Une avancée spectaculaire dans le domaine des géosciences montre que notre planète est en mouvement même à une profondeur de 3 000 kilomètres.
Tremblements de terre, éruptions volcaniques, déplacement des plaques tectoniques : autant de signes que notre planète est vivante. Mais ce qui se révèle dans les profondeurs de la terre surprend autant les profanes que les scientifiques : À près de 3 000 kilomètres sous la surface de la Terre coule une roche solide qui n’est ni liquide, comme la lave, ni cassante, comme la roche solide. C’est ce que montre une nouvelle étude réalisée par des géoscientifiques sous la direction de Motohiko Murakami, professeur de physique minérale expérimentale à l’ETH de Zurich. L’étude vient d’être publiée dans la revue Communications Earth & Environment.
Points forts |
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Des géoscientifiques de l’ETH Zurich ont résolu un mystère jusqu’ici inexpliqué en utilisant des expériences spéciales en laboratoire et des simulations informatiques. Ils ont démontré pourquoi les ondes sismiques changent brusquement à une profondeur de 2 700 kilomètres, au niveau de la couche dite « D ». La raison en est un type de roche solide qui s’écoule néanmoins. Ce minéral se durcit lorsque tous les cristaux de post-perovskite pointent dans la même direction. Les ondes sismiques à l’intérieur de la Terre s’en trouvent accélérées. |
Un demi-siècle de conjectures
Depuis plus de 50 ans, les chercheurs s’interrogent sur une zone étrange située dans les profondeurs de la terre – la couche dite « D », à environ 2 700 kilomètres sous nos pieds. Les ondes sismiques s’y comportent soudain différemment : leur vitesse augmente comme si elles se déplaçaient dans un matériau différent. Ce qui se passe exactement dans cette couche du manteau n’a pas été élucidé pendant longtemps, jusqu’à aujourd’hui.
En 2004, Murakami, qui est professeur à l’ETH Zurich depuis 2017, a découvert que la pérovskite, le principal minéral du manteau inférieur de la Terre, se transforme en un nouveau minéral près de la couche « D » sous l’effet d’une pression extrême et de températures très élevées – ce que l’on appelle la « post-perovskite ».

Les chercheurs ont supposé que ce changement expliquait l’étrange accélération des ondes sismiques. Mais ce n’était pas tout à fait vrai. En 2007, Murakami et ses collègues ont trouvé de nouvelles preuves que le changement de phase de la pérovskite ne suffit pas à lui seul à accélérer les ondes sismiques.
À l’aide d’un modèle informatique sophistiqué, ils ont finalement découvert quelque chose d’important : la dureté du minéral varie en fonction de la direction dans laquelle pointent les cristaux de post-perovskite. Ce n’est que lorsque tous les cristaux du minéral pointent dans la même direction dans le modèle que les ondes sismiques sont accélérées, comme on peut l’observer dans la couche D » à une profondeur de 2700 kilomètres.
Dans le cadre d’une expérience de laboratoire inhabituelle menée à l’ETH Zurich, Murakami a prouvé que les cristaux de post-perovskite s’alignent dans la même direction sous une pression énorme et à des températures extrêmes. Pour ce faire, les chercheurs ont mesuré la vitesse des ondes sismiques dans leur expérience et ont pu reproduire en laboratoire le saut qui se produit au niveau de la couche D. « Nous avons enfin trouvé la dernière pièce du puzzle », déclare Murakami.
L’écoulement du manteau aligne les cristaux
La grande question est de savoir ce qui permet à ces cristaux de s’aligner. La réponse est cette roche mantellique solide qui s’écoule horizontalement le long du bord inférieur du manteau terrestre. Les chercheurs soupçonnent depuis longtemps l’existence de ce mouvement – une sorte de convection semblable à celle de l’eau en ébullition – mais n’ont jamais pu le prouver directement.

Un nouveau chapitre de la recherche sur la Terre s’ouvre
Murakami et ses collègues viennent de démontrer expérimentalement que la convection mantellique de roches solides est présente à la frontière entre le noyau et le manteau de la Terre, c’est-à-dire que des roches solides – et non liquides – s’écoulent lentement mais régulièrement à cette profondeur. « Cette découverte ne résout pas seulement le mystère de la couche D, mais ouvre également une fenêtre sur la dynamique des profondeurs de la Terre », explique M. Murakami.
Il ne s’agit pas seulement d’une étape importante, mais aussi d’un tournant. L’hypothèse selon laquelle les roches solides s’écoulent est passée du statut de théorie à celui de certitude. « Notre découverte montre que la Terre n’est pas seulement active en surface, mais qu’elle est aussi en mouvement dans ses profondeurs », explique le professeur de l’ETH.
Grâce à ces connaissances, les chercheurs peuvent désormais commencer à cartographier les courants dans les profondeurs de la Terre et ainsi visualiser le moteur invisible qui anime les volcans, les plaques tectoniques et peut-être même le champ magnétique de la Terre.
Murakami M, Kobayashi Si, Hirao N et al. « The texture of the post-perovskite phase controls the characteristics of the D” seismic discontinuity. Commun Earth Environ 6, 406 (2025). » DOI: external page10.1038/s43247-025-02383-1