Les manipulations génétiques végétales reposent sur un acteur microscopique dont l’importance s’avère déterminante pour l’avenir de la biotechnologie. L’Agrobacterium tumefaciens, une bactérie naturellement capable d’insérer son ADN dans les plantes à fleurs, suscite un intérêt grandissant dans la communauté scientifique. Le processus de modification génétique des végétaux pourrait connaître une mutation profonde grâce aux dernières découvertes réalisées par des chercheurs californiens.
Dans la nature, l’Agrobacterium tumefaciens provoque des tumeurs chez les plantes à fleurs, affectant notamment certaines cultures d’importance économique. La capacité exceptionnelle de la bactérie à insérer son ADN dans les cellules végétales hôtes est exploitée par les laboratoires de biotechnologie du monde entier.
Les mécanismes naturels de transfert d’ADN sont étudiés depuis les années 1980 par les chercheurs. Le système bactérien complexe a été simplifié en un petit plasmide circulaire, appelé «vecteur binaire», spécialement conçu pour transporter l’ADN d’intérêt dans les cellules végétales.
Une optimisation spectaculaire du processus de transformation
Les travaux publiés dans Nature Biotechnology par l’équipe du laboratoire de Patrick Shih ont bouleversé les connaissances établies. Les modifications génétiques apportées à l’Agrobacterium ont permis d’améliorer considérablement l’efficacité de l’insertion d’ADN dans un génome.
Matthew Szarzanowicz, premier auteur de l’étude, a déclaré : «La transformation médiée par Agrobacterium est fondamentalement un outil permettant d’insérer de l’ADN dans des cellules cibles. Dans la nature, il s’agit d’un pathogène végétal qui insère une petite partie de son propre ADN dans la plante, provoquant une tumeur qui héberge les bactéries.» Une observation qui a conduit l’équipe à repenser entièrement l’approche traditionnelle.
Des résultats sans précédent
L’attention des scientifiques s’est portée sur la région dite «origine de réplication» du vecteur binaire. Cette zone stratégique, responsable du contrôle du nombre de copies du plasmide, a été minutieusement analysée par les équipes de recherche.
Les performances obtenues dépassent toutes les attentes : l’efficacité de transformation a été augmentée jusqu’à 100% chez les plantes et 400% chez les champignons. Ces résultats exceptionnels ont été obtenus grâce à de simples mutations ponctuelles dans le génome bactérien.
Les implications de la découverte s’étendent bien au-delà du domaine végétal. Les techniques d’édition CRISPR bénéficient directement de ces avancées, comme l’explique Patrick Shih : «L’introduction des réactifs CRISPR-Cas9 dans les cellules représente un défi majeur. Même pour les modifications non transgéniques, l’efficacité du système de livraison est primordiale.»
Le potentiel d’application dans le domaine fongique est particulièrement prometteur. Les industries biotechnologiques, qu’elles soient pharmaceutiques ou spécialisées dans les biomatériaux, pourraient voir leurs processus de production considérablement améliorés grâce à ces nouvelles techniques de transformation.
Optimisation des ressources et réduction des coûts
Les implications économiques de la découverte s’avèrent considérables. La transformation génétique des plantes mobilise traditionnellement d’importantes ressources humaines et financières. Les laboratoires sont confrontés à des taux d’échec significatifs, multipliant les tentatives nécessaires pour obtenir les modifications souhaitées.
Les protocoles optimisés développés par l’équipe de Berkeley permettent désormais d’envisager une réduction substantielle des coûts opérationnels. «Les ressources mobilisées pour chaque transformation peuvent être réduites de moitié dans certains cas», précise un membre de l’équipe de recherche. Une économie significative qui pourrait accélérer le développement de nouvelles variétés végétales.
Un impact sur la diversité des espèces transformables
L’amélioration spectaculaire de l’efficacité du processus de transformation ouvre de nouvelles possibilités pour les espèces végétales jusqu’alors réfractaires aux modifications génétiques. Les équipes de recherche ont notamment identifié plusieurs variétés de sorgho, une céréale majeure pour la production de biocarburants, comme candidates potentielles pour l’application de leur technique optimisée.
Les applications industrielles se multiplient déjà. Les entreprises spécialisées dans la production de biomasse ont manifesté un vif intérêt pour les nouvelles possibilités offertes par cette technique. La capacité à transformer efficacement un plus large éventail d’espèces végétales pourrait révolutionner la production de biocarburants et de biomatériaux.
Au-delà des applications industrielles immédiates, les chercheurs académiques entrevoient de nombreuses opportunités pour approfondir la compréhension des mécanismes fondamentaux du transfert génétique. Les modifications apportées au système Agrobacterium permettent d’étudier plus précisément les interactions entre la bactérie et les cellules hôtes.
Les équipes de l’IGI et du JBEI prévoient déjà d’étendre leurs recherches à d’autres aspects du processus de transformation. L’objectif est d’identifier d’éventuels points d’amélioration supplémentaires pour optimiser encore davantage l’efficacité du système.
Légende illustration : Jeunes plants d’Arabidopsis issus de la même expérience de transformation et exprimant un pigment rapporteur rouge, démontrant la variabilité des résultats de la transformation. L’amélioration de l’efficacité de la transformation et du contrôle des résultats peut grandement contribuer aux applications concrètes de la biotechnologie végétale. (Photo : Matthew Szarzanowicz)
Matthew J. Szarzanowicz, Lucas M. Waldburger, Michael Busche, Gina M. Geiselman, Liam D. Kirkpatrick, Alexander J. Kehl, Claudine Tahmin , Rita C. Kuo, Joshua McCauley, Hamreet Pannu, Ruoming Cui, Shuying Liu, Nathan J. Hillson, Jacob O. Brunkard, Jay D. Keasling, John M. Gladden, Mitchell G. Thompson, Patrick M. Shih. Binary vector copy number engineering improves Agrobacterium-mediated transformation. Nature Biotechnology. 10.1038/s41587-024-02462-2
Source : Berkeley Lab