Des chercheurs de l’Université de Loughborough sont arrivés à une étape majeure dans la quête d’une intelligence artificielle véritablement biomimétique. Leur invention, baptisée « transneurone », est un neurone artificiel unique capable de reproduire le comportement de cellules cérébrales impliquées dans la vision, la planification et le mouvement. Contrairement aux neurones artificiels traditionnels qui ne remplissent qu’une fonction fixe, ce composant électronique affiche une flexibilité jusqu’alors considérée comme l’apanage exclusif du cerveau humain. Publiés dans la revue Nature Communications, ces travaux ouvrent la voie à des systèmes informatiques moins énergivores et à des robots dotés d’une adaptabilité proche du vivant.
Un composant révolutionnaire aux performances inédites
Le transneurone se distingue par sa capacité à changer de rôle selon les réglages électriques appliqués. Pour valider leur dispositif, l’équipe internationale dirigée par le professeur Sergey Saveliev a comparé les impulsions électriques produites par la puce avec celles enregistrées dans trois régions distinctes du cerveau de macaques : l’aire visuelle, l’aire motrice et l’aire prémotrice. Chacune génère des motifs d’impulsions caractéristiques, tantôt réguliers, tantôt irréguliers, parfois en salves rapides. En ajustant simplement la tension et la résistance du circuit, le transneurone a reproduit ces trois types de comportements avec une précision oscillant entre 70 et 100%.
« Notre cerveau est très efficace, capable d’effectuer des tâches complexes comme la reconnaissance faciale ou le contrôle des mouvements tout en utilisant très peu d’énergie », explique Alexander Balanov, professeur de physique à l’Université de Loughborough et co-auteur de l’étude. Il souligne que leurs neurones artificiels réagissent également aux variations environnementales telles que la pression et la température, ce qui pourrait déboucher sur des systèmes sensoriels artificiels.
Le memristor, clé de la flexibilité cérébrale
Au cœur de cette prouesse technique se trouve un composant récemment découvert : le memristor. Ce dispositif à l’échelle nanométrique se transforme physiquement lorsque l’électricité le traverse, lui permettant de « mémoriser » les signaux passés et d’adapter sa réponse, à l’instar des synapses biologiques. Lorsque le courant circule, des atomes d’argent à l’intérieur du memristor migrent pour former et rompre des ponts microscopiques, générant ainsi les petites impulsions électriques caractéristiques de l’activité neuronale. Les modifications de température, de tension ou de résistance altèrent le comportement de ces impulsions, permettant aux chercheurs de reconfigurer le transneurone sans recourir à aucun contrôle logiciel.
Cette approche marque une rupture avec l’intelligence artificielle conventionnelle. « La plupart des systèmes actuels fonctionnent sur des ordinateurs qui traitent les nombres de manière très différente de notre cerveau », précise Sergei Gepshtein, spécialiste de la perception visuelle au Salk Institute. « Votre ordinateur portable ou votre téléphone traite l’information selon une logique rigide et séquentielle, tandis que le cerveau s’appuie sur de vastes réseaux de neurones qui déchargent selon des motifs irréguliers et souvent imprévisibles. Notre transneurone nous rapproche de la création d’un matériel qui ne simule pas seulement l’activité cérébrale par logiciel, mais qui fonctionne réellement de manière similaire au cerveau ».

Des applications prometteuses en robotique et en neurosciences
L’équipe ne cache pas son ambition : créer un « cortex cérébral sur puce » en intégrant plusieurs transneurones dans des réseaux interconnectés capables de perception, d’apprentissage et de contrôle. Joshua Yang, expert en ingénierie électrique et informatique à l’Université de Californie du Sud, estime que cette technologie pourrait révolutionner la robotique en fournissant les bases d’un système nerveux artificiel. « De tels systèmes pourraient permettre aux robots d’apprendre de manière plus efficace, en utilisant moins d’énergie, de temps et de données. Ils pourraient également soutenir un apprentissage continu et tout au long de la vie, s’adaptant de manière transparente à mesure que de nouvelles expériences sont rencontrées », souligne-t-il.
Au-delà de la robotique, Pavel Borisov, physicien expérimental à Loughborough, entrevoit des applications médicales et neuroscientifiques. Les dispositifs de ce type pourraient un jour communiquer avec le système nerveux central humain, voire remplacer ou compléter certaines zones cérébrales endommagées. Ils offriraient également aux neuroscientifiques un terrain d’expérimentation pour comprendre comment les différentes régions du cerveau communiquent entre elles, ou même pour approcher le mystère de la conscience.
Un pas vers la re-création du cerveau humain
La question que pose Sergey Saveliev résonne avec une audace tranquille : « Le cerveau humain est-il un dispositif mystérieux hors de notre portée ou pourrions-nous un jour le recréer avec de l’électronique – et peut-être même construire quelque chose de plus puissant ? ». Ses travaux, menés avec des chercheurs du Salk Institute, de l’Université de Californie à San Diego, de l’Université de Californie du Sud, de la Washington University School of Medicine, de l’Université du Massachusetts à Amherst et de l’Université Texas A&M, suggèrent que cette perspective n’appartient plus tout à fait au domaine de la science-fiction.
On peut légitimement se poser la question de savoir si l’humanité saura maîtriser les implications éthiques et sociétales d’une telle avancée. Car si les transneurones permettent effectivement de bâtir des machines capables d’apprentissage continu et d’adaptation en temps réel, la frontière entre intelligence artificielle et intelligence biologique pourrait devenir bien plus ténue qu’on ne l’imagine aujourd’hui.
Article : « Artificial transneurons emulate neuronal activity in different areas of brain cortex » – Nature Communications – DOI : s41467-025-62151-9
Source : Loughborough U.











