Les réacteurs nucléaires, piliers de la production d’énergie moderne, font l’objet d’innovations constantes visant à améliorer leur sûreté et leur efficacité. Une équipe de chercheurs américains s’attelle à perfectionner les capteurs essentiels au fonctionnement de ces installations complexes, ouvrant la voie à une nouvelle ère de surveillance nucléaire.
Les scientifiques de l’ORNL ont récemment réalisé une percée significative en utilisant un semi-conducteur à base de nitrure de gallium pour l’électronique des capteurs. Un transistor fabriqué avec ce matériau a maintenu son fonctionnement à proximité du cœur d’un réacteur nucléaire exploité par l’Université d’État de l’Ohio, partenaire de recherche.
Le nitrure de gallium, un semi-conducteur à large bande interdite, avait déjà été testé contre les radiations ionisantes rencontrées lors des missions spatiales. Cependant, son comportement face au bombardement neutronique intense d’un réacteur nucléaire restait à explorer. Kyle Reed, chercheur principal du groupe Capteurs et Électronique de l’ORNL, affirme : «Nous démontrons que ce matériau est particulièrement adapté à l’environnement neutronique».
Amélioration de la surveillance des équipements nucléaires
L’utilisation du nitrure de gallium pourrait considérablement améliorer la surveillance des équipements dans les installations nucléaires. Les données recueillies par les capteurs fournissent des alertes précoces sur l’usure des équipements, permettant une maintenance opportune et évitant des pannes plus importantes qui entraîneraient des arrêts de réacteur.
Actuellement, ces données sont traitées à distance, via de longs câbles connectés à des composants électroniques utilisant des transistors à base de silicium. Kyle Reed explique : «Notre travail rend la mesure des conditions à l’intérieur d’un réacteur nucléaire en fonctionnement plus robuste et précise. En plaçant l’électronique plus près d’un capteur, on augmente son exactitude et sa précision».
Les chercheurs ont irradié des transistors en nitrure de gallium pendant trois jours à des températures allant jusqu’à 125°C, à proximité du cœur du réacteur de recherche de l’Université d’État de l’Ohio. Contre toute attente, les transistors ont survécu même après avoir été poussés jusqu’au seuil de sécurité du réacteur : sept heures à 90% de sa puissance.
Dianne Ezell, responsable du groupe de mesures nucléaires et en environnement extrême de l’ORNL, souligne que les transistors en nitrure de gallium ont pu supporter une dose cumulée de radiations au moins 100 fois supérieure à celle d’un dispositif standard en silicium.
Perspectives pour les microréacteurs du futur
Cette avancée technique revêt une importance particulière dans le contexte du développement des microréacteurs, capables de générer de quelques dizaines à quelques centaines de mégawatts. Bien que ces concepts novateurs soient encore en phase de développement et d’homologation, leur potentielle portabilité pourrait permettre leur déploiement sur un camion dans une zone militaire ou sinistrée.
Les réacteurs avancés sont conçus pour fonctionner à des températures plus élevées en utilisant différentes formes de combustible. En raison de la compacité des microréacteurs, tous les composants opérationnels, y compris les capteurs, devront être capables de fonctionner dans un champ de radiation. Les transistors en nitrure de gallium pourraient être la clé de voûte de cette technologie.
Une meilleure surveillance nucléaire se traduit par une sécurité accrue et des coûts d’exploitation réduits. Dianne Ezell note : «Des centaines de milliers de dollars sont perdus chaque jour qu’un réacteur est arrêté. Pour rendre le nucléaire économiquement compétitif par rapport aux autres industries énergétiques, nous devons maintenir nos coûts bas». De plus, la réduction de la fréquence des maintenances diminue les risques pour la sécurité humaine.
Bien que le nitrure de gallium soit disponible commercialement depuis une dizaine d’années, son utilisation n’est pas encore généralisée. Kyle Reed conclut : «Nous ouvrons de nouvelles voies pour l’utilisation du nitrure de gallium, afin de créer une demande de marché plus raisonnable pour l’investissement, la recherche et le développement de la main-d’œuvre pour des sous-classes d’électronique au-delà du grade grand public».
Légende illustration :Kyle Reed a dirigé une équipe qui a testé un nouveau type de transistor résistant fabriqué par l’ORNL dans la piscine du réacteur, sous l’effet des radiations, au laboratoire du réacteur nucléaire de l’université de l’État de l’Ohio. Credit: Michael Huson/The Ohio State University