Dr. Markus Bernards
Des physiciens théoriques de l’université Goethe de Francfort décrivent l’origine de puissants jets à l’aide de simulations complexes
Cent ans avant que l’Event Horizon Telescope Collaboration ne publie la première image d’un trou noir en 2019 – situé au cœur de la galaxie M87 – l’astronome Heber Curtis avait déjà découvert un jet étrange dépassant du centre de la galaxie. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit du jet du trou noir M87*. De tels jets sont également émis par d’autres trous noirs. Des astrophysiciens théoriciens de l’université Goethe ont maintenant mis au point un code numérique permettant de décrire avec une grande précision mathématique comment les trous noirs transforment leur énergie de rotation en ces jets ultrarapides.
Pendant près de deux siècles, on ignorait que le point lumineux de la constellation de la Vierge, que Charles Messier avait décrit en 1784 comme « 87 : nébuleuse sans étoiles », était en fait une très grande galaxie. Par conséquent, on ne savait pas expliquer l’étrange jet découvert en 1918 au centre de cette « nébuleuse ».
Au cœur de la galaxie géante M87 se trouve le trou noir M87*, qui contient pas moins de six milliards et demi de masses solaires et tourne rapidement sur son axe. Grâce à l’énergie produite par cette rotation, M87* alimente un jet de particules expulsé à une vitesse proche de celle de la lumière, s’étendant sur une distance immense de 5 000 années-lumière. D’autres trous noirs en rotation génèrent également de tels jets. Ils contribuent à disperser l’énergie et la matière dans l’univers et peuvent influencer l’évolution de galaxies entières.
Une équipe d’astrophysiciens de l’université Goethe de Francfort, dirigée par le professeur Luciano Rezzolla, a développé un code numérique, appelé « Frankfurt particle-in-cell code for black hole spacetimes [Code de Francfort pour les temps d’espace des trous noirs] » (FPIC), qui décrit avec une grande précision les processus qui convertissent l’énergie de rotation en un jet de particules. Résultat : outre le mécanisme de Blandford-Znajek, considéré jusqu’à présent comme responsable de l’extraction de l’énergie de rotation du trou noir via de puissants champs magnétiques, les scientifiques ont révélé qu’un autre processus intervient dans l’extraction d’énergie, à savoir la reconnexion magnétique. Dans ce processus, les lignes de champ magnétique se rompent et se réassemblent, ce qui conduit à la conversion de l’énergie magnétique en chaleur, en rayonnement et en éruptions de plasma.
Le code FPIC a simulé l’évolution d’un grand nombre de particules chargées et de champs électromagnétiques extrêmes sous l’influence de la forte gravité du trou noir. Le Dr Claudio Meringolo, principal développeur du code, explique : « La simulation de tels processus est cruciale pour comprendre la dynamique complexe des plasmas relativistes dans les espaces-temps courbes à proximité d’objets compacts, qui sont régis par l’interaction de champs gravitationnels et magnétiques extrêmes. »
Les recherches ont nécessité des simulations sur superordinateur très exigeantes qui ont consommé des millions d’heures de CPU sur le superordinateur « Goethe » de Francfort et le « Hawk » de Stuttgart. Cette grande puissance de calcul était essentielle pour résoudre les équations de Maxwell et les équations du mouvement des électrons et des positons selon la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein.
Dans le plan équatorial du trou noir, les calculs des chercheurs ont révélé une intense activité de reconnexion, conduisant à la formation d’une chaîne de plasmoïdes – une condensation de plasma dans des « bulles » énergétiques – se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière. Selon les scientifiques, ce processus s’accompagne de la génération de particules à énergie négative qui sont utilisées pour alimenter des phénomènes astrophysiques extrêmes tels que les jets et les éruptions de plasma.
« Nos résultats ouvrent la possibilité fascinante que le mécanisme de Blandford-Znajek ne soit pas le seul processus astrophysique capable d’extraire l’énergie de rotation d’un trou noir », ajoute le Dr Filippo Camilloni, qui a également travaillé sur le projet FPIC, « mais que la reconnexion magnétique y contribue également ».
« Grâce à nos travaux, nous pouvons démontrer comment l’énergie est efficacement extraite des trous noirs en rotation et canalisée dans des jets », observe Luciano Rezzolla. « Cela nous permet d’expliquer la luminosité extrême des noyaux galactiques actifs ainsi que l’accélération des particules à une vitesse proche de celle de la lumière. »
Il ajoute qu’il est incroyablement passionnant et fascinant de mieux comprendre ce qui se passe près d’un trou noir à l’aide de codes numériques sophistiqués. « En même temps, il est encore plus gratifiant de pouvoir expliquer les résultats de ces simulations complexes à l’aide d’un traitement mathématique rigoureux, comme nous l’avons fait dans nos travaux. »
Publication : Claudio Meringolo, Filippo Camilloni, Luciano Rezzolla: « Electromagnetic Energy Extraction from Kerr Black Holes: Ab-Initio Calculations. » The Astrophysical Journal Letters (2025). DOI : 10.3847/2041-8213/ae06a6
Source : Frankfurt U.