C’est une découverte majeure à plus d’un titre. Les scientifiques de la collaboration LIGO-Virgo (dont le CNRS est membre) ont observé pour la première fois des ondes gravitationnelles émises lors de la fusion de deux étoiles à neutrons, et non de deux trous noirs comme dans les cas précédents.
Autre première : cette source d’ondes gravitationnelles émet de la lumière, observée dans les heures, jours et semaines qui suivirent grâce à la contribution de 70 autres observatoires sur Terre et dans l’espace. Cet ensemble d’observations marque l’avènement d’une astronomie dite « multi-messagers ».1
Une moisson de résultats en est issue : d’une solution à l’énigme des sursauts gamma et à celle de l’origine des éléments chimiques les plus lourds – comme le plomb, l’or ou le platine –, en passant par l’étude des propriétés des étoiles à neutrons ou par une mesure indépendante de la vitesse d’expansion de l’Univers. Une dizaine d’articles scientifiques publiés le 16 octobre 2017 détaillent ces différents aspects. Ils sont signés par de nombreux chercheurs de laboratoires du CNRS (plus de 200 pour l’une des publications), membres de la collaboration LIGO-Virgo ou de groupes d’astronomes partenaires.
C’est une aventure hors du commun qui a démarré, le 17 août 2017 à 14 heures 41 minutes (heure de Paris), par l’observation d’un signal d’ondes gravitationnelles d’un type nouveau. Cette fois, le signal détecté est bien plus long que dans le cas de la fusion de trous noirs (une centaine de secondes contre une fraction de seconde), signe que les deux objets qui finissent par fusionner sont différents de ceux détectés jusqu’à présent. L’analyse détaillée des données indiquera que les masses des deux objets sont comprises entre 1,1 et 1,6 fois la masse du Soleil, ce qui correspond à celles des étoiles à neutrons.
Les étoiles à neutrons sont des vestiges d’étoiles massives. Une étoile géante meurt en explosant, donnant ainsi naissance à une supernova. Ce phénomène extrêmement lumineux ne dure que quelques jours à quelques semaines : une fois l’explosion terminée, il ne reste plus qu’un cœur très dense composé presque uniquement de neutrons – une étoile à neutrons. Celle-ci a la taille d’une ville comme Londres, mais une petite cuillère de sa matière pèse environ un milliard de tonnes : les étoiles à neutrons sont les étoiles les plus petites et les plus denses connues à ce jour. Tout comme les étoiles ordinaires dont elles sont issues, certaines évoluent en couple. Elles orbitent alors l’une autour de l’autre et se rapprochent lentement en perdant de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles – un phénomène qui finit par s’accélérer jusqu’à la fusion. Si ce scénario était prédit par les modèles, c’est la première fois qu’il est confirmé par l’observation.
Presque au même moment et de manière indépendante, le satellite Fermi de la Nasa enregistre un sursaut gamma – un flash de rayonnement très énergétique – et lance immédiatement une alerte automatique. Si ce type de flash est relativement fréquent (il s’en produit presque chaque semaine en moyenne), celui-ci a la particularité d’être détecté environ 2 secondes après la fin du signal d’ondes gravitationnelles, indiquant un lien fort entre ces deux événements. Par ailleurs l’analyse des données de Fermi indique une origine spatiale de 1100 degrés carrés compatible avec la localisation par les détecteurs Virgo et LIGO. Le sursaut gamma est également observé par le satellite Integral de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ces observations confirment qu’au moins une partie des sursauts gamma courts sont produits par la fusion d’étoiles à neutrons.
La naissance d’une nouvelle astronomie
En parallèle, cette source est localisée dans le ciel en exploitant les temps d’arrivée et l’amplitude des signaux mesurés dans les trois détecteurs d’ondes gravitationnelles (les deux détecteurs de LIGO aux États-Unis et celui de Virgo en Europe). La zone ainsi déterminée, qui couvre environ 30 degrés carrés2 dans la constellation de l’Hydre de l’hémisphère austral, est des dizaines de fois plus restreinte que celle établie par Fermi. Elle est communiquée à près de 90 groupes d’astronomes partenaires pour qu’ils pointent leurs instruments dans cette direction. Douze heures plus tard, le groupe 1M2H utilisant le télescope américain Swope au Chili annonce la découverte d’un nouveau point lumineux dans la galaxie NGC 4993, située à 130 millions d’années-lumière de la Terre. Très rapidement, ce résultat est confirmé par d’autres télescopes de manière indépendante3. A leur suite, de nombreux autres instruments réalisent des observations, dont ceux de l’ESO au Chili, ou le télescope spatial Hubble.
Cette zone est alors scrutée sans relâche et les premières analyses des spectres lumineux4 montrent qu’il ne s’agit pas d’une supernova mais d’un type d’objet encore jamais observé, constitué de matière très chaude qui refroidit et dont la luminosité décroît rapidement – d’où une course contre la montre pour l’observer avant qu’il ne s’estompe.
Selon les modèles, la matière éjectée par la fusion de deux étoiles à neutrons est le siège de réactions nucléaires aboutissant à la formation de noyaux atomiques plus lourds que le fer (comme l’or, le plomb, etc.), grâce à l’abondance de neutrons. Cette matière très chaude et radioactive se disperse alors, émettant de la lumière dans toutes les longueurs d’onde, initialement très bleue puis rougissant au fur et à mesure que la matière refroidit en se dispersant. Appelé kilonova, ce phénomène jusqu’ici uniquement prédit par la théorie est ainsi confirmé de manière convaincante. On a donc observé ce qui est sans doute le principal processus de formation des éléments chimiques les plus lourds de l’Univers !
Outre la confirmation que les fusions d’étoiles à neutrons produisent des sursauts gamma courts, la première détection non ambiguë d’une kilonova et la preuve que les éléments lourds de l’Univers sont formés lors de ce processus, cet ensemble d’observations permet également de mieux comprendre la physique des étoiles à neutrons et d’éliminer certains modèles théoriques extrêmes. Il permet aussi de mesurer d’une nouvelle manière la constante de Hubble, décrivant la vitesse d’expansion de l’Univers. Ces résultats, qui couvrent des disciplines variées (physique nucléaire, astrophysique, cosmologie, gravitation), illustrent le potentiel d’une astronomie naissante, s’appuyant sur plusieurs types de messagers cosmiques (les ondes gravitationnelles, les ondes électromagnétiques comme la lumière ou les rayons gamma, et peut-être un jour les particules telles que les neutrinos ou les rayons cosmiques). Ils sont détaillés dans une dizaine de publications dont l’une est l’œuvre de plusieurs milliers de chercheurs regroupés en une cinquantaine de collaborations.
La collaboration LIGO-Virgo
Virgo est un instrument installé près de Pise, construit il y a un quart de siècle par le CNRS en France et l’Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN) en Italie. Les chercheurs travaillant sur Virgo sont regroupés au sein de la collaboration du même nom, comprenant plus de 280 physiciens, ingénieurs et techniciens appartenant à 20 laboratoires européens dont 6 au CNRS en France, 8 à l’INFN en Italie et 2 à Nikhef aux Pays-Bas. Les autres laboratoires sont MTA Wigner RCP en Hongrie, le groupe POLGRAW en Pologne, un groupe à l’université de Valence (Espagne) et EGO (European Gravitational Observatory), où est implanté l’interféromètre Advanced Virgo, financé par le CNRS, l’INFN et Nikhef.
LIGO est financé par la NSF, et piloté par Caltech et le MIT, qui ont conçu LIGO et dirigé le projet LIGO initial ainsi que la transition vers des détecteurs de deuxième génération, Advanced LIGO. Le financement du projet Advanced LIGO est assuré par la NSF, avec des contributions importantes de l’Allemagne (Max Planck Gesellschaft), du Royaume-Uni (Science and Technology Facilities Council) et de l’Australie (Australian Research Council). Plus de 1 200 scientifiques du monde entier participent à cet effort au sein de la collaboration LIGO, qui comprend la collaboration GEO et la collaboration australienne OzGrav. Les autres partenaires sont recensés sur la page http://ligo.org/partners.php.
Les publications scientifiques des collaborations LIGO et Virgo annonçant cette observation sont cosignées par 76 scientifiques de six équipes du CNRS et d'universités associées : - le laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris), à Paris ; - le laboratoire Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux (CNRS/Observatoire de la Côte d'Azur/Université Nice Sophia Antipolis), à Nice ; - le Laboratoire de l'accélérateur linéaire (CNRS/Université Paris-Sud), à Orsay ; - le Laboratoire d'Annecy de physique des particules (CNRS/Université Savoie Mont Blanc), à Annecy; - le Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/UPMC/ENS/Collège de France), à Paris ; - le Laboratoire des matériaux avancés (CNRS), à Villeurbanne.
Notes : 1 Les ondes gravitationnelles sont des « messagers » du cosmos complémentaires des observations astronomiques traditionnelles, basées sur l'ensemble du spectre lumineux (lumière visible, UV, infrarouge, ondes radios, rayons X et gamma), les rayons cosmiques ou les neutrinos. 2 Soit 120 fois la taille de la pleine Lune dans le ciel. 3 DLT40, VISTA, MASTER, DECam, et Las Cumbres, qui observent comme Swope dans la partie visible du spectre lumineux. 4 Répartition de l'intensité lumineuse en fonction de la longueur d'onde (les différentes couleurs, pour la lumière visible).
Références : GW170817: Observation of gravitational waves from a binary neutron star inspiral, The LIGO Scientific Collaboration & The Virgo Collaboration. Physical Review Letters, 16 octobre 2017. DOI:10.1103/PhysRevLett.119.161101 Multi-messenger Observations of a Binary Neutron Star Merger, The LIGO Scientific Collaboration & The Virgo Collaboration avec une cinquantaine d'autres collaborations. The Astrophysical Journal Letters, in press (2017). DOI:10.3847/2041-8213/aa91c9 Gravitational Waves and Gamma Rays from a Binary Neutron Star Merger: GW170817 and GRB 170817A, The LIGO Scientific Collaboration & The Virgo Collaboration avec les collaborations Fermi et INTEGRAL. The Astrophysical Journal Letters, in press (2017). DOI:10.3847/2041-8213/aa920c A standard siren measurement of the Hubble constant with GW170817, The LIGO Scientific Collaboration & The Virgo Collaboration, The 1M2H Collaboration, The Dark Energy Camera GW-EM Collaboration & the DES Collaboration, The DLT40 Collaboration, The Las Cumbres Observatory Collaboration, The VINROUGE Collaboration & The MASTER Collaboration.Nature, 16 octobre 2017. DOI: 10.1038/nature24471 Spectroscopic identification of r-process nucleosynthesis in a double neutron star merger, E. Pian, P. D'Avanzo, S. Benetti, M. Branchesi, E. Brocato, S. Campana, E. Cappellaro, S. Covino, V. D'Elia, J. P. U. Fynbo, F. Getman, G. Ghirlanda, G. Ghisellini, A. Grado, G. Greco, J. Hjorth, C. Kouveliotou, A. Levan, L. Limatola, D. Malesani, P. A. Mazzali, A. Melandri, P. Møller, L. Nicastro, E. Palazzi, S. Piranomonte, A. Rossi, O. S. Salafia, J. Selsing, G. Stratta, M. Tanaka, N. R. Tanvir, L. Tomasella, D. Watson, S. Yang, L. Amati, L. A. Antonelli, S. Ascenzi, M. G. Bernardini, M. Boër, F. Bufano, A. Bulgarelli, M. Capaccioli, P. G. Casella, A. J. Castro-Tirado, E. Chassande-Mottin, R. Ciolfi, C. M. Copperwheat, M. Dadina, G. De Cesare, A. Di Paola, Y. Z. Fan, B. Gendre, G. Giuffrida, A. Giunta, L. K. Hunt, G. Israel, Z.-P. Jin, M. Kasliwal, S. Klose, M. Lisi, F. Longo, E. Maiorano, M. Mapelli, N. Masetti, L. Nava, B. Patricelli, D. Perley, A. Pescalli, T. Piran, A. Possenti, L. Pulone, M. Razzano, R. Salvaterra, P. Schipani, M. Spera, A. Stamerra, L. Stella, G. Tagliaferri, V. Testa, E. Troja, M. Turatto, S. D. Vergani, D. Vergani. Nature, 16 octobre 2017. DOI: 10.1038/nature24298 Au total, plus d'une cinquantaine de publications scientifiques sont actuellement en préparation sur ces observations.
J’ajoute quelques précisions : La notion de multi-messagers repose surtout sur le fait qu’on n’utilisait jusqu’ici, pratiquement que des photons. Qu’il s’agisse de lumière ou d’ondes électromagnétiques, ça reste un flux de photons animé d’oscillations dont les fréquences nous font faire la distinction entre lumière visible, invisible, rayonnement (X, gamma, …) et ondes radio. Tout ça n’est en fait qu’un flux de photons plus ou moins énervés.
Les neutrinos restent quasiment inexploitables tant leur furtivité est grande, on est déjà contents de les observer, de là à les analyser…
Le scoop ici est que le message nous vient d’un messager jusqu’ici inexploité : La distorsion de l’espace-temps. Comme pour les neutrinos, les capteurs sont si peu sensibles qu’il est rarissime d’analyser un signal. L’observation par ce biais ne remplacera pas celle des photons mais elle met en oeuvre un ensemble pluridisciplinaire de théories dont beaucoup n’étaient que partiellement prouvées à ce jour. Donc, en plus de nous « ouvrir les yeux » sur l’espace-temps, cette observation simultanée valide une tripotée de spéculations plus ou moins démontrées.
Là où on fait un peu dans le sensationnalisme selon moi, c’est la synthèse de métaux lourds. Les rémanents de supernovae en sont pleins et la probabilité d’une supernova est bien plus élevée que celle d’une collision d’étoile à neutrons (au moins deux fois plus élevée puisque ces objets sont la conséquence d’une supernova, mais dans les faits, bien plus élevée encore)
Notre soleil a plus probablement « vu le jour » dans un rémanent de supernova (comme la nébuleuse du crabe) que dans les débris d’une collision d’étoiles à neutrons.
C’est humain de spéculer pour propager des émotions chez ses semblables mais dans ce cas précis, les conséquences de cette théorie sont trop profondes pour s’arrêter à une telle interprétation.