Invité du 20 heures de TF1 mercredi soir, François Bayrou n’a pas hésité à employer le terme « boomer » pour pointer du doigt le confort dont jouiraient, selon lui, les seniors face à l’ampleur de la dette publique. À la veille d’un vote de confiance décisif à l’Assemblée, le Premier ministre a alerté sur une situation jugée « suffisamment grave » et dénoncé l’indifférence supposée d’une génération qu’il estime privilégiée, insistant sur le fait que ce sont les plus jeunes qui hériteront du poids de la dette.
Genèse d’un mot très chargé
Hérité des forums internet mais popularisé sur TikTok, le mot « Boomer » ne se limite plus à désigner la génération née après-guerre : il est devenu un raccourci commode pour critiquer un certain rapport au monde ou à la modernité. Derrière ce sobriquet se cachent des tensions autour du pouvoir d’achat, du climat et de la place laissée aux jeunes. Au fil des années, l’usage du terme s’est radicalisé, nourrissant un fossé entre groupes d’âge et suscitant un malaise jusque dans les familles. Pourquoi ce mot à la sonorité presque légère déclenche-t-il de si vives réactions ?
Au départ, le terme « Boomer » renvoie factuellement au baby-boom d’après-guerre, soit les individus qui sont nés entre 1946 et 1964. Mais dès son apparition dans la culture web des années 2010, le terme se détache et le qualifie comme une personne arc-bouté sur ses privilèges matériels ou ses certitudes idéologiques. La critique est double : les « Boomers » auraient capté la croissance des Trente Glorieuses tout en laissant aux plus jeunes une planète fragilisée avec de surcroît un marché du travail saturé. Employé sur un ton ironique, parfois condescendant, l’étiquette dépasse donc la démographie pour devenir quasiment un blâme moral.
Un marqueur de fracture économique et climatique
Dans les économies occidentales, l’écart de patrimoine entre générations n’a jamais été aussi prononcé. Un accès facilité à la propriété avant l’explosion des prix, une retraite plus précoce, des salaires indexés sur l’inflation : autant de réalités souvent associées aux « Boomers ». Les membres des générations Y ou Z pointent ce qu’ils vivent comme un déséquilibre systémique.
À cela s’ajoute l’enjeu environnemental : pour de nombreux jeunes militants, la croissance dopée aux énergies fossiles des décennies 1950-1980 aurait détérioré l’écosystème, et par conséquent hypothéqué leur qualité de vie future. Le mot est devenu un symbole commode, mais parfois réducteur, des responsabilités anciennes face aux urgences présentes.
La caisse de résonance des réseaux sociaux
L’explosion de la formule « OK boomer » fin 2019, d’abord sur Reddit puis sur TikTok, montre la viralité d’un clin d’œil générationnel transformé en slogan. En quelques secondes de vidéo, le terme condense frustration, exaspération et volonté de revanche rhétorique. Comme l’algorithme récompense l’engagement, chaque nouvelle joute intergénérationnelle génère davantage de vues et créée une boucle quasi automatique de surenchère. Résultat : le mot qui était jadis confiné au jargon devient une arme linguistique, parfois dégainée pour esquiver la discussion plutôt que pour l’enrichir.
Des effets pervers sur le débat public
Aussi, réduire un interlocuteur à son année de naissance comporte un risque comme figer les personnes dans des stéréotypes et empêcher toute nuance. Des sondages montrent que si la majorité des plus de 55 ans reconnaît l’existence de préoccupations légitimes chez les plus jeunes, elle se sent aussi injustement caricaturée par l’étiquette « Boomer ». Inversement, bon nombre de trentenaires estiment que sans message frontal, leur propre malaise resterait inaudible. De part et d’autre, la simplification s’installe, alimente la suspicion et le silence plutôt qu’échange qui pourrait s’avérer constructif.
Au-delà du mot lui-même, la crispation révèle une quête de justice générationnelle et un besoin de reconnaissance mutuelle. La répartition des ressources, la transition écologique et l’accès au logement constituent réellement des enjeux concrets qui dépassent le simple registre du blâme. Si le terme « Boomer » a su cristalliser un sentiment d’inégalité, il peut aussi masquer la complexité des parcours individuels et les zones de convergence possibles. Les défis qui attendent la société (financement des retraites, décarbonation de l’économie, réinvention du contrat social ) réclament un dialogue où l’âge ne sert ni d’étendard ni de bouclier.