Sous les palmiers et les façades Art déco de la Croisette, une révolution énergétique s’apprête à naître discrètement. D’ici fin 2026, une centrale de thalassothermie enterrée dans le parc de la Roseraie alimentera en chauffage et climatisation une partie du quartier le plus emblématique de Cannes. Porté par ENGIE Solutions et confié au groupe NGE, ce projet ambitieux exploite la Méditerranée comme source d’énergie renouvelable, transformant les vagues en confort thermique. Un pari technologique, écologique, et urbain, qui pourrait bien inspirer d’autres villes côtières.
À première vue, rien ne changera pour les promeneurs du boulevard de la Croisette. La centrale, enfouie sur deux niveaux sous le parc de la Roseraie, ne laissera aucune trace apparente. Mais sous la pelouse et les rosiers, une machinerie complexe s’activera : deux conduites de 700 mm de diamètre iront puiser l’eau de mer au pied de la digue du vallon de la Baume, la feront circuler par gravité jusqu’à des échangeurs thermiques, puis la rejetteront, légèrement réchauffée ou refroidie, via un système de diffusion conçu pour minimiser l’impact sur l’écosystème marin.
L’idée, c’est d’utiliser ce que la nature nous offre déjà : la stabilité thermique de la mer. En été, l’eau de surface peut monter à 25°C, mais à quelques mètres de profondeur, près de la digue, elle reste autour de 18-20°C — ce qui permet un meilleur rendement pour la climatisation. En hiver, c’est l’inverse : la mer conserve une chaleur relative que l’on peut récupérer pour le chauffage.
Le choix du site n’est pas non plus anodin. En captant l’eau plus profondément, au niveau de la digue, le projet évite les pics de température estivaux en surface, optimisant ainsi le delta thermique, la clé de voûte de l’efficacité énergétique du système.
NGE, architecte d’une transition énergétique locale
Le chantier, d’un montant de 13,2 millions d’euros, a été confié à NGE — Nouvelles Générations d’Entrepreneurs —, quatrième groupe français du BTP, reconnu pour sa capacité à fédérer des expertises variées sous un même chapeau. Ici, pas de sous-traitance éclatée : le groupement réunit en interne fondations, terrassement, génie civil, et microtunnelage via sa filiale SADE. Une approche intégrée qui réduit les aléas et les délais.
Le microtunnelage, en particulier, constitue l’innovation phare du projet. Plutôt que de creuser à ciel ouvert, ce qui aurait paralysé le trafic et défiguré le paysage —, un tunnelier automatisé installera les conduites sous les rues et le littoral, limitant les nuisances. Les travaux maritimes, eux, seront confiés à l’entreprise Negri, spécialiste des ouvrages en milieu aquatique.
Le calendrier est serré : 16 mois de travaux, démarrant fin 2025 pour une mise en service prévue à l’automne 2026. Objectif : produire 32 gigawattheures de chaleur et 24 gigawattheures de froid par an, soit l’équivalent de la consommation énergétique de plusieurs milliers de logements. Et ce, sans émettre de CO₂, sans bruit, sans fumée.
Transition écologique : quand la Croisette devient un laboratoire
Le projet ne se limite pas à une performance technique. Il s’inscrit dans une stratégie plus large de décarbonation du territoire cannois. La thalassothermie permettra de desservir des bâtiments publics mais aussi des hôtels et immeubles privés du secteur Est de la Croisette, réduisant leur dépendance aux énergies fossiles.
Un suivi écologique rigoureux accompagnera chaque phase : études d’impact sur la faune benthique, limitation des turbidités lors des forages, replantation de posidonies si nécessaire. Les travaux sont organisés pour protéger la faune et la flore marines, avec un suivi écologique attentif.
Symboliquement, c’est aussi un message fort : même sur la Côte d’Azur, temple du tourisme de luxe et de la surconsommation énergétique, la transition écologique avance discrètement, mais sûrement.
Et après ?
Si le projet de la Croisette réussit, il pourrait servir de modèle à d’autres stations balnéaires, de Biarritz à Nice, voire à l’international. La thalassothermie, encore marginale en France, dispose d’un potentiel considérable sur les 5 500 kilomètres de côtes métropolitaines.
Pour NGE, ce chantier est aussi une vitrine ; celle d’un BTP qui se réinvente, qui conjugue expertise industrielle et sensibilité environnementale, qui construit moins de béton et plus de solutions.
Un mot sur le concept de thalassothermie
Concrètement, le principe repose sur une réalité simple : la mer conserve une température relativement stable en profondeur, même quand l’air extérieur brûle de chaleur ou gèle en hiver. En Méditerranée, par exemple, à quelques mètres sous la surface, l’eau oscille entre 13°C en hiver et 22°C en été.
Comment ça marche ?
- On prélève de l’eau de mer via des conduites immergées, généralement en profondeur pour bénéficier d’une température plus constante.
- Cette eau circule dans des échangeurs thermiques : elle cède ou capte de la chaleur selon la saison.
- En hiver : les calories de l’eau de mer (même à 13-15°C) sont récupérées via une pompe à chaleur pour chauffer les bâtiments.
- En été : la fraîcheur relative de l’eau (autour de 20°C, contre 30°C à l’air) permet de rafraîchir les locaux souvent plus efficacement qu’une climatisation classique.
- L’eau est ensuite rejetée en mer, légèrement modifiée en température, mais sans produit chimique ni pollution.
Pourquoi c’est innovant ?
- C’est une énergie renouvelable et locale : pas besoin d’importer du gaz ou de l’électricité carbonée.
- C’est silencieux et invisible : les infrastructures sont souvent enterrées ou immergées.
- C’est efficace : le rendement énergétique est élevé grâce au delta de température stable entre la mer et l’air.
- C’est durable : zéro émission de CO₂ à l’usage, si les pompes à chaleur sont alimentées en électricité verte.
En résumé : la thalassothermie, c’est puiser dans la mer ce qu’elle fait de mieux (cad réguler la température) pour réguler la nôtre. Une idée simple, vieille comme l’océan, mais redécouverte.
Source : NGE