La turbulence, un phénomène omniprésent dans notre quotidien, ne se limite pas aux secousses ressenties lors des voyages en avion. Elle se manifeste dans une multitude de scénarios impliquant des fluides, des gaz et des liquides, comme l’air tourbillonnant dans nos villes, les eaux des mers et des rivières, ou encore au sein des moteurs et autour des véhicules comme les voitures, les navires et les avions. Ce phénomène complexe joue un rôle majeur dans la dissipation d’énergie au sein de ces modes de transport, contribuant jusqu’à 15% des émissions annuelles de CO2 générées par l’humanité.
Une nouvelle approche pour étudier la turbulence
Une équipe internationale de scientifiques, composée de chercheurs de l’Universitat Politècnica de València, de l’Université d’Édimbourg et de l’Université de Melbourne, sous la direction de Ricardo Vinuesa de l’Institut d’écoulement de l’Institut royal de technologie (KTH), a développé une nouvelle technique permettant d’étudier la turbulence d’une manière totalement différente de celle utilisée au cours des 100 dernières années.
La principale difficulté de la mécanique des fluides réside dans le fait que «bien que les équations de la mécanique des fluides aient environ 180 ans, le problème reste ouvert. Ces équations sont insolubles algébriquement ou numériquement pour des cas pratiques, même pour les plus grands ordinateurs du monde. Pour un avion de ligne typique, nous aurions besoin d’une mémoire équivalente à un mois d’internet juste pour configurer la simulation», indique Sergio Hoyas, professeur d’ingénierie aérospatiale à l’UPV et chercheur à l’IUMPA.
L’IA au service de la compréhension de la turbulence
«Nous devons comprendre la turbulence pour améliorer les modèles simplifiés utilisés dans la vie quotidienne. Et il existe un nouvel outil : l’intelligence artificielle», ajoute Ricardo Vinuesa.
Bien que plusieurs travaux appliquent déjà l’intelligence artificielle à la mécanique des fluides, la grande nouveauté de cette étude est qu’elle permet, pour la première fois, non pas de simuler ou de prédire, mais de comprendre la turbulence.
À partir d’une base de données d’environ un téraoctet, les chercheurs ont entraîné un réseau de neurones qui permet de prédire le mouvement d’un écoulement turbulent. En utilisant ce réseau, ils ont réussi à suivre l’évolution de l’écoulement en supprimant individuellement de petites structures, puis en évaluant l’effet de ces structures à l’aide de l’algorithme SHAP.
Des résultats prometteurs validés expérimentalement
«Le plus important est que les résultats de cette analyse correspondent exactement aux connaissances acquises au cours des 40 dernières années et les étendent. Notre méthode a réussi à reproduire ces connaissances sans que le réseau de neurones ne sache rien de la physique», souligne Andrés Cremades, chercheur postdoctoral au KTH et premier auteur de l’article.
«La validation expérimentale avec des données de l’Université de Melbourne indique que notre méthode s’applique à des écoulements réalistes et ouvre une nouvelle voie pour la compréhension de la turbulence», conclut Ricardo Vinuesa.
Reference : Cremades, A., Hoyas, S., Deshpande, R. et al. Identifying regions of importance in wall-bounded turbulence through explainable deep learning. Nat Commun 15, 3864 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-47954-6