Pourquoi 2015 sera une année charnière pour le marché du gaz ?

Le cabinet de conseil en stratégie A.T Kearney prévoit une hausse entre 30 et 40% des prix de gros sur le marché du gaz d’ici 2014 en Europe avant qu’il ne redevienne long et baissier à partir de 2015 : "En effet, nous quittons actuellement une période de surabondance de GNL au niveau mondial" prévient t-il.

Cette situation serait la conséquence de la chute de la demande liée à la crise financière de 2008 et de la mise en exploitation des gaz non conventionnels aux Etats-Unis. Ce contexte défavorable aurait freiné les investissements dans les infrastructures du GNL. Or explique A.T Kearney, depuis 2010, la demande mondiale en gaz naturel est de nouveau croissante à cause notamment de la reprise économique et de l’impact de la catastrophe de Fukushima. Aussi, il faudra attendre 2014-2015 pour que les nombreux projets (notamment en Australie et au Qatar) soient opérationnels et permettent d’augmenter sensiblement l’offre de GNL.

En parallèle, le marché européen du gaz est en train de basculer d’une période d’excédent d’approvisionnement à une période de déficit structurel en raison de la croissance de sa consommation et de la diminution de sa production. Contrairement aux Etats-Unis et bientôt à l’Asie, l’Europe ne devrait pas connaitre de révolution des gaz non conventionnels à court terme lui permettant de limiter sa dépendance aux importations de gaz. "Cela est principalement dû aux coûts de production, aux régulations plus strictes et aux implications environnementales."

« Ces différents facteurs rendent le marché européen beaucoup plus dépendant du marché mondial du gaz. Le GNL, qui représente moins de 10% de la consommation mondiale mais 30% des échanges, joue ainsi un rôle de plus en plus critique dans la formation des prix du gaz en Europe, précise Laurent Dumarest, Associé responsable du département Energy & Utilities du bureau parisien. Pendant cette période de tension, les prix de marché du gaz vont en fait temporairement combler l’écart avec les prix indexés sur le cours du pétrole. C’est seulement à partir de 2015 et la mise en service d’importantes capacités de liquéfaction que le marché sera en mesure de se détendre ».

A partir de 2015, l’offre mondiale de gaz redeviendra abondante entraînant une baisse des prix et un nouveau découplage avec le prix du pétrole. Du fait des structures de coûts de production et de transport, A.T. Kearney estime que le prix du gaz ne pourra descendre en dessous du seuil plancher de 15 €/MWh entre 2015 et 2020.

Conséquences pour les acteurs du marché

Au niveau réglementaire, la politique européenne de l’énergie favorise le développement rapide de places de marché (gas hubs) de plus en plus liquides, créant une pression croissante sur les contrats d’importation indexés sur le pétrole. Nous devrions ainsi assister après 2015 à la réduction significative des contrats de gaz indexés au prix du pétrole et à l’accroissement des activités de trading.

Ces évolutions auront de fortes implications sur les différents acteurs selon leur position sur la chaîne de valeur du gaz. Si les producteurs et les importateurs se retrouveront dans des situations plus confortables grâce à l’augmentation du prix du gaz européen à court terme, ils devront mettre à profit ce répit pour s’adapter à la nouvelle donne.

Certains acteurs comme GDF-Suez, Gazprom ou E-ON ont d’ores et déjà commencé à renforcer leur intégration vers l’amont ou vers l’aval afin d’optimiser leur portefeuille de risques. Les producteurs devront gagner en flexibilité contractuelle pour tenir compte du développement du marché du GNL et renforcer leurs activités et compétences de trading. Les importateurs et grossistes quant à eux devront mettre en place une gestion très dynamique de leurs approvisionnements pour appréhender la complexification des échanges de gaz, entre anciens et nouveaux contrats à long terme, diversification des approvisionnements et développement des marchés spots. A cause de la baisse structurelle des prix, les distributeurs devront faire face à une baisse équivalente de leurs marges et ainsi repenser leur business model. C’est toute l’industrie du gaz, de l’amont à l’aval, qui va devoir s’adapter à cette nouvelle donne.

« La liquidité accrue des marchés permettra à la fois de faire émerger des acteurs spécialisés et de mieux gérer les risques pour les acteurs intégrés, indique Laurent Dumarest. La part des approvisionnements sur le marché de gros du gaz est appelée à croitre aux dépens des contrats long-termes. Les tarifs régulés n’auront alors d’autre choix que de mieux refléter la part croissante des marchés de gros dans les approvisionnements de gaz. »

Conséquences pour les utilisateurs finaux

Pour le consommateur final, l’impact de la hausse des prix du gaz sur le marché aura un impact essentiellement sur les grands clients et l’industrie. Les consommateurs résidentiels ne ressentiront que faiblement la hausse des prix des trois prochaines années puisque 88% du marché dépend encore des prix régulés. Pour les entreprises, cela aura un impact variable puisqu’une entreprise sur deux a choisi de quitter le marché régulé. En revanche, l’impact sera très potentiellement très fort sur les acteurs de l’industrie lourde, très grands consommateurs de gaz et dont la quasi totalité a fait le choix de quitter le système régulé.

            

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Dralip

Les données relatives aux ressources naturelles dont le gaz sont fournies par les producteurs et les exploitants. Il est difficile d’en juger le bien-fondé. Ne s’agit-ol pas d’influencer les spéculateurs des salles de marché?

damir

GDF qui commence déja a se localiser en amont avec les accords du gaz russe 😉

jl06

L’infrastructure gazière qui conditionne l’alimentation jusqu’en 2015 est en place et ne changera pas dramatiquement dans ces quelques années. Point de manipulation de ce coté, donc. Pour ce qui est des années suivantes, il faut bien distinguer la fin du court-terme qui sera marqué par la mise en production des grands projets en cours de construction (notamment Autralie et Qatar comme le souligne l’article, pendant que les USA poursuivent le développement des gaz de schistes). Là non plus, pas de manipulation. Au-delà de cet horizon, c’est un peu plus difficile à prévoir. Les ressources mondiales en gaz restent considérables, surtout si l’on compte les gaz non conventionnels (réservoirs de faible perméabilité, gaz de schistes, hydrates de méthane…) et que l’on découvre de nouveaux bassins – zone arctique par exemple. La lutte se jouera entre charbon et gaz, entre tendances de la demande et règlementation, la percée ou non des non-conventionnels… sur la base de choix faits entre 2011 et 2020. Pour le long-terme, c’est vraiment plus compliqué dans le détails et la performance des gisements gigantesques en Russie, au Qatar en Iran… ainsi que la situation des ressources conventionnelles, la géopolitique et les alternatives détermineront l’évolution des choses. Suivez les investissments actuels et vous connaitrez le futur, en partie. Cela ne se limite pas aux investissements industriels d’ailleurs. Un particulier qui investit aujourd’hui dans une chaudière à gaz s’exprimera probablement en faveur de développements gaziers dans 10 ans. Inversement, en réduisant la consommation et en passant aux EnR, les particuliers influencent les décisions industrielles et les choix stratégiques dans l’autre sens. Cette carte est puissante, mais mal utilisée. Les facteurs géopolitiques pourraient par contre invalider à très court terme ces projections.