La soie d’araignée inspire une nouvelle classe de polymères synthétiques fonctionnels

Les polymères synthétiques ont changé le monde qui nous entoure, et il serait difficile d’imaginer un monde sans eux. Cependant, ils ont leurs problèmes. Il est par exemple difficile, d’un point de vue synthétique, de contrôler précisément leur structure moléculaire. Il est donc plus difficile de régler finement certaines de leurs propriétés, comme la capacité de transporter des ions. Pour surmonter ce problème, Giuseppe Portale, professeur assistant à l’université de Groningue, a décidé de s’inspirer de la nature.

Le résultat a été publié dans Science Advances le 17 juillet : une nouvelle classe de polymères basés sur des matériaux semblables à des protéines qui fonctionnent comme des conducteurs de protons et pourraient être utiles dans de futurs dispositifs bioélectroniques.

J’ai travaillé sur des matériaux conducteurs de protons par intermittence depuis mon doctorat“, explique M. Portale. Je trouve fascinant de savoir ce qui fait qu’un matériau transporte un proton, c’est pourquoi j’ai beaucoup travaillé sur l’optimisation des structures à l’échelle nanométrique pour obtenir une plus grande conductivité“. Mais ce n’est qu’il y a quelques années qu’il a envisagé la possibilité de les fabriquer à partir de structures biologiques, semblables à des protéines. Il a eu cette idée avec le professeur Andreas Hermann, un ancien collègue de l’université de Groningue, qui travaille maintenant au DWI – Leibniz Institute for Interactive Materials en Allemagne. Nous avons immédiatement pu constater que les biopolymères conducteurs de protons pouvaient être très utiles pour des applications telles que la bioélectronique ou les capteurs”, explique M. Portale.

Plus de groupes actifs, plus de conductivité

Mais d’abord, ils devaient voir si l’idée fonctionnerait. Portale : “Notre premier objectif était de prouver que nous pouvions régler avec précision la conductivité des protons des polymères à base de protéines en ajustant le nombre de groupes ionisables par chaîne de polymère“. Pour ce faire, les chercheurs ont préparé un certain nombre de biopolymères non structurés comportant différents nombres de groupes ionisables, en l’occurrence des groupes d’acide carboxylique.

Leur conductivité protonique s’échelonnait linéairement en fonction du nombre de groupes d’acide carboxylique chargés par chaîne. Ce n’était pas révolutionnaire, tout le monde connaît ce concept. Mais nous avons été ravis de pouvoir réaliser quelque chose qui a fonctionné comme prévu“, déclare M. Portale.

Pour l’étape suivante, M. Portale s’est appuyé sur son expertise dans le domaine des polymères synthétiques : “J’ai appris au fil des ans que la nanostructure d’un polymère peut grandement influencer la conductivité. Si vous avez la bonne nanostructure, elle permet aux charges de se regrouper et d’augmenter la concentration locale de ces groupes ioniques, ce qui augmente considérablement la conductivité des protons“. Comme le premier lot de biopolymères était complètement amorphe, les chercheurs ont dû passer à un autre matériau. Ils ont décidé d’utiliser une protéine connue qui avait la forme d’un tonneau. “Nous avons conçu cette protéine en forme de tonneau et ajouté des brins contenant de l’acide carbocyclique à sa surface“, explique M. Portale. Cela a considérablement augmenté la conductivité.

Nouveau polymère de soie d’araignée

Malheureusement, le polymère en baril n’était pas très pratique. Il n’avait pas de résistance mécanique et était difficile à traiter, si bien que M. Portale et ses collègues ont dû chercher une alternative. Ils se sont donc retrouvés sur un polymère naturel bien connu : “la soie d’araignée. C’est l’un des matériaux les plus fascinants de la nature, car il est très résistant mais peut aussi être utilisé de nombreuses manières différentes”, explique M. Portale. “Je savais que la soie d’araignée a une nanostructure fascinante, nous avons donc mis au point un polymère protéique qui a la structure principale de la soie d’araignée, mais qui a été modifié pour accueillir des brins d’acide carbocyclique“.

Le nouveau matériau a fonctionné comme un charme.Nous avons découvert qu’il s’auto-assemble à l’échelle nanométrique, comme la soie d’araignée, tout en créant des groupes denses de groupes chargés, ce qui est très bénéfique pour la conductivité des protons“, explique M. Portale. “Et nous avons pu le transformer en une membrane robuste de la taille d’un centimètre”. La conductivité protonique mesurée était plus élevée que celle de tous les biomatériaux connus jusqu’alors, mais elle n’est pas encore atteinte, selon M. Portale : “Il s’agissait principalement d’un travail fondamental. Pour pouvoir appliquer ce matériau, nous devons vraiment l’améliorer et le rendre transformable“.

Rêves

Mais même si le travail n’est pas encore terminé, M. Portale et ses collègues peuvent déjà rêver d’appliquer leur polymère : “Nous pensons que ce matériau pourrait être utile comme membrane dans les piles à combustible. Peut-être pas pour les piles à combustible à grande échelle que l’on voit dans les voitures et les usines, mais plutôt à petite échelle. Le domaine des dispositifs bioélectroniques implantables est en pleine expansion, par exemple les stimulateurs cardiaques alimentés au glucose. Dans les années à venir, nous espérons découvrir si notre polymère peut y faire une différence, puisqu’il est déjà biocompatible“.

Pour le court terme, Portale pense surtout aux capteurs
. “La conductivité que nous mesurons dans notre matériau est influencée par des facteurs environnementaux, comme l’humidité ou la température. Donc si vous voulez stocker quelque chose à un certain taux d’humidité, vous pouvez placer ce polymère entre deux électrodes et mesurer simplement si quelque chose change. Cependant, avant que tous ces rêves ne deviennent réalité, il y a beaucoup de questions auxquelles il faut répondre. Je suis très fier que nous ayons pu contrôler ces nouveaux matériaux à l’échelle moléculaire et les construire à partir de zéro. Mais nous devons encore en apprendre beaucoup sur leurs capacités et voir si nous pouvons les améliorer encore plus“.

TR
Lien principal : www.rug.nl/corporate/index
Autre lien : dx.doi.org/10.1126/sciadv.abc0810

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