L’astrophysicien Avi Loeb vient de publier une analyse qui ne manquera pas d’alimenter les débats scientifiques sur la nature des objets interstellaires. Dans un billet, le chercheur consacre une longue série de questions-réponses aux leçons à tirer de la visite de 3I/ATLAS, le visiteur de l’espace venu d’ailleurs qui traverse actuellement notre système solaire. Selon ses calculs, basés sur sept anomalies qu’il a recensées, il existe une probabilité de 30 à 40% que cet objet ne soit pas d’origine purement naturelle.
Dans son analyse, Avi Loeb ne cache pas son enthousiasme face à cette opportunité scientifique exceptionnelle. Pour le chercheur de Harvard, 3I/ATLAS représente bien plus qu’une simple comète interstellaire. « Les objets interstellaires mettent des millions voire des milliards d’années à arriver dans le système solaire interne depuis leur origine et nous permettent d’avoir un échantillon des matériaux présents dans leurs systèmes parents », précise t-il dans son article. Le scientifique souligne que ces visiteurs cosmiques comblent une lacune fondamentale car ils établissent un pont entre la Terre et la galaxie dans son ensemble. En effet, ils offrent une fenêtre d’observation unique sans avoir à attendre des millions d’années qu’une sonde terrestre atteigne ces destinations lointaines.
L’objet présente des caractéristiques qui ont facilité son observation, note l’astrophysicien. Sa taille imposante et son alignement quasi parfait avec le plan de l’écliptique ont permis aux orbiteurs martiens de le photographier la semaine dernière. La caméra CaSSIS de l’Agence Spatiale Européenne a publié ses premières images officielles, tandis que la caméra HiRISE de la NASA devrait fournir des données encore plus précises dans les semaines à venir.
L’impréparation face à une menace potentielle
L’un des aspects les plus troublants soulevés par Avi Loeb dans son analyse concerne l’absence totale de protocoles établis pour répondre à la découverte d’un dispositif extraterrestre fonctionnel près de la Terre. Dans ses échanges avec la représentante Anna Paulina Luna, qui suit de près ces questions, le chercheur met en lumière une faille béante dans notre système de défense planétaire. « Un visiteur dans notre jardin nécessite une attention immédiate car il pourrait entrer par la porte d’entrée et représenter une menace imminente », avertit Avi Loeb.
Le directeur du Projet Galileo rappelle qu’en 2005, le Congrès américain a chargé la NASA d’identifier 90% de tous les astéroïdes susceptibles d’entrer en collision avec la Terre et dépassant 140 mètres de diamètre. Mais cette surveillance ne couvre pas le cas, autrement plus complexe, d’une technologie dont le comportement serait par nature imprévisible, souligne-t-il. Face à ce vide stratégique, Avi Loeb révèle avoir soumis il y a une semaine un document aux Nations Unies, qui plaide pour la création d’un comité international chargé d’aborder les menaces potentielles liées aux objets interstellaires.
Des rendez-vous astronomiques décisifs
La probabilité évoquée par Avi Loeb n’est pas figée dans le marbre. Dans son billet, le chercheur insiste sur le fait que son évaluation évoluera en fonction des nouvelles données collectées au cours des prochains mois. Plusieurs rendez-vous astronomiques majeurs sont programmés, détaille-t-il : les observations de la sonde Juice en novembre 2025, celles de centaines d’observatoires terrestres et spatiaux lors de l’approche la plus proche de 3I/ATLAS de la Terre le 19 décembre 2025, à une distance géocentrique de 269 millions de kilomètres, et enfin les données de la sonde Juno lorsque l’objet passera à 54 millions de kilomètres de Jupiter le 16 mars 2026.
Ces campagnes d’observation permettront notamment de détecter d’éventuelles manœuvres non gravitationnelles ou une fragmentation de l’objet, deux indices qui pourraient faire pencher la balance vers une origine naturelle ou, au contraire, renforcer les soupçons d’une nature technologique, explique Avi Loeb. Pour l’astrophysicien, cette incertitude justifie une mobilisation sans précédent des moyens d’observation céleste.
Vers une surveillance globale du ciel
Au-delà du cas spécifique de 3I/ATLAS, Avi Loeb plaide dans son analyse pour une révision complète de notre approche des objets interstellaires. « Nous n’avons aucune idée de la quantité de trafic de sondes extraterrestres dans les environs du système solaire », reconnaît le chercheur avec franchise. Face à cette ignorance, il recommande de collecter un maximum de données sur les objets interstellaires provenant de toutes les directions, une entreprise qui nécessiterait un investissement d’environ un milliard de dollars, comparable à celui consenti pour l’Observatoire Rubin qui scrute le ciel austral.
Le directeur du Projet Galileo va plus loin en suggérant la construction d’une réplique de l’Observatoire Rubin pour couvrir l’hémisphère nord, complétant ainsi le système d’alerte de l’humanité. Un investissement qui, selon Avi Loeb, s’avérerait gagnant-gagnant même en l’absence de menace existentielle avérée, tant les bénéfices scientifiques seraient considérables.
Une vision à contre-courant pour l’humanité
Dans une perspective plus large, Avi Loeb remet en question certaines priorités de l’exploration spatiale. Plutôt que de se concentrer sur la colonisation de Mars, dont il juge les conditions de surface trop hostiles pour l’homme, le chercheur prône la conception d’une plateforme spatiale capable de transporter des humains vers l’espace interstellaire. Un vaisseau de plusieurs kilomètres pourrait générer une gravité artificielle par rotation, explique-t-il, le principal défi résidant dans les besoins énergétiques nécessaires à un habitat autosuffisant.
Si l’humanité consacrait la moitié de ses budgets militaires à ce défi, soit environ mille milliards de dollars par an, Avi Loeb estime que des solutions pratiques pourraient émerger d’ici la fin du siècle. La détection de vaisseaux fabriqués par des civilisations technologiquement avancées pourrait, selon le scientifique, inspirer une démarche de rétro-ingénierie pour reproduire ces technologies.
Source : Avi Loeb