Dans un contexte de crise où les petites fermes agricoles familiales disparaissent progressivement au profit des plus grandes, un projet né à l’Université de Delft propose de rééquilibrer la donne. Baptisé CropKit, ce micro-tracteur électrique, modulaire et open source veut replacer les petites exploitations au cœur de la transition agro-écologique. Porté par David Soche, un jeune designer rural, l’engin promeut une mécanisation douce et une montée en puissance graduelle vers la robotisation. Alors que la course aux agro-bots est souvent menée par les géants de la tech, CropKit revendique une approche collaborative, accessible et centrée sur l’humain.
À la base du système se trouve CropKit Base, un châssis compact animé par deux roues-moteurs électriques. Son poids plume limite le tassement du sol, facteur clé de la santé microbienne et de la biodiversité. Un levier avant à parallélogramme interne maintient l’outil parfaitement vertical, ce qui autorise un réglage précis de la hauteur et de la garde au sol selon le stade de la culture. Sans outils, l’utilisateur peut clipser un soc de buttage, une bineuse ou un semoir en quelques secondes, grâce à une interface universelle sans boulons.
Trois niveaux d’autonomie, aucune rupture culturelle
L’originalité de CropKit tient aussi à son adoption progressive des technologies de précision.
- Mode manuel : avec CropKit Walk, le conducteur accompagne la machine à la manière d’un motoculteur traditionnel.
- Mode télé-opéré : via CropKit Remote, un smartphone sert de commande Wi-Fi, utile dans les parcelles étroites ou sous tunnel.
- Mode autonome : CropKit Pilot s’appuie sur le duo RTK-GPS et caméra RGB-D pour des allers-retours millimétriques.
Les agriculteurs peuvent ainsi tester la robotique sans remplacer brusquement leur savoir-faire. « L’idée n’est pas de soustraire le paysan à son champ, mais de le soulager quand il le décide », résume le concepteur du projet.

Une conception participative, du VR au terrain
Pour bâtir sa solution, l’équipe a multiplié les allers-retours entre laboratoire et exploitation. Revues bibliographiques, interviews de biologistes, panels participatifs et visites de fermes ont nourri la phase de recherche. Les formes du châssis ont d’abord été esquissées en réalité virtuelle ; les maraîchers équipés de casques pouvaient manipuler le modèle 3D et signaler aussitôt les points d’ergonomie à corriger.
Les articulations et des adaptateurs ont ensuite été imprimés en 3D puis éprouvés en conditions réelles sur une parcelle test. Ce prototypage express a bénéficié du concours de roboticiens, donnant naissance à un premier démonstrateur fonctionnel présenté à la Dutch Design Week.

Un écosystème modulaire, de l’analyse phytosanitaire au désherbage fin
Au-delà des outils classiques, plusieurs modules dévoilent la philosophie “augmenter plutôt que remplacer” :
- CropKit Float transforme la main de l’utilisateur en guide à haute précision pour le sarclage en lignes serrées, limitant la fatigue dorsale.
- CropKit IQ embarque un calculateur en bordure de champ, une caméra 3D et des microphones bioacoustiques capables de diagnostiquer l’état d’un couvert végétal à partir de son paysage sonore.
- D’autres modules, imaginés par la communauté, devraient suivre : épandeur micro-doseur, récolteuse bas-volume, banc d’essai mobile pour semences.
Parce que l’ensemble est open source, chaque ferme peut adapter ou créer son propre accessoire, à condition de partager les plans et les retours d’expérience.

Financement et feuille de route
La prochaine étape sera de réunir des capitaux pour construire un prototype “série zéro” et lancer des essais sur la longue durée. L’équipe espère convaincre des fonds d’innovation agricole, des coopératives et des régions engagées dans la préservation du bocage. Une fois la plateforme validée, l’objectif sera de diffuser des kits en open hardware, accompagnés de tutoriels vidéo et de formations pair-à-pair.
Face aux tracteurs autonomes de plusieurs tonnes promus par John Deere ou Kubota, CropKit joue la carte de la sobriété technologique. Sa modularité et son coût pourraient séduire les exploitations maraîchères en quête d’indépendance énergétique et de flexibilité. Dans un paysage agricole sous tension, l’avenir de CropKit pourrait être à l’avant garde d’une troisième voie, celle d’une robotique frugale, ancrée dans les territoires, et co-construite par celles et ceux qui travaillent la terre.