Une équipe de recherche américaine a découvert un nouveau régime, ou ensemble de conditions au sein d’un système, pour les phénomènes radiatifs coopératifs, jetant un nouvel éclairage sur un problème vieux de 70 ans dans le domaine de l’optique quantique. Leurs conclusions sur des effets d’émission spontanée collective jamais observés auparavant, dans un réseau d’atomes synthétiques (artificiels), sont publiées dans Nature Physics, accompagnées d’un article théorique dans Physical Review Research.
L’émission spontanée est un phénomène dans lequel un atome excité tombe dans un état de moindre énergie et émet spontanément un quantum de rayonnement électromagnétique sous la forme d’un seul photon. Lorsqu’un atome excité se désintègre et émet un photon, la probabilité de trouver l’atome dans son état excité tombe exponentiellement à zéro au fur et à mesure que le temps passe.
En 1954, le physicien de Princeton R. H. Dicke a étudié ce qui se passe lorsqu’un deuxième atome, non excité, est placé dans son voisinage immédiat. Il a affirmé que la probabilité de trouver un atome excité tomberait, de manière surprenante, à seulement la moitié. Le système excité consiste en deux scénarios simultanés, l’un dans lequel les atomes sont en phase, ce qui entraîne une émission plus forte (appelée superradiance), et l’autre dans lequel ils sont en opposition de phase, ce qui n’entraîne aucune émission (subradiance). Lorsque les deux atomes sont initialement excités, la désintégration devient toujours superradiante.
Le Dominik Schneble, PhD, professeur au département de physique et d’astronomie, et ses collègues de l’Université de Stony Brook ont utilisé une plate-forme d’atomes ultrafroids dans une géométrie de réseau optique unidimensionnel pour mettre en œuvre des réseaux d’émetteurs quantiques synthétiques qui se désintègrent en émettant des ondes de matière atomique lentes. En revanche, les processus conventionnels émettent des photons qui voyagent à la vitesse de la lumière. Cette différence leur a permis d’accéder à des phénomènes radiatifs collectifs dans des régimes inédits.
En préparant et en manipulant des réseaux d’émetteurs hébergeant des phases d’excitation à plusieurs corps interagissant faiblement et fortement, les chercheurs ont démontré une émission collective directionnelle et ont étudié l’interaction entre le retardement et la dynamique super- et sous-radiante.
« Les idées de Dicke sont d’une grande importance pour la science et la technologie de l’information quantique (QIST). Par exemple, des efforts intenses sont déployés pour exploiter la super- et la sous-radiance dans des réseaux d’émetteurs quantiques couplés à des guides d’ondes unidimensionnels », précise M. Schneble, également membre du Center for Distributed Quantum Processing (CDQP) de Stony Brook.
« Dans notre travail, nous sommes en mesure de préparer et de manipuler des états subradiants avec un contrôle sans précédent. Nous pouvons arrêter l’émission spontanée et observer où le rayonnement se cache dans le réseau. À notre connaissance, il s’agit de la première démonstration de ce type », ajoute M. Schneble.
Les travaux de l’équipe de Stony Brook, dont font partie deux anciens doctorants, Youngshin Kim et Alfonso Lanuza, permettent de mieux comprendre certains concepts fondamentaux de l’optique quantique.
M. Schneble explique que dans la théorie de Dicke, les photons ne jouent pas un rôle actif puisqu’ils se déplacent rapidement entre les émetteurs proches sur l’échelle de temps de la désintégration. Toutefois, certaines situations peuvent rompre cette hypothèse, par exemple dans un canal d’un réseau quantique à longue distance, où un photon guidé s’échappant d’un émetteur qui se désintègre peut avoir besoin de beaucoup de temps pour atteindre l’émetteur voisin. C’est précisément à ce régime inexploré que les chercheurs ont pu accéder, car les ondes de matière émises dans leur système sont des milliards de fois plus lentes que les photons.
« Nous voyons comment la désintégration collective d’un état superradiant contenant une excitation unique prend du temps à se former », indique également Kim, coauteur de l’étude. « Elle ne se produit qu’une fois que les émetteurs voisins ont pu communiquer. »
L’équipe souligne que le suivi du rayonnement lent dans un système d’émetteurs constitue un défi théorique de taille.
Lanuza, coauteur de l’étude, compare ce défi à un jeu compliqué d’attraper et de relâcher : « Un photon émis par un atome peut être rattrapé plusieurs fois avant de s’échapper, ou même être lié à l’atome. Les règles du jeu se compliquent lorsque plusieurs atomes et photons participent : les atomes échangent des photons, les photons rebondissent sur les atomes excités et les photons sont piégés entre les atomes, pour ne citer que quelques-uns des processus en jeu. »
Malgré cette interaction compliquée entre photons et atomes, il a pu trouver des solutions mathématiques pour le cas de deux émetteurs avec jusqu’à deux excitations et un couplage arbitraire du vide. Cet aspect du travail pourrait permettre de découvrir d’autres comportements de désintégration atomique collective compliqués ou inattendus lors d’expériences futures.
« Dans l’ensemble, nos résultats sur la dynamique radiative collective font des ondes de matière ultrafroides un outil polyvalent pour l’étude de l’optique quantique à plusieurs corps dans des systèmes spatialement étendus et ordonnés », conclut M. Schneble.
Légende illustration : Représentation d’un réseau d’émetteurs d’ondes de matière placés dans un tube à réseau optique (excitations atomiques en rouge, ondes de matière émises en bleu et couplage effectif du vide en vert), ainsi que les données relatives à l’émission superradiante directionnelle. Crédit : Alfonso Lanuza
Article : « Exact solution for the collective non-Markovian decay of two fully excited quantum emitters » – DOI : 10.1103/PhysRevResearch.6.033196
Source : Université de Stony Brook – Traduction Enerzine.com