La perte de biodiversité : un risque pour la santé

Une nouvelle génération d’antibiotiques, de nouveaux traitements contre les pertes osseuses ou problèmes de reins, médicaments anticancéreux, tout cela pourrait être perdu si le monde ne réussit pas à inverser la tendance rapide à la perte de la biodiversité. Telles sont les conclusions d’un important ouvrage.

Le monde naturel détient les secrets de l’élaboration d’une nouvelle sorte d’antalgiques moins dangereux et plus efficaces ; des traitements contre une des principales cause de cécité, la dégénérescence de la macula et l’étude des tritons et de salamandres, par exemple.

Cependant, les experts préviennent que de nombreuses formes de vie terrestre et marines qui ont un intérêt économique et médical pourraient disparaître avant que nous puissions en connaître les secrets et parfois même, avant même de savoir qu’elles existent.

Un nouveau livre, "Sustaining Life", est l’ouvrage le plus complet sur le sujet et, à ce jour, il constitue un outil inédit pour la sauvegarde de la nature.

Un traitement prometteur contre l’ulcère gastroduodénal perdu

Selon les auteurs de ce livre, les grenouilles à incubation gastrique (Rheobatrachus), découvertes dans la forêt vierge en Australie dans les années 1980, illustrent parfaitement les pertes que peut entraîner la disparition d’espèces.

Ces grenouilles faisaient incuber leurs oufs dans leur propre estomac. Chez tous les autres animaux ils auraient été digérés par les enzymes et les acides.

Les études préliminaires ont montré que les bébés grenouilles produisaient une substance, ou peut-être plusieurs, qui inhibaient la sécrétion d’acides et d’enzymes et empêchait la mère de vider son estomac dans les intestins pendant que les jeunes se développaient.

Les auteurs soulignent que la recherche sur les grenouilles à incubation gastrique aurait pu favoriser la prévention et le traitement de l’ulcère gastroduodénal qui touche près de 25 millions de personnes, rien qu’aux États-Unis.

"Mais ces études n’ont pas pu être poursuivies parce que les deux espèces de Rheobatrachus ont disparu, emportant pour toujours avec elles leurs importants secrets, si utiles pour la médecine" disent Eric Chivian et Aaron Berstein, les principaux auteurs du livre, qui travaillent au Centre de santé et de l’environnement mondial de l’Université de médecine de Harvard.

Ces découvertes interviennent alors que la Neuvième réunion des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique(CDB)du Programme des Nations Unies pour l’Environnement(PNUE)se tient à Bonn, Allemagne, en Mai prochain.

A cette occasion, les délégués de près de 190 pays, chefs d’entreprises, universitaires et membres de la société civile étudieront comment freiner la disparition de la biodiversité d’ici 2010.

"Sustaining Life", le travail de plus de 100 experts publié par l’Université d’ Oxford, a été financé par le PNUE, le Secrétariat de la CDB, le Programme des Nations Unies pour le Développement(PNUD) et l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature(UICN).

Au centre de ce livre, un chapitre est consacré à l’étude de sept groupes d’organismes menacés qui présentent un grand intérêt pour la médecine. Il s’agit des amphibiens, ours, conidaes, requins, primates, gymnospermes et limules, qui mettent en évidence ce que coûtera l’extinction des espèces à la santé humaine.

Ces disparitions concernent des perspectives prometteuses pour la recherche médicale et de nouveaux traitements, produits pharmaceutiques et tests de diagnostic.

Les experts, y compris les auteurs, insistent sur le fait que les conclusions de ce livre ne constitue pas un blanc-seing à l’exploitation des espèces sauvages qui mettrait encore plus de pression sur des espèces déjà menacées, vulnérables et fragiles.

Ils considèrent au contraire que c’est un encouragement à plus de conservation et une meilleure gestion des espèces et des écosystèmes qu’elles habitent.

Amphibiens

La classe des amphibiens est constituée des grenouilles, crapauds, tritons, salamandres et gymnophiona(des organismes apodes peu connus qui ressemblent à des vers de terre géants). Près d’un tiers des quelques 6 000 espèces d’amphibiens connues sont menacées d’extinction.

Ces animaux produisent un grand nombre de substances nouvelles dont certaines ne sont sécrétées que par les amphibiens vivant dans la nature et pas par ceux vivant en captivité.

Parmi celles-ci, on peut citer:

Les pumiliotoxines, comme celles sécrétées par les grenouilles venimeuses du Panama(dendrobates) grâce auxquelles on pourrait élaborer des médicaments qui renforcent les contractions du c?ur, pouvant servir à soigner les maladies cardiaques.

Les alcaloïdes, sécrétés par les grenouilles venimeuses de l’Équateur, qui pourraient être la source de nouveaux antalgiques.

Des antibactériens produits par la peau des grenouilles et des crapauds comme le xenopus d’Afrique et les grenouilles feuille d’Amérique du Sud et centrale.

Les bradykinines et maximakinines, sécrétées par les glandes de la peau d’espèces comme le sonneur (crapaud) à ventre de feu (Bombina maxima) chinois ; la grenouille feuille du Mexique ; et la grenouille des marais (Rana palustris) d’Amérique du Nord, qui dilatent les muscles souples des vaisseaux sanguins des mammifères et donc offrent des perspectives prometteuses pour le traitement de la tension artérielle.

Certaines grenouilles, comme la grenouille australienne, sécrètent une colle qui sert d’adhésif naturel pour réparer le cartilage et autres déchirures musculaires chez l’homme.

Beaucoup d’espèces de tritons et de salamandres, telle que le triton vert à points rouges (Notophthalmus viridescens), peuvent reconstituer certains tissus, notamment ceux du c?ur, les tissus nerveux de la moelle épinière et même des organes entiers. Come nous sommes relativement proches de ces espèces, elles pourraient nous aider à comprendre comment nous pourrions peut-être un jour stimuler notre potentiel régénératif dormant.

Certaines grenouilles, comme la rainette versicolore (Hyla versicolor) et la rainette faux-grillon de l’Ouest (Pseudacris triseriata), peuvent survivre de longues périodes de gel, sans subir de dommages cellulaires. Si nous comprenons comment elles font, nous saurons mieux préserver les organes nécessaires à une transplantation.

Ours

Six espèces d’ours sont menacés d’extinction, parmi lesquels l’ours polaire, le panda géant et l’ours noir d’Asie.

Les ours sont menacés par les mêmes dangers que les amphibiens, sauf qu’ils sont aussi chassés pour leurs organes comme la vésicule, qui peut atteindre des prix élevés sur le marché noir en Chine, au Japon et en Thaïlande.

La recherche sur les ours a permis plusieurs découvertes médicales, notamment la transformation de l’acide ursodésoxycholique, trouvé dans la vésicule biliaire de certaines espèces d’ours comme les ours blancs et les ours noirs, en médicament.

Cette substance est utilisée pour prévenir la sécrétion de bile pendant la grossesse. Elle permet de dissoudre certaines sortes de calculs biliaires et peut prolonger la vie des patients atteints d’une maladie du foie, la cirrhose biliaire primitive, en laissant plus de temps pour faire une transplantation de foie.

Certaines espèces d’ours, appelée "hibernant" parce qu’ils peuvent entrer dans un état de sommeil profond quand la nourriture est rare, ont beaucoup de valeur pour la médecine parce qu’ils sont capables de recycler plusieurs substances corporelles.

Contrairement aux humains, qui ne peuvent pas rester au lit pendant cinq mois sans perdre jusqu’à un tiers de leur masse osseuse, les ours régénèrent leurs os pendant l’hibernation.

L’ours semble produire une substance qui inhibe les cellules qui fragilisent les os et fabrique des substances qui favorisent la fabrication de cellules osseuses et cartilagineuses. Actuellement, les fractures de la hanche causent 740,000 décès par an, la plupart due à l’ostéoporose. D’ici 2050 on estime à six millions le nombre de fractures de la hanche liées à l’ostéoporose.

Quand il hiberne, un ours peut survivre pendant cinq mois ou plus sans évacuer ses excréments alors que l’excédent de ces substances toxiques tuerait un humain en quelques jours seulement.

Dans le monde, environ 1,5 million de personnes sont soignées pour une maladie rénale au stade terminale et plus de 80,000 personnes en meurent chaque année, rien qu’aux États-Unis. En étudiant l’hibernation des ours, on pourrait comprendre comment mieux soigner ces personnes et permettre à un grand nombre d’entre elles de survivre.

L’étude de l’hibernation nous permettrait peut-être aussi de trouver des moyens pour traiter les diabètes de types I et II ainsi que l’obésité. On dénombre 150 à 200 millions de cas de diabète de type II dans le monde.

Les Gymnospermes, les pins et les épinettes

Près de mille espèces de gymnospermes ont été identifiées. Il s’agit des végétaux parmi les plus vieux du monde, mais de nombreux groupes, comme les cycadales sont classées comme menacées.

On a déjà isolé plusieurs produits pharmaceutiques, comme les décongestionnants et le médicament anticancéreux Taxol.

Les chercheurs pensent que beaucoup reste encore à découvrir et pourrait être perdu si certaines espèces de gymnospermes disparaissaient.

Certaines substances d’une gymnosperme, le Ginkgo, limitent la production de récepteurs du système nerveux humain liés à la perte de mémoire. Ils peuvent donc permettre de lutter contre la maladie d’Alzheimer. Ils peuvent aussi servir à traiter l’épilepsie et la dépression.

Les conidae

Il existe près de 700 espèces de conidae, dont seulement sept ont été identifiées depuis 2004. Si seulement quatre d’entre elles sont maintenant classées vulnérables, aucune évaluation approfondie n’a été réalisée depuis plus de dix ans et les listes actuelles pourraient sous-estimer le véritable nombre d’espèces de conidae menacées

Par exemple plus de la moitié de la zone de répartition de près de 70 % des quelques 380 conidae étudiés, dans les récifs coralliens, leur principal habitat, est menacée.

Les espèces de conidae peuvent produire entre 70 000 et 140,000 composés de peptide, dont un grand nombre intéressent la médecine humaine. Cependant, à peine quelques centaines ont été caractérisées.

L’un des composés, la ziconotide, semble être 1000 fois plus puissante que la morphine et, en essai clinique, elle s’est révélée un antalgique bien plus efficace pour les patients atteints de cancer ou du SIDA. Lors d’essais sur les animaux d’un autre composé des conidae, les cellules du cerveau semblaient être préservées de la mort en cas de mauvais afflux sanguin. Cette substance pourrait constituer une thérapie révolutionnaire pour les personnes souffrant de traumatismes crâniens ou d’accident vasculaire cérébral. Elle pourrait aussi servir à soigner les maladies de Parkinson et d’Alzheimer.

Les peptides des conidae pourraient aussi servir à traiter l’incontinence urinaire et les arythmies cardiaques.

Les requins

Il existe au moins 400 espèces de requins, qui, en tant que groupe, remontent à des temps anciens, à 400 à 450 millions d’années.

De nombreuses espèces sont maintenant menacées, comme par exemple le requin-marteau halicorne, le requin blanc et le requin renard, qui ont vu leur population diminuer de 75 % au cours de ces 15 dernières années.

La surpêche en est la principale cause. Elle est due à un hausse de la demande en viande de requin qui remplace les poissons traditionnellement pêchés notamment dans la restauration rapide(fish and chips); la consommation accrue de soupe de requin ; les prises accessoires lors de la pêche au thon ; et le marché croissant des produits cartilagineux du requin à des fins médicales douteuses.

-La Squalamine, une substance isolée de requins comme la roussette, particulièrement abondante dans leur foie, peut favoriser la création d’une nouvelle génération d’antibiotiques et de traitements contre les infections fongiques ou protozoaires.

-Des études sont aussi en cours sur des composés de la squalamine comme anticancéreux et anorexigène.

-Des essais sont en cours pour étudier si la squalamine peut soigner la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui peut entraîner une grave perte de la vision. Cette substance pourrait arrêter la croissance de nouveaux globules sanguins dans la rétine, avec la perte de la fonction rétinienne et la cécité des patients.

-Les glandes à sel de certains requins sont aussi étudiées parce qu’elles peuvent nous permettre de mieux comprendre comment les reins humains fonctionnent et comment les ions chlorures sont transportés à travers les membranes. Cela aurait un intérêt pour soigner deux maladies, la mucoviscidose et la maladie kystique des reins.

-Les requins, parmi les premiers animaux avec un système immunitaire « acquis » qui fonctionne totalement, sont des modèles irremplaçables pour comprendre l’immunité humaine. Comme le soulignent les auteurs, « Tout ce que ces animaux peuvent nous apporter pour qu’on comprenne mieux comment fonctionne notre système immunitaire sera rapidement anéanti à cause des massacres dont ils sont victimes et des menaces qui pèsent sur eux partout dans le monde. »

Les limules

Il existe quatre espèces de limules, qui possèdent chacune quatre yeux et six organes de détection de la lumière, ainsi que de sang qui devient bleu cobalt quand il est exposé à l’air libre.

Comme seulement dix bébés survivent sur près de 90,000 ?ufs pondus par une femelle, ils sont extrêmement sensibles à la surpêche.

Autrefois ramassés et transformés pour être utilisés comme engrais, ils servent maintenant d’appât aux anguilles et aux bulots. Les limules tiennent aussi une place importante dans la chaîne alimentaire, surtout pour les oiseaux comme le bécasseau maubèche, qui mangent leurs oeufs en prévision des 16 000 km qu’ils vont parcourir pendant leur migration.

Les limules ont aussi beaucoup d’intérêt pour la médecine.

Plusieurs classes de peptides ont été isolées du sang de ces créatures et semblent tuer un grand nombre de bactéries.

Un autre peptide des limules a été transformé en un composé appelé T140 qui bloque le récepteur humain qui permet au Virus d’immunodéficience humaine(VIH) d’accéder aux cellules immunitaires du corps. Des essais précliniques indiquent que cette substance est au moins aussi efficace que l’AZT pour inhiber la réplication du VIH.

Le T140 semble aussi prometteur pour prévenir la diffusion de certains cancers comme la leucémie, le cancer de la prostate et du sein et peut aussi servir de traitement de l’arthrite rhumatoïde

D’autres cellules du sang des limules peuvent, par exemple, détecter la présence de certaines bactéries dans le liquide rachidien de personnes éventuellement atteintes de méningite cérébrale.

Ce test est assez sensible pour détecter un niveau de 1 picogramme par millilitre de solution, presque l’équivalent d’un grain de sucre dans une piscine olympique.

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Benoit

Rappelons que la biodiversité est aujourd’hui menacée – encore un peu plus – par le développement des agrocarburants, notamment les palmiers à huile en Indonésie, mais aussi le soja et la canne à sucre au Brésil, qui remplacent les forêts primaires. En prime, ces agrocarburants (à tort dénommés bio carburants), présentent un bilan CO2 désastreux : culture sur brulis, la forêt part en fumée. L’Indonésie est ainsi devenue un des principaux pourvoyeurs de gaz à effet de serre, depuis qu’elle brûle la forêt abritant les derniers Orangs-Outangs (7% de la forêt restante part en fumée chaque année dans ce pays).