Dans les laboratoires de Culham, au Royaume-Uni, une équipe internationale pilotée par des chercheurs néerlandais vient de franchir une étape décisive vers la maîtrise de l’énergie de fusion. Grâce à un dispositif novateur baptisé « Super-X », ils ont démontré qu’il est possible de réduire de plus de dix fois la chaleur extrême projetée sur les parois d’évacuation des réacteurs — l’un des obstacles majeurs à la viabilité industrielle de cette source d’énergie propre. Publiés dans les revues Communication Physics et Nature Energy, ces résultats ouvrent la voie à des conceptions plus simples, plus robustes, et surtout plus réalistes pour les centrales du futur.
Un défi brûlant : dompter l’enfer du plasma
À l’intérieur d’un réacteur à fusion, le plasma ce gaz surchauffé où les atomes fusionnent en libérant une énergie colossale atteint des températures dépassant les 10 000 degrés Celsius. Ce n’est pas le cœur du réacteur qui pose le plus grand problème, mais bien sa périphérie : le divertor, cette zone chargée d’évacuer les déchets énergétiques et les particules excédentaires. Sans une gestion précise de ce process, les matériaux du réacteur se dégradent à vitesse grand V, et compromet par conséquent toute perspective de fonctionnement durable.
C’est là qu’intervient le Super-X, une architecture conçue initialement par l’Institut d’études sur la fusion de l’Université du Texas à Austin, puis perfectionnée par l’Autorité britannique de l’énergie atomique (UKAEA) sur la machine MAST Upgrade. Contrairement aux divertors classiques, courts et directs, le Super-X allonge délibérément le trajet du plasma vers les parois. Ces « jambes » étirées offrent plus de distance et donc plus de temps pour refroidir les particules avant qu’elles n’impactent les surfaces critiques. Le résultat se matérialise par une réduction drastique des contraintes thermiques, sans compromettre pour autant la stabilité du cœur réactif.
Une première mondiale : contrôler l’évacuation sans perturber le cœur
Les expériences menées à MAST Upgrade ont permis une avancée inédite : pour la première fois, les chercheurs ont prouvé qu’il est possible de réguler les conditions du divertor sans affecter ni l’autre côté du dispositif, ni le plasma central où se produit la fusion. « Ces résultats sont de bon augure pour une variété de projets futurs comme la machine britannique STEP, la machine américaine ARC et la DEMO européenne. », explique Kevin Verhaegh, chercheur à l’Université de technologie d’Eindhoven (TU/e) et principal auteur des travaux.
Cette indépendance opérationnelle signifie que les ingénieurs peuvent désormais ajuster finement les paramètres d’évacuation sans craindre de déstabiliser le cœur du réacteur — une avancée majeure pour la conception de machines industrielles. Les modèles informatiques prédisaient déjà ce comportement ; les expériences l’ont désormais validé sur le terrain. Mieux encore : même une modification modeste de la géométrie du divertor — loin des configurations extrêmes souvent envisagées — suffit à produire des gains substantiels. Une bonne nouvelle pour les ingénieurs, confrontés à l’équation délicate entre performance et faisabilité technique.

Vers des réacteurs plus simples, plus réalistes
Ces résultats ne sont pas seulement une victoire scientifique ; ils redessinent l’horizon technologique de la fusion. « Nous avons pu montrer qu’une modification modeste, mais stratégique, du divertor peut déjà offrir beaucoup des avantages des géométries de divertor plus extrêmes. Comme de telles géométries extrêmes sont plus difficiles à réaliser dans une centrale, ces résultats ouvrent de nouvelles voies pour améliorer la conception des machines à fusion futures », ajoute Kevin Verhaegh.
Son collègue Bob Kool, de l’institut néerlandais DIFFER et de la TU/e, abonde : « Ces résultats démontrent clairement les nombreux avantages que les divertors alternatifs peuvent offrir pour maintenir des conditions acceptables dans les centrales à fusion. C’est une étape majeure dans la résolution du problème de l’évacuation et nous rapproche finalement de la réalisation de l’énergie de fusion. »
Le succès repose aussi sur une collaboration internationale exemplaire, impliquant l’UKAEA, la TU/e, DIFFER et le consortium européen EUROfusion — avec des échos jusqu’aux expériences menées sur la machine suisse TCV.
« Démontrer que les conditions du plasma dans les divertors de MAST Upgrade peuvent être contrôlées de manière indépendante est une avancée importante vers le développement d’un contrôle robuste de l’évacuation du plasma dans les machines futures. Ces résultats passionnants n’ont été possibles que grâce à de solides collaborations internationales entre les équipes de l’UKAEA, de TU Eindhoven, de DIFFER et d’EUROfusion, qui continueront à repousser les limites de notre compréhension dans ce domaine de recherche important », confirme James Harrison, responsable scientifique de MAST Upgrade à l’UKAEA.
La fusion, un horizon moins lointain
Si la fusion nucléaire reste souvent perçue comme une chimère technologique, ces résultats rappellent qu’elle progresse, pas à pas, dans l’ombre des laboratoires. Le Super-X ne résout pas tous les problèmes — loin de là — mais il débloque l’un des plus coriaces : celui de la chaleur insoutenable qui menace d’user prématurément les machines. En offrant une solution à la fois efficace et réaliste du point de vue de l’ingénierie, il rapproche la fusion du monde industriel.
Demain, les concepteurs de réacteurs n’auront plus besoin de courir après des géométries exotiques et coûteuses. Ils pourront s’appuyer sur des designs plus simples, plus modulaires, plus faciles à intégrer. Et c’est peut-être dans cette ingénierie pragmatique, plus que dans la quête de performances extrêmes, que réside la clé d’un avenir énergétique propre, sûr, et enfin accessible.
Article : « Divertor shaping with neutral baffling as a solution to the tokamak power exhaust challenge » – DOI: 10.1038/s42005-025-02121-1
Article : « Demonstration of Super-X divertor exhaust control for transient heat load management in compact fusion reactors » – DOI : 10.1038/s41560-025-01824-7
Source : TUE.nl