Les gagnant-es et perdant-es de la transition énergétique

Le «Green Deal» européen vise la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité, ce qui pourrait avoir des répercussions économiques et sociales considérables en Europe centrale. Certaines régions bénéficieront de nouvelles possibilités d’emploi et d’une réduction de la pollution atmosphérique, alors que d’autres seront confrontées au chômage suite à la fermeture des centrales au charbon et nucléaires. Une telle transition vers l’électricité renouvelable risque donc de générer des gagnant-es et des perdant-es.

Dans une étude publiée dans Nature Communications, des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) quantifient les impacts régionaux associés aux objectifs de l’Europe centrale en matière d’électricité, ainsi que les inégalités en matière de coûts, d’emplois, d’émissions de gaz à effet de serre, et d’utilisation des sols. Une répartition uniforme et équitable des technologies entre les 650 régions analysées dans l’étude est possible, moyennant un compromis acceptable sur l’accroissement des coûts.

La réussite future des mesures de réduction des émissions de CO2 et de particules fines dépendra de l’acceptation par la société civile des technologies durables disponibles, de leurs coûts, mais aussi de leurs impacts sur la société et les régions. «Une technologie donnée va impacter plus particulièrement certaines régions. Les éoliennes, par exemple, s’implantent préférentiellement dans les régions venteuses des côtes océaniques pour en tirer toute l’efficience et maximiser la production d’énergie électrique annuelle. En parallèle, cette technologie peut dégrader le paysage et se répercuter négativement sur l’acceptation de son implantation par les populations locales. A contrario, des emplois peuvent être créés localement.», précise Jan-Philipp Sasse, doctorant à l’Institut des sciences environnementales de la faculté des Sciences de l’UNIGE. Les possibilités d’implantation d’électricité renouvelable ainsi que les coûts varient significativement d’une région d’Europe centrale à l’autre. Se concentrer uniquement sur des objectifs d’efficience économique peut donc engendrer des inégalités entre les régions. À l’inverse, fixer uniquement des objectifs sociaux aurait une influence négative sur les couts.

Les régions sous la loupe

Afin de trouver le bon compromis, le groupe de recherche sur les systèmes d’énergie renouvelable de l’UNIGE a modélisé 100 scénarios plausibles en termes de faisabilité technique et économique pour le secteur électrique d’Europe centrale d’ici 2035. Les chercheurs/euses en ont tiré des compromis ayant pour objectif le rendement économique, la maximisation du taux d’énergie renouvelable et l’égalité entre les régions.

Pour adresser les aspects régionaux, une très haute résolution spatiale a été prise en compte. «La taille des territoires pris en compte est l’équivalent d’un canton suisse. C’est la plus grande étude de modélisation jamais réalisée qui inclut des considérations égalitaires avec une telle résolution spatiale!», se réjouit Jan-Philipp Sasse. Concrètement, l’étude se focalise sur 650 régions de six pays d’Europe centrale: la Suisse, La France, La Pologne, l’Autriche, l’Allemagne et le Danemark. Elle considère les principales technologies génératrices d’électricité renouvelable que sont le solaire, l’éolien, la biomasse et l’hydraulique, et évalue leur impact régional sur les coûts, l’emploi, les émissions de particules et de CO2 et l’utilisation des espaces. «Sur les 100 scénarios, nous avons sélectionné les trois les plus extrêmes pour mettre en avant les compromis nécessaires pour atteindre nos différents objectifs», explique Jan-Philipp Sasse.

Égalité régionale à moindres frais

L’étude montre que ces trois scénarios nécessitent des mises en œuvre très différentes ayant chacune ses propres impacts régionaux. Le scénario visant une minimisation des coûts crée des économies et des emplois dans quelques régions seulement, il favorise donc les inégalités régionales. Le scénario visant l’égalité régionale encourage une répartition plus équilibrée des coûts et des emplois ainsi qu’une réduction des émissions, mais a un impact négatif sur l’utilisation des terres. Le scénario maximisant la production d’électricité renouvelable est celui qui a le plus d’impact sur l’élévation des coûts et sur la surutilisation des terres.

«Aucun objectif ne peut donc être atteint sans impacter les autres et des compromis doivent être trouvés pour mener à bien la transition,» rajoute le jeune chercheur. L’étude démontre qu’un compromis viable est possible pour que les coûts et les bénéfices des énergies renouvelables soient répartis de manière uniforme entre les régions, sans favoriser ni prétériter l’une ou l’autre.

«L’augmentation des coûts ne peut être évitée, mais elle pourrait être acceptable si les objectifs environnementaux et sociaux sont abordés de manière équitable», précise le chercheur.

Justice et équité

Les pays d’Europe centrale ont mis sur pied des stratégies et des plans ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici une quinzaine d’années. «Par exemple, indique Jan-Philipp Sasse, d’ici 2035, la Suisse ambitionne de produire environ quatre fois plus d’électricité issue d’énergie renouvelable non hydraulique qu’aujourd’hui. La France, de son côté, voudrait diminuer de 50 % sa production nucléaire. C’est énorme!».

Les modèles de systèmes énergétiques sont des outils permettant aux décideurs/euses politiques de naviguer dans la transition en quantifiant la faisabilité technique et la rentabilité des stratégies d’énergie verte. Cependant, la plupart des modèles ne parviennent pas à fournir une image plus globale des inégalités associées à la transition.

«Les politicien-nes et les décideurs/euses savent que sans équité et justice, les citoyen-nes n’adhéreront pas à ces objectifs qui risquent de devenir caducs», ajoute-t-il. Cette étude les dote désormais d’un outil intégrant des objectifs d’égalité sociale et régionale.

CP
Lien principal : www.unige.ch/

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Lionel_fr

Pas sûr qu’il faille vraiment passer des messages subliminaux en s’habillant du jargon des études scientifiques. J’ai parcouru l’étude en question et ne me retrouve dans aucun des scénarios décrits.

Je lis pas mal d’études en général et il faut bien dire que depuis le scandale du Lancet à propos de d’étude falsifiée sur la chloroquine, ce langage a perdu de sa superbe. (rien à voir avec le médicament, c’est un problème de méthode)

Mon travail a toujours consisté à faire beaucoup de statistiques et à les relier entre elles par des moyens arithmétiques. Non seulement les méthodes sont subjectives mais en plus, la révolution Big Data/Machine Learning est passée par là.

A cette complexité s’ajoutent la qualité des données disponibles, les coûts de chaque technologie pondérés par les aides qui sont énormes dans ce secteur… Ne pas oublier leur évolution dans le temps parce que 15 ans, c’est long !

Voici 15 ans , un panneau solaire de 100 W coûtait 630 euros, aujourd’hui on trouve des panneaux de 300 W à 80 euros… bref…

La vieille étude “papier” où on décide du nombre de scénarios en amont a décidément du plomb dans l’aile.

Dans une étude moderne, le nombre de scénarios est infini et on a une interface web pour déplacer des curseurs, parmi lesquels, figure une date !

Papoumontchat

D’abord, l’écriture inclusive n’est pas correcte en français !
Ensuite, le meilleur scénario qui coûte le moins cher est de garder les centrales nucléaires existantes et de développer le parc, comme fait la Chine;
Enfin, comme démontré par les vrais scientifiques, l’effet de serre n’existe pas et le petit réchauffement constaté temporairement n’est pas dû au CO2, mais à l’influence des rayons cosmiques, en particulier du soleil, sur la création des nuages donc de la nébulosité.

Lespieg

Chaque année, des réacteurs nucléaires sont arrêtés à travers le monde, parfois trop vieux, parfois pas rentables et arrêtés 10 ou 20 ans avant l’expiration de leur licence.
En 2019, la capacité des réacteurs arrêtés a été supérieure à celle des réacteurs mis en service.

Les énergies renouvelables coûtent maintenant moins cher que le nucléaire pour la production d’électricité. En France, alors que le coût de l’électricité du vieux nucléaire dépasse déjà 60 euros le MWh, les EPR en construction atteignent les 120 euros le MWh en France et en Angleterre

En France, depuis 3 à 4 ans, le tarif d’achat pour les nouvelles éoliennes est d’environ 65 euros le MWh. Pour les nouvelles centrales solaires au sol, il est d’environ 55 euros le MWh.

Dans de nombreux pays, le nouveau éolien et le nouveau solaire produisent pour moins cher que le charbon et le gaz.

Ce qui est curieux, ce sont ces gens qui font la promotion du nucléaire et disent en même temps que le CO2 n’a rien à voir avec le réchauffement climatique. Alors que tout le discours de l’industrie du nucléaire consiste à mettre en avant les vertus supposées de celui-ci avec sa faible empreinte en CO2.

Lecoeur

Que vaut une centrale solaire au sol à 55 euros le MWh lorsqu’il n’y a pas de soleil ? La nuit par exemple ?
Peut on se contenter de n’avoir que des centrales solaires au sol à 55 euros le MWh donc d’un coût inférieur au nucléaire ?
Si oui que fait on la nuit ? On arrête de faire fonctionner les hôpitaux les trains les frigos les ordinateurs brefs tous ces secteurs non essentiels … 🙂 ?
Combien coûte un MWh de solaire au sol rendu pilotable par un moyen de stockage/déstockage complémentaire ?

Lespieg

Propos simpliste bien connu. A la différence de petites îles du Pacifique, la France n’a pas le seul soleil à sa disposition pour produire son électricité. Petites îles qui de leur côté remplacent peu à peu les générateurs diésel par des panneaux solaires pour la journée, complétés par des systèmes de stockage sur batterie. Pour ces îles, il n’y aura sans doute plus de diésel dans dix ans.

En France, et en Europe d’une façon générale, les énergies renouvelables sont nombreuses : solaire photovoltaïque, solaire thermodynamique en Espagne qui produit une partie de son électricité solaire en soirée et en cours de nuit, éolien terrestre et en mer, biomasse solide et liquide, biogaz, énergie marémotrice (La Rance) et bien évidemment l’hydraulique sous ses différentes formes, et encore le thermique des déchets renouvelables ou pas.

Pour le moment, le stockage de l’électricité solaire n’est pas une nécessité en France comme ailleurs en Europe, tant que d’autres moyens ne sont pas arrivés à leur fin de vie.

Pourtant, les systèmes de stockage sur batterie commencent à être associés aux centrales solaires, comme on le voit non seulement aux Etats-Unis mais aussi au Portugal.

Lors du dernier appel d’offres de ce pays, aucune subvention n’a été attribuée pour le solaire. Au contraire, les gagnants doivent payer un droit pour utiliser le réseau (subvention négative en sorte) et vendent sur le marché de gros en toute concurrence. La plupart des société ont une partie stockage dans leur proposition.

lionel-fr

Que vaut une centrale solaire la nuit ? Elle vaut la production hydraulique et le gaz qu’on a accumulé entre 11 et 16 heures. Cette consommation effacée par le solaire à midi constitue un stock obtenu avec un rendement de 100% (effacement plutôt que conversion). Evidemment, quand le solaire français atteindra les 50 GW, stopper les barrages et les centrales ne suffira plus.
C’est pourquoi l’UE , dans son infinie sagesse, a prévu de stocker jusqu’à 150 ans de consommation française sous forme d’hydrogène stocké dans d’anciennes mines de sel.

Ne parlons pas de coûts de stockage. Ce sujet est totalement anecdotique , de même que le coût des grèves d’EDF contre Hercule ou celui des campagnes facebook et youtube du groupuscule nucléaire. Ces coûts n’ont rien à voir avec la facture électrique. Il s’agit de monopole, d’hégémonie, de position dominante où les fournisseurs d’énergie semblent n’avoir d’autre projet que de prêcher leur religion radicale aux frais de leurs clients.

Le nucléaire n’a pas les moyens de survivre, parce que les anti sont immensément majoritaires dans le monde. L’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne et l’UE totalisent 450 GW de projets renouvelables. Combien d’EPR espérez vous extorquer aux français à cette échéance ? En 2030, l’EPR de Penly sera annulé bien avant sa mise en service.

Lespieg

Beaucoup de gens parlent du stockage de l’hydrogène sans savoir ce qu’il en est de façon concrète et réaliste. L’écart est considérable entre les spéculations théoriques et la réalité pratique.

Par exemple, à la suite d’une première étude, un projet de stockage de gaz naturel (qui pose moins de problèmes que l’hydrogène) dans les Landes avait été soumis à débat public auprès de la Cndp fin 2011. Ce projet portait sur la création de 12 cavités salines d’un volume de 400.000 m3 chacune (total 4,8 millions de m3) dans un diapir (dôme de sel) pour y stocker 600 millions de m3 utiles de gaz naturel (facteur 125). La pression “à vide” aurait été de 75 bars, nécessitant 360 Mm3 de gaz pour éviter l’effondrement de la structure, la pression maximum étant de 200 bars (atmosphères).

Pour créer cette cavité, il était nécessaire de construire un double pipeline de 45 km de long afin d’acheminer l’eau pompée en mer pour dissoudre le sel et rejeter ensuite la saumure dans la mer.

A la suite de l’opposition locale et d’une nouvelle étude approfondie, le projet a été abandonné en 2013.

Pour des raisons techniques, le stockage d’hydrogène peut seulement se faire en cavités salines et pas dans d’autres formations géologiques comme c’est le cas pour le gaz naturel et les hydrocarbures. D’un point de vue technique aussi, les dômes de sel présentent plus de garanties et de sécurité que les simples couches de sel (moins épaisses et moins en profondeur).

Ce ne sont pas d’anciennes mines de sel qui seraient utilisées, mais des cavités à creuser dans des couches de sel, à 500 ou 1.500 m de profondeur, avec tous les problèmes techniques, environnementaux (saumure) et économiques que cela pose.
Les cavités qui existent déjà pour le stockage du gaz naturel ne seraient pas disponibles pour l’hydrogène. En France, il n’existe que trois sites en cavités salines, pour un volume utile de gaz naturel de 830 Mm3 (pression normale), soit 9,1 TWh en énergie (IEA).

L’essentiel des formations salines se trouve en Allemagne et sous la mer du Nord.
En France, les localisations sont limitées à l’Alsace, la Bresse et le sud de la vallée du Rhône. Le problème, c’est qu’il n’y a pas ou peu d’utilisateurs de la saumure sur place et qu’il faudrait donc la transporter jusqu’à la mer : 600 km depuis l’Alsace …
Mais il y a d’abord un problème de disponibilité d’une énorme quantité d’eau pour le lessivage des cavités à construire. L’expérience des stations de dessalement d’eau de mer montre aussi les dégâts écologiques provoqués localement par le rejet de la saumure.

De plus, gros problème en fin de vie de la cavité, car il faut remettre de la saumure fortement concentrée afin de remplir celle-ci et maintenir la pression intérieure pour éviter l’effondrement. Lequel interviendra cependant plus ou moins tard, à un moment imprévisible. La situation s’est déjà produite.

Lionel_fr

Je me pose la question de la sensibilité des conclusions d’étude à celle des groupes de pression du pays où elles ont lieu.
Les détails techniques que vous donnez sont très intéressants mais quelle foi peut-on accorder aux CONCLUSIONS d’une étude qui juge la faisabilité d’une technique qui répond exactement au premier grief que le monde nucléaire reproche aux renouvelables ? En très gros, le stockage d’hydrogène à grande profondeur permet aux renouvelables de stocker pendant 6 mois leurs excédents qui seront destockés pendant l’hiver.
Quoi qu’ils en disent, les nucléaires érigent l’argument de l’intermittence comme un totem rendant caduque toute autre technologie.

La production d’hydrogène par électrolyse ne répond pas à une logique de court terme ni à une réflexion mono-critère comme nos scientifiques nationaux les aiment. (toutes choses égales par ailleurs)
C’est un choix muri, multi critères, multi paradigme qui intègre la dimension des échanges internationaux et de multiples synergies (industrie lourde, transport, chauffage) dont la production électrique de réseau (utility scale) est le parent pauvre puisque le moins rentable par unité de volume – quoique traitant des volumes très supérieurs…

Le choix de l’hydrogène n’est pas simple. Il intègre aussi le succès commercial de quelques pure players américains, tels que Ballard et les projections globales exploitant les calculs de la NASA et du GIEC.

Comment expliquer que les allemands semblent très favorables au stockage d’H2 dans des mines alors que les français nous assurent que seules les salines en sont capables. Les français ne sont pas débutants en matière de conclusions qui arrangent leur commanditaire, lequel ne fait l’objet d’aucune enquête de conflit d’intérêt.

Je crois qu’il faudrait s’intéresser à la fiabilité du groupe qui a rédigé votre étude dont, encore une fois, le descriptif technique est passionnant. Pourtant il est si facile de majorer artificiellement les contraintes de sécurité relatives à l’hydrogène… Faut-il rappeler que nos industriels en produisent 900 k tonnes par an depuis un demi siècle et qu’ils le facturent à l’industrie lourde à un prix qui n’a rien à voir avec l’énergie qu’il contient. Je crois savoir qu’Air Liquide est propriétaire du vaste réseau H2 de la région nord-ouest de l’Allemagne et qu’il y a investi pas loin d’un milliard d’euros. Quel intérêt cette société peut-elle avoir dans une baisse drastique de prix de l’hydrogène ?

J’ai peur que l’hydrogène en France ait beaucoup plus d’ennemis que d’amis. Clairement, l’intérêt du peuple français pour une économie hydrogène n’est absolument pas partagé par 99% de ses industriels. Pour résumer, je ne fais pas trop confiance dans les études commanditées par des industriels “endémiques” très impliqués.

Voici un lien sur l’étude allemande :
https://www.fz-juelich.de/iek/iek-3/EN/Home/home_node.html;jsessionid=07070E6308C437C83F9B8CD7DD9B8EF7

et pour rappel, sa reprise en français sur un site spécialisé dans le solaire :
https://www.pv-magazine.fr/2020/07/31/le-stockage-dhydrogene-dans-les-mines-de-sel-francaises/