Faits marquants
- Offre commune de 17 milliards € déposée par Orange, Bouygues et Free pour racheter SFR
- Bouygues prendrait 43%, Free 30%, Orange 27%
- Répartition prévue : B2B Bouygues et Free, B2C partagé, réseau non dense à Bouygues
- Le marché passerait de 4 à 3 opérateurs majeurs en France
Orange, Bouygues Telecom et Free-Groupe iliad ont annoncé lundi avoir déposé une offre conjointe non engageante qui vise à acquérir l’essentiel des activités d’Altice France, maison-mère de l’opérateur SFR. Leur proposition, qui valorise les actifs ciblés à 17 milliards d’euros, pourrait modifier le paysage des télécommunications hexagonal en ramenant le nombre d’opérateurs nationaux de quatre à trois. Une consolidation attendue depuis des années par un secteur fragilisé par des guerres tarifaires incessantes et des investissements colossaux dans les infrastructures.
L’opération porte sur la majeure partie des activités de l’opérateur au carré rouge, à l’exclusion notable de certaines filiales stratégiques. Les participations dans Intelcia, UltraEdge, XP Fibre et Altice Technical Services, ainsi que l’ensemble des activités ultramarines du groupe. Selon le communiqué commun publié par les trois acquéreurs potentiels, la valeur d’entreprise implicite pour l’ensemble d’Altice France dépasserait 21 milliards d’euros si l’on intègre ces actifs exclus de l’offre. Pour Patrick Drahi, propriétaire d’Altice France qui vient tout juste de restructurer une dette vertigineuse de 24 milliards ramenée à 15,5 milliards début octobre, cette proposition arrive à un moment charnière.
Un partage des actifs entre concurrents
L’architecture de cette offre reflète des mois de négociations entre trois acteurs historiquement rivaux. Bouygues Telecom s’adjugerait la part du lion avec 43% de la répartition du prix et de la valeur, héritant principalement des activités B2B (entreprises) de SFR et du réseau mobile en zones peu denses. Free – Groupe iliad capturerait 30% de l’ensemble, tandis qu’Orange, leader français du secteur avec plus de 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, se contenterait de 27%.
Les activités B2C (grand public) seraient partagées entre les trois opérateurs, tout comme les infrastructures critiques et les précieuses fréquences hertziennes. Chaque opérateur cherche à maximiser ses gains tout en préservant une apparence de concurrence. Les trois opérateurs soulignent dans leur communiqué que cette opération permettrait de « préserver un écosystème concurrentiel au bénéfice des consommateurs », un argument qui doit encore convaincre les autorités réglementaires.
Une transition pour ménager les clients et les salariés
Conscients des enjeux sociaux et opérationnels, les trois opérateurs ont prévu un mécanisme de transition. Les actifs qui ne pourraient être transférés immédiatement seraient confiés à une société commune chargée d’assurer la gestion opérationnelle pendant une période transitoire. Cela permettrait notamment la migration progressive des quelque 25 millions de clients de SFR. Cette entité s’appuierait toutefois sur les collaborateurs actuels du groupe Altice.
L’opération devra franchir plusieurs obstacles de taille avant de voir le jour. D’abord, l’acceptation de cette offre indicative par Patrick Drahi, qui conserve 55% du capital d’Altice France. Ensuite, la réalisation de due diligences approfondies (vérifications) et une évaluation financière confirmant les hypothèses initiales. La consultation des instances représentatives du personnel sera obligatoire, suivie d’un examen minutieux par les autorités de la concurrence qui scruteront les impacts d’une telle concentration sur le marché français.
Un marché mature en quête de rentabilité
La tentative de rachat arrive dans un contexte économique tendu pour le secteur des télécommunications français. Depuis l’arrivée fracassante de Free Mobile en 2012 et sa stratégie de prix cassés, le marché n’a cessé de se livrer à une compétition acharnée qui a rogné les marges de chacun. Parallèlement, les investissements massifs requis pour déployer la fibre optique et la 5G pèsent lourdement sur les bilans.
Pour Orange, Bouygues Telecom et Free, l’objectif est clair : mettre fin à une guerre des prix destructrice et doper une rentabilité mise à mal par plus d’une décennie de concurrence exacerbée.
Le communiqué met aussi en avant des motivations qui évoquent le renforcement des investissements « dans la résilience des réseaux très haut débit, dans la cybersécurité, mais aussi dans les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle ».
Les trois groupes affirment également vouloir « consolider la maîtrise d’infrastructures stratégiques pour le pays », un argument patriotique qui pourrait peser dans la balance auprès des régulateurs.
On ignore encore si les autorités réglementaires partageront cette vision optimiste d’un marché à trois opérateurs, ou si elles y verront au contraire une menace pour le pouvoir d’achat des consommateurs français. Les trois groupes préviennent toutefois « qu’il n’y a aucune certitude à ce stade que cette offre indicative puisse aboutir à un accord ». Les mois qui viennent diront si cette alliance inédite parviendra à ses fins et si SFR, jadis fleuron des télécoms français, disparaîtra effectivement du paysage hexagonal.
Source : CP commun Bouygues / Orange / Free