Une équipe de chimistes de l’Université de Tokyo a réussi à capturer, pour la première fois, les étapes initiales de la formation des nanoclusters d’or, révélant au passage une architecture inattendue : des structures allongées baptisées « aiguilles quantiques d’or ». Rendue possible grâce à la cristallographie aux rayons X, cette observation directe, apporte un éclairage sans précédent sur les mécanismes de croissance de ces assemblages atomiques, longtemps restés opaques. Publiés dans le Journal of the American Chemical Society, ces travaux ouvrent des perspectives concrètes en imagerie biomédicale et en conversion de l’énergie lumineuse.
Les nanoclusters d’or, constitués de moins d’une centaine d’atomes, sont des objets de fascination pour la science des matériaux. Leur comportement, radicalement différent de celui de l’or massif, leur confère des propriétés optiques et électroniques uniques, particulièrement utiles dans les domaines de la catalyse, de la détection et de la médecine. Leur synthèse, pourtant maîtrisée depuis des décennies, reste entourée de mystère. Elle repose généralement sur la réduction d’ions d’or en solution, en présence de ligands organiques qui stabilisent les agrégats naissants. Mais contrôler précisément leur taille, leur forme ou leur composition finale relève encore, trop souvent, de l’empirisme.
« Au cours des dernières années, beaucoup d’efforts ont été consacrés à comprendre le lien entre la structure et les propriétés physico-chimiques des nanoclusters, explique Tatsuya Tsukuda, chercheur principal de l’étude. Toutefois, le processus de formation lui-même est considéré comme une boîte noire. Nous avons lancé ce projet avec la conviction que comprendre les étapes initiales de la formation des agrégats mènerait au développement de nouvelles méthodes de synthèse ciblées pour des structures désirées. »
Pour percer ce mystère, Shinjiro Takano, Yuya Hamasaki et Tatsuya Tsukuda ont adopté une stratégie audacieuse : ralentir artificiellement la croissance des nanoclusters. En modifiant subtilement les conditions de synthèse — température, concentration, nature des ligands —, ils ont parvenu à « piéger » les agrégats d’or dans leurs tout premiers stades d’existence, comme des instantanés d’un film dont on aurait ralenti la vitesse au maximum. Ces précieux échantillons ont ensuite été analysés par diffraction des rayons X sur monocristal, une technique capable de déterminer la position exacte de chaque atome dans une structure cristalline.

Les résultats ont dépassé toutes les attentes. Plutôt que de croître de manière uniforme pour former des sphères, les nanoclusters d’or se développent de façon anisotrope — c’est-à-dire à des vitesses différentes selon les directions de l’espace. Cette asymétrie dans la croissance a conduit à l’apparition d’une géométrie totalement inédite. Les chercheurs ont observé des assemblages en forme de crayon, composés d’unités élémentaires répétées : des trimères triangulaires et des tétramères tétraédriques d’atomes d’or. C’est cette forme allongée et cette architecture interne qui ont inspiré le nom de « aiguilles quantiques ».
Le qualificatif « quantique » n’est pas un simple effet de style. Il renvoie à un phénomène fondamental : les électrons confinés dans ces minuscules structures ne peuvent occuper que certains niveaux d’énergie discrets, un comportement typique des systèmes quantiques. Cette quantification confère aux aiguilles d’or des propriétés optiques remarquables, notamment une forte réponse à la lumière dans le proche infrarouge — une région du spectre électromagnétique particulièrement utile car elle pénètre profondément dans les tissus biologiques sans les endommager.
« Nous avons pu expliquer rétroactivement la formation d’une série de petits nanoclusters d’or dans nos conditions de synthèse inhabituelles, précise Tatsuya Tsukuda. Cependant, l’apparition d’aiguilles reposant sur une base triangulaire de trois atomes d’or, plutôt que sur un amas quasi sphérique, est une découverte fortuite qui dépassait largement notre imagination. »
Ces « instantanés structuraux » constituent une contribution majeure à la compréhension des mécanismes fondamentaux qui gouvernent l’assemblage de la matière à l’échelle atomique. Ils fournissent une carte détaillée des étapes intermédiaires, permettant désormais de penser la synthèse non plus comme un processus aléatoire, mais comme une construction raisonnée, presque architecturale. La maîtrise de ces premières étapes est la clé pour concevoir, à l’avenir, des nanomatériaux sur mesure, dotés de propriétés spécifiques répondant à des besoins précis.
L’équipe de Tokyo ne compte pas s’arrêter là. Les chercheurs entendent affiner leurs conditions de synthèse pour explorer d’autres architectures exotiques, encore inconnues. Parallèlement, ils souhaitent nouer des collaborations avec des spécialistes en biophysique ou en ingénierie photonique afin d’exploiter pleinement les propriétés exceptionnelles de leurs aiguilles quantiques. Leur capacité à interagir avec la lumière infrarouge pourrait, par exemple, permettre de réaliser des images médicales d’une résolution bien supérieure à celle des techniques actuelles, ou de concevoir des dispositifs de conversion d’énergie solaire plus efficaces.
Article : « X-ray Crystallographic Visualization of a Nucleation and Anisotropic Growth in Thiolate-Protected Gold Clusters: Toward Targeted Synthesis of Gold Quantum Needles » – DOI : 10.1021/jacs.5c11089
Source : U. Tokyo