L’exploitation gazière a connu des changements majeurs ces dernières années avec l’exploitation des gaz de schiste américains.
Si les énergéticiens européens se retrouvent en première ligne, ils ne sont pas les seuls acteurs impactés. En effet, des industriels européens pâtissent aussi de la nouvelle donne concurrentielle, à l’instar du secteur de la chimie.
L’exploitation du gaz de schiste n’est pas récente aux Etats-Unis. L’aventure débute dès les années 70 lorsqu’une douzaine de puits de démonstration sont construits sous l’impulsion de l’Institut de Recherche sur le Gaz alors nouvellement créé. Cet événement marque le début de l’aventure des gaz de schiste aux Etats-Unis. Il était à l’époque difficile d’envisager l’ensemble des impacts qu’aurait l’exploitation de cette nouvelle manne énergétique. Aujourd’hui les effets sont probants.
L’exploitation des gaz de schiste : un avantage compétitif triple pour les industriels américains
Devançant la Russie, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de gaz en 2009. En baisse jusqu’alors, la production de gaz a augmenté de 24% entre 2007 et 2012[1]. En effet, sur la même période, la production de gaz de schiste quintuple pour atteindre 230 milliards de m3 (Gm3) en 2012[2]. Selon des études récentes, les Etats-Unis deviendraient exportateurs net en 2020. Des projets d’exportation de gaz naturel liquéfié ont été déposés dont deux déjà approuvés[3].
L’avantage compétitif des industriels américains se situe à trois niveaux :
1. L’accroissement rapide et constant de l’offre de gaz a entraîné une forte baisse de son prix, renforcée par la crise économique de 2009. Etabli en moyenne à 9 $/MBtu[4] en 2008, le cours du gaz naturel atteignait moins de 3 $/MBtu en 2012 sur le marché américain. Outre l’impact direct sur le cours, l’essor des gaz de schiste, non corrélés aux forages pétroliers, a occasionné un découplage du prix du gaz par rapport à celui du pétrole. Cette particularité est propre au marché américain. Ainsi, suivant l’évolution du cours du pétrole, le prix du gaz s’affichait près de quatre fois plus élevé en Europe, à 11,5 $/MBtu en moyenne en 2012.
« L’écart de prix actuellement observé est sans doute durable» indique Swann Schoonenbergh, consultant de la Business Unit Energie & Environnement chez ALCIMED, « même s’il peut être amené à diminuer légèrement ». D’une part, les ressources gazières américaines sont très importantes (10 000 Gm3 dont 3 600 Gm3 pour les seuls gaz de schiste). D’autre part, les Etats-Unis pourront prendre une position de fournisseur privilégié de gaz, ce qui maintiendrait de facto un écart en leur faveur vis-à-vis de l’Europe, simple consommatrice.
2. L’avantage compétitif s’observe aussi sur le marché de l’électricité. En effet, la hausse du cours du charbon a fait du gaz naturel le combustible le plus économique outre-Atlantique. De nombreux électriciens ont ainsi préféré changer de combustible, permettant aux industries électro-intensives de profiter indirectement de la baisse des coûts du gaz. A l’inverse, les prix de l’électricité européens s’accroissent en raison des politiques environnementales sur l’intégration des énergies renouvelables et les quotas CO2. En 2012, les industriels européens ont payé en moyenne une électricité plus de 2 fois plus chère qu’aux Etats-Unis[5].
3. Parallèlement, la production américaine de liquides de gaz naturel (éthane, propane, butane), contenus dans les gisements de gaz de schiste, a particulièrement été stimulée par la chute du prix du gaz. La valorisation des gisements riches en liquides est, en effet, plus intéressante que celle du méthane, ceux-ci étant des matières premières pour l’industrie chimique, orientant les activités de production sur des bassins riches en liquides. Les Etats-Unis sont ainsi devenus exportateurs nets de propane tandis que les prix de l’éthane ont chuté de 55% à 296 $/t en 2012 depuis leur moyenne de 2008[6].Or l’industrie pétrochimique américaine est principalement consommatrice d’éthane comme matière première. L’industrie pétrochimique européenne a construit son modèle autour de l’utilisation du naphta[7], dont le prix a augmenté de 19% sur la période 2008-2012[8], car indexé sur celui du pétrole. L’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) chiffre ainsi que les coûts de production américains se trouvent être trois fois moins élevés qu’en Europe en 2012. En 2005, ces mêmes coûts étaient équivalents.
Par conséquent, la relocalisation d’activités chimiques sur le sol américain est observée, stimulée par de faibles coûts de production. A l’instar de Dow, Chevron Phillips ou Exxon Mobil, de nombreuses entreprises projettent d’investir dans la chimie aux Etats-Unis. Le consortium BASF-Total Petrochemicals a décidé l’expansion et la reconversion à l’éthane et au GPL de son site de Port-Arthur au Texas. L’American Chemistry Council (ACC) fait état d’un portefeuille de 72 milliards de dollars d’investissements découlant de l’avantage compétitif donné par les gaz de schiste, entre 2012 et 2020. Les projets les plus importants verront le jour en 2016-2017 avec des capacités de production de l’ordre de la mégatonne, principalement à des fins d’exportation. Ceci laisse présager un nouveau choc de compétitivité lorsque ces unités de production seront mises en route : elles pourront fournir des produits de commodités à bas coût. En outre, l’ACC évalue les recettes supplémentaires à 265 milliards de dollars entre 2012 et 2020, avec une création de 46 000 emplois directs dans l’industrie chimique. Si la balance commerciale de l’industrie chimique américaine est passée au vert en 2012 en dégageant 800 millions de dollars, l’ACC estime que l’excédent atteindra 46 milliards en 2020, quand l’Information Handling Services (IHS) évalue à 468 milliards de dollars la participation de l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur chimique au PIB américain.
Des marges de manœuvres étroites mais existantes pour les industriels européens
Dans ce cadre, l’industrie européenne dispose de peu de leviers d’action, en alternative à l’utilisation des gaz de schistes. Une réduction drastique des coûts doit être engagée par :
· une logique de diversification des matières premières, qui permet de diminuer la dépendance l’indexation des prix sur le cours du pétrole. En ce sens, les gouvernements peuvent jouer un rôle dans la négociation de contrat fournisseur pluri-partenaire et la mise en place de statuts préservant la compétitivité économique des acteurs fortement impactés
· la création de plateformes chimiques intégrant plusieurs entreprises pour mutualiser les flux d’énergie et de matières premières, donnant lieu à des économies d’échelle sur des sites multi-flux regroupant plusieurs partenaires;
· un glissement vers des produits à plus forte valeur ajoutée, et à une plus grande proximité avec les clients finaux, pour mieux répondre à leurs attentes. L’Europe peut donc jouer sur ses atouts en innovation et développement durable.
« Le développement des gaz de schistes aux Etats-Unis a aussi permis de dégager des opportunités pour l’Europe » conclut Cécile Pairin, Responsable de la Business Unit Energie & Environnement chez ALCIMED. En effet, le recentrage de la chimie américaine sur des activités de production basées sur l’éthane au détriment du naphta a pour conséquence de rendre plus difficile l’accès à des molécules avec des chaines carbonées comportant 4 atomes de carbone et plus, notamment le butadiène, grand intermédiaire chimique qui permet notamment de produire du nylon (collants, cordes), des plastiques de haute performance ou encore du caoutchouc synthétique (pneus, durites, ballons).
1 – Source : US Energy Information Administration
2 – ibid
3 – Sabine Pass, Louisiane, et Freeport, Texas
4 – Millions de British thermal units
5 – Source : EIA
6 – Source : IFRI, Impact du développement du gaz de schiste aux Etats-Unis sur la pétrochimie
7 – Le Naphta est un liquide issu de l’industrie pétrolière. Il sert de base à la composition de certaines essences.
8 – ibid
Les détracteurs du gaz de schiste en Europe ont réussi à supprimer l’opportunité de millions d’emplois et d’un meilleur pouvoir d’achat pour les Européens. Les seuls gagnants sont le Russe Gazprom qui a probablement largement financé la campagne anti gaz de schiste en Europe. Ces arguments n’on jamais été fondés sur du concret : un film présentant un robinet en feu a été suffisant pour convaincre des millions de gogos ainsi que des politiques sans courageen face d’un repris de justice ancien squatter de ferme au Larzac aux idées fumeuses bien arrêtées. Heureusement, le gaz de schiste reste en place et attend sagement de meilleures conditions pour être exploité.