Les dessous du pétrole de Deepwater Horizon

Pour la première fois, des chercheurs ont prélevé du pétrole s’échappant directement à la base de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon. Ils ont pu comprendre comment la pollution se diffuse dans les profondeurs du Golfe du Mexique. L’enjeu : évaluer les répercussions sur la vie marine.

En avril 2010, l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon provoquait un drame humain et écologique sans précédents. Suite à la destruction du forage pétrolier, les spécialistes ont eu toutes les peines à juguler la fuite sous-marine. A près de 1’500 mètres sous la surface, ils ont dû travailler dans des conditions particulièrement difficiles en raison de la pression. Une configuration inédite, pour une pollution exceptionnelle. Une équipe de l’EPFL menée par Samuel Arey, en collaboration avec le Woods Hole Oceanographic Institution, a permis de lever le voile sur la façon dont se comporte le pétrole brut à ces profondeurs. Elle publie ces résultats dans la revue PNAS (Proceedings of the national Academy of Sciences).

En profondeur

A l’aide d’un sous-marin téléguidé, les chercheurs du Woods Hole ont pu atteindre la base de la colonne de forage qui s’est rompue près du fond océanique. En juin 2010, ils ont pu prélever des échantillons de pétrole brut directement à la sortie du flux. Les océanographes ont également effectué près de 200 autres mesures à différentes profondeurs et jusqu’à 30 kilomètres de la source. Ces prélèvements ont ensuite été analysés avec le concours de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

Ecoulement sous-marin de gaz

Des campagnes de recherche précédentes avaient révélé que le panache vertical d’hydrocarbures remontant à la surface se divisait vers 1’000 mètres de profondeur pour donner naissance à second un flux horizontal.

Pour la première fois, l’équipe de l’EPFL a pu mettre en évidence le rôle des gaz, tel que le méthane ou le benzène, dans la formation de cet embranchement. Sous la pression de l’eau, ces hydrocarbures légers changent de densité et cessent de remonter. En surface, ils s’évaporent dans l’atmosphère ; en profondeur, ils se dissolvent et se solidifient en fonction de la pression. De même, ce mélange complexe d’hydrocarbure plus ou moins solide peut monter, descendre ou même flotter et donc dériver. De la sorte, la pollution atteint des zones éloignées de la base du puits.

En comparant la composition du pétrole en sortie de forage et à la surface, Samuel Arey du Laboratoire de modélisation de la chimie environnementale et ses collègues ont pu expliquer la composition du second flux s’échappant du panache. Elle s’explique par la dissolution de certains gaz à cette profondeur, sous l’effet de la pression. Une part importante de la fuite s’échappe de la sorte, il est donc nécessaire d’avoir une évaluation plus précise que de l’impact sur la vie marine dans le futur. La méthode développée par Samuel Arey permet de mieux estimer l’ampleur et la diffusion de la pollution, notamment sous l’eau.

Cette modélisation permet de comprendre comment se diffuse la pollution aux différentes profondeurs et de mieux estimer la quantité de pétrole émise, ainsi que son impact sur l’environnement. «Modéliser l’impact écologique, notamment sur l’écosystème sous-marin, nécessitait une nouvelle approche, plus globale, pour correctement comprendre l’impact de la pollution», explique Samuel Arey.

Ces travaux sont d’une grande importance pour pouvoir prendre les bonnes décisions et protéger la nature.

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Pastilleverte

Bravo les modèles ! On découvre qu’il y a des courants marins à diverses profondeurs, et que, par conséquent les résidus de la pollution se retrouvent à des endroits très éloignés du puits endommagé. Fort bien ! Mais qu’en est-il de l’impact réel sur la vie marine ? La suite au prochain épisode ?

Sternearctique

Et en eaux froides, comme celles du Golfe du Saint-Laurent, où l’on projette d’exploiter le gisement pétrolier Old Harry, ou de l’Atlantique où plusieurs plates-formes de forage sont en opération, le même phénomène pourrait-il survenir advenant une catastrophe semblable à celle de Deepwater Horizon?

jl06

La température de l’eau joue relativement peu car à ces profondeurs, elle est sensiblement constante à environ 4°C (c’est une généralisation). Par contre, la profondeur d’eau dans le Golfe du Saint Laurent au site de Old Harry est d’environ 450 m, contre 1500 m pour Macondo-1 (le site de la catastrophe du Deepwater Horizon, DWH). Mais la différence la plus importante concerne le champ pétrolier lui-même et on ne peut pas conclure a priori. SI un accident tel que celui du DWH devait survenir sur le site de Old Harry, les hydrocarbures seraient libérés dans l’eau de mer à une pression de 45 bars environ (450 m de fond) contre plus de 150 au site de Macondo-1. Pour comprendre ce qui pourrait alors se passer, il faut connaître la nature des hydrocarbures et leur composition. C’est alors qu’un modèle tel que celui de l’EPFL pourrait être appliqué pour savoir si une séparation de la phase liquide peut avoir lieu en cours de remontée dans l’eau avec apparition d’une phase de densité équivalente à celle de l’eau de mer à un niveau donné de la colonne. Ce qui est certain, c’est que l’étude de l’EPFL devrait aujourd’hui obliger les opérateurs à inclure ce phénomène dans leurs études de risques (le régulateur peut imposer de telles études). Dans le cas d’un puits d’exploration où la composition des hydrocarbures est mal connue avant le forage, il faudrait faire des études de sensibilité à la composition pour comprendre les différents scenarios. Au delà de ces considérations, ça vaut la peine de se pencher sur les différentes revues de la catastrophe DWH pour comprendre ce qu’il faudrait faire mieux ailleurs: qualité des analyses de risque, spécificité des recommandations, capacité de réponse… que ce soit pour éviter la perte de contrôle du puits ou pour limiter l’impact d’une éruption incontrolée. En ce qui concerne le Golfe du Saint Laurent, la spécificité des courants, de la topographie, de l’éco-système et du climat imposent leur propres contraintes.

jl06

L’étude parait modeste, mais la portée de ces résultats va au-delà des apparences. Tout d’abord, il ne s’agit pas simplement de reconnaître l’effet des différents courants qui affectent une colonne d’hydrocarbures sur une hauteur d’eau de 1500 m (c’est déjà quelque chose), mais d’y intégrer le comportement en pression (surtout, mais température aussi) des hydrocarbures. Fait significatif: le changement de composition qui résulte de la baisse de pression qui accompagne la remontée des hydrocarbures (moins denses que l’eau en sortie de tête de puits, à 1500 m de profondeur) provoque une séparation de phases, notamment vers 1000 m. Or une au moins de ces phases a alors une densité proche de celle de l’eau de mer environnante, ce qui lui permet de se déplacer sur de grandes distances latérales. Les informations que j’ai pu trouver ne précisent pas les proportions (% qui migre latéralement, % qui continue à remonter), mais on peut penser que les proportions sont significatives puisqu’elles doivent expliquer les observations qui avaient mis à jour le phénomène (des caméras sous-marines avaient détecté des nappes d’hydrocarbures à différentes profondeurs). Cette modélisation devrait donc guider les véritables études d’impact environnemental en orientant les relevés (distance du puits, profondeur), ce qui permettra une meilleure réponse aussi. Il faut sans doute y voir également un élément supplémentaire dans les batailles légales et financières du règlement du désastre. On se souvient que les estimations officielles de débit du puits avaient oscillé autour de 1000 barils/jour dans les premiers jours, pour évoluer vers 5000, 15000, 25000 et plus. En l’absence de mesures directes, les premières estimations avaient eu recours aux bilans matières. Or cette étude démontre aujourd’hui que la partie observable en surface n’est pas proche de la totalité, puisqu’une partie (importante je pense, mais encore une fois je n’ai pas les données) flotte et dérive aux alentours de 1000 m de profondeur. Pour mémoire, depuis que la pression du puits a pu être mesuré au cours des opérations de sauvetage, le débit initial du puits a été estimé à 64000 b/j, diminuant jusqu’à 53000 b/j avant d’être maitrisé. Le prochain épisode devrait consister en une réconciliation de ces données de façon à permettre de meilleure estimation de débit sous-marins à grandes profondeur (et nous espérons tous que ça ne servira qu’à interpréter des évènements historiques et pas à venir…).