible de cartographier précisément les variations thermiques sur des dizaines de kilomètres. Jusqu’à présent, les systèmes commerciaux atteignaient une portée maximale d’environ 80 kilomètres ; en laboratoire, certains prototypes frôlaient les 100 kilomètres. La limite provenait essentiellement du bruit inhérent aux photodiodes traditionnelles utilisées pour détecter le signal optique.
L’innovation introduite par l’équipe de Femto-ST consiste à remplacer ces photodiodes par un détecteur de photons unique, un SPAD (Single Photon Avalanche Diode), fourni par la société Aurea Technology. Le composant, extrêmement sensible, permet de capter des signaux lumineux autrefois indétectables, augmentant considérablement le rapport signal sur bruit.
Toutefois, les détecteurs SPAD présentent un inconvénient majeur : leur temps d’acquisition est généralement trop long pour des applications industrielles. Une seule mesure pouvait nécessiter plusieurs jours, rendant l’outil inutilisable en pratique. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs ont mis au point une méthode permettant d’effectuer un très grand nombre de mesures successives en des intervalles extrêmement courts. Le résultat ? Une cartographie complète de la température sur 150 kilomètres réalisée en une heure, contre plusieurs journées auparavant.
L’expérience a été menée avec un laser infrarouge injectant des impulsions de 10 à 200 nanosecondes dans une fibre optique longue de 150 kilomètres. Le signal de rétrodiffusion, capté par le détecteur SPAD, a été traité grâce à un algorithme optimisé pour extraire les variations thermiques avec une précision spatiale de 20 mètres. Un modèle analytique, construit à partir des données expérimentales, suggère que, en affinant certains paramètres, la portée pourrait atteindre 200 kilomètres, avec une résolution inférieure à 10 mètres.
Ces performances ouvrent des possibilités concrètes pour la surveillance des câbles électriques, en particulier ceux qui relient les parcs éoliens en mer aux réseaux terrestres. Dans les environnements hostiles, la chaleur générée par le passage du courant peut endommager l’isolation des câbles ou perturber l’écosystème marin environnant. Un suivi thermique précis et continu permettrait d’anticiper les points de surchauffe, d’optimiser la charge électrique transportée, et de prolonger la durée de vie des infrastructures.
Les chercheurs ne comptent pas s’arrêter là. Leur prochain objectif : réduire encore les temps de mesure, un paramètre déterminant pour les applications industrielles où la réactivité est primordiale. Parallèlement, les principes mis en œuvre pourraient être transposés à d’autres domaines nécessitant une détection optique de haute sensibilité, notamment les systèmes lidar utilisés en télédétection atmosphérique ou en cartographie, ainsi que certains dispositifs d’imagerie médicale ou de sécurité.
Leur travail s’inscrit dans le cadre du projet Interreg VI Distance (2023-2026), une collaboration transfrontalière franco-suisse réunissant l’Université de Strasbourg (anciennement Université Marie et Louis Pasteur), EOSS, Aurea Technology et la Haute École Arc à Saint-Imier. Dirigé par Maxime Romanet sous la supervision de ses directeurs de thèse à l’institut Femto-ST — structure fédérant le CNRS, Supmicrotech ENSMM, l’Université de Strasbourg et l’Université de technologie de Belfort-Montbéliard —, ce projet illustre la fécondité des partenariats entre laboratoires académiques et entreprises technologiques.
Article : « Extended-range and faster photon-counting Brillouin optical time domain reflectometer. » – Maxime Romanet, Étienne Rochat, Jean-Charles Beugnot, et Kien Phan Huy. – Optica, publié le 22 avril 2025. DOI : 10.1364/OPTICA.549392
Source : CNRS Ingénierie