La production de biocarburants à partir de la cellulose présente dans les parois cellulaires des plantes offre une alternative aux sources traditionnelles comme le le maïs. Le processus de décomposition de la cellulose en glucose, nécessaire à la production d’éthanol, est en revanche encore actuellement lent et inefficace. Une équipe de chercheurs de Penn State a récemment mis en lumière les obstacles moléculaires qui ralentissent ce processus, ouvrant ainsi la voie à de potentielles améliorations.
Les défis de la décomposition de la cellulose
La cellulose, principal composant des parois cellulaires des plantes, est une source abondante de matière première renouvelable pour la production de biocarburants. Sa structure cristalline, ainsi que la présence d’autres composés tels que le xylane et la lignine, rendent toutefois sa décomposition plus difficile que celle de l’amidon présent dans le maïs, actuellement la principale source de bioéthanol sur le marché.
Charles Anderson, professeur de biologie à Penn State et co-auteur de l’étude, souligne les préoccupations liées à l’utilisation du maïs comme source de biocarburant, notamment la concurrence avec l’approvisionnement alimentaire mondial et les émissions importantes de gaz à effet de serre lors de la production d’éthanol à base de maïs. L’utilisation de la cellulose issue de parties non comestibles des plantes, comme les tiges de maïs ou les résidus forestiers, pourrait constituer une alternative intéressante, mais le processus actuel de décomposition de la cellulose est trop lent et inefficace pour être économiquement compétitif.
Une nouvelle technique d’imagerie pour comprendre les mécanismes moléculaires
Pour étudier les mécanismes moléculaires qui ralentissent la décomposition de la cellulose, les chercheurs ont utilisé une technique d’imagerie relativement nouvelle. Ils ont marqué des enzymes cellulases individuelles avec des marqueurs fluorescents et ont utilisé le microscope SCATTIRSTORM de Penn State pour suivre les molécules à chaque étape du processus de décomposition. Les vidéos résultantes ont été interprétées à l’aide de traitements informatiques et de modélisations biochimiques.
Will Hancock, professeur de génie biomédical à Penn State et co-auteur de l’étude, explique que cette méthode permet d’observer le processus de décomposition à une échelle plus fine que les méthodes traditionnelles, sans manipuler artificiellement la position de l’enzyme ou ne capturer que les molécules en mouvement. Cela permet de mieux comprendre ce qui ralentit le processus et de générer de nouvelles idées pour le rendre plus efficace.
Le rôle du cellobiose dans le ralentissement de la décomposition
Les chercheurs se sont concentrés sur l’effet d’une enzyme cellulase fongique appelée Cel7A, qui alimente la cellulose dans une sorte de tunnel moléculaire où elle est découpée en fragments de cellobiose, composés de deux unités de glucose. Ils ont découvert que le cellobiose en solution peut se lier à la «porte arrière» du tunnel, ralentissant ainsi la sortie des molécules de cellobiose suivantes en bloquant le passage. De plus, il peut se lier à Cel7A près de la « porte d’entrée », empêchant l’enzyme de se lier à d’autres molécules de cellulose.
Daguan Nong, professeur adjoint de recherche en génie biomédical à Penn State et premier auteur de l’étude, explique que bien que le fonctionnement exact de l’enzyme ne soit pas encore totalement compris, ces nouvelles connaissances sur la façon dont le cellobiose interfère avec le processus ouvrent la voie à de nouvelles pistes pour améliorer l’efficacité de la décomposition de la cellulose.
Vers une optimisation du processus de décomposition de la cellulose
Cette étude s’inscrit dans la continuité de travaux récents de l’équipe de recherche visant à comprendre d’autres obstacles à la décomposition de la cellulose, tels que le xylane et la lignine. Nerya Zexer, chercheuse postdoctorale en biologie à Penn State et auteure principale d’un article publié dans RSC Sustainability, explique que le xylane recouvre la cellulose, réduisant la proportion d’enzymes pouvant s’y lier et la déplacer, tandis que la lignine inhibe la capacité de l’enzyme à se lier à la cellulose ainsi que son mouvement, réduisant sa vélocité et sa distance de déplacement.
Bien que des stratégies existent pour éliminer le xylane et la lignine de la cellulose, l’élimination du cellobiose est plus difficile. Une méthode consiste à utiliser une seconde enzyme pour cliver le cellobiose, mais cela ajoute des coûts et une complexité supplémentaires au système. Selon Charles Anderson, environ 50 cents par gallon de coûts de production de bioéthanol sont dédiés aux enzymes, il est donc essentiel de minimiser ce coût pour rendre le bioéthanol issu de déchets végétaux plus compétitif par rapport aux combustibles fossiles ou à l’éthanol à base de maïs.
Les chercheurs poursuivront leurs investigations sur l’ingénierie des enzymes et leur fonctionnement conjoint, avec pour objectif de rendre le processus de décomposition de la cellulose le moins coûteux et le plus efficace possible, ouvrant ainsi la voie à une production de biocarburants plus durable et respectueuse de l’environnement.
Légende illustration : De nouvelles recherches menées par des chercheurs de l’État de Pennsylvanie révèlent comment plusieurs obstacles moléculaires ralentissent la décomposition de la cellulose pour la production de biocarburants. Ici, Daguan Nong, professeur adjoint de recherche en ingénierie biomédicale, ajuste le microscope SCATTIRSTORM, qui permet aux chercheurs de suivre des enzymes individuelles tout au long du processus de décomposition. Michelle Bixby / Penn State
Article : « Single-molecule tracking reveals dual front door/back door inhibition of Cel7A cellulase by its product cellobiose » – DOI: 10.1073/pnas.2322567121