Un physicien français vient de résoudre une énigme vieille de plusieurs décennies en formulant une loi mathématique universelle capable de prédire comment se brisent les objets, du verre qui tombe au sol aux bulles qui éclatent. Emmanuel Villermaux, chercheur à l’université Aix-Marseille et à l’Institut universitaire de France, a publié ses travaux dans la prestigieuse revue Physical Review Letters fin novembre 2025. Sa découverte pourrait avoir des répercussions considérables, de l’optimisation énergétique dans l’industrie minière à la prévision des éboulements rocheux accélérés par le dérèglement climatique. La simplicité mathématique de cette loi contraste avec la complexité apparente des phénomènes de fragmentation observés quotidiennement.
Le paradoxe d’un chaos ordonné
Le point de départ d’Emmanuel Villermaux repose sur une observation paradoxale : le chaos apparent d’un événement de fragmentation dissimule en réalité une régularité mathématique profonde. Le physicien français a bâti sa théorie autour d’un principe qu’il nomme « randomness maximal » (caractère aléatoire maximal), postulant que la nature favorise systématiquement le résultat le plus désordonné et irrégulier lors d’une rupture. À cette approche entropique, il a adjoint une loi de conservation précédemment identifiée par son équipe, qui impose des contraintes physiques au processus : elle garantit que l’échelle globale des fragments ( la proportion entre grands et petits morceaux ) ne peut varier de façon arbitraire pendant la rupture.
La formulation mathématique qui en résulte est d’une élégance remarquable. Comme l’explique Emmanuel Villermaux dans son article, « une contrainte cinématique appliquée à un principe de caractère aléatoire maximal permet de déduire à la fois la forme en loi de puissance de la distribution des tailles de fragments et la valeur de son exposant dépendant de la dimensionnalité ». L’équation prédit le nombre de fragments de chaque taille qu’un objet générera en se brisant, en fonction de sa géométrie tridimensionnelle.
La beauté de cette loi réside surtout dans sa capacité à unifier sous un même formalisme des phénomènes aussi divers que la rupture de solides cassants, la désintégration de gouttes liquides ou l’éclatement de bulles.
Des cubes de sucre aux débris océaniques
Pour valider sa théorie, Villermaux a confronté son modèle à plusieurs décennies de données expérimentales couvrant un spectre impressionnant de matériaux : verre brisé, plaques céramiques, tubes secs et même débris plastiques dans les vagues océaniques. Dans tous ces cas, la fragmentation observée correspondait à sa nouvelle loi, reproduisant la courbe familière que les chercheurs avaient déjà remarquée empiriquement sans pouvoir l’expliquer théoriquement.
L’expérience la plus originale menée par le physicien a consisté à écraser des cubes de sucre individuels tombés de différentes hauteurs. « C’était un projet avec mes filles. J’ai entrepris cela il y a longtemps quand elles étaient encore jeunes et j’ai revisité les données plus tard, car elles illustraient parfaitement mon propos », a confié Emmanuel Villermaux.
Le modèle mathématique a correctement prédit les motifs spécifiques de tailles de fragments en fonction de la forme tridimensionnelle du cube.
Reconnaissance internationale et limites identifiées
La communauté scientifique internationale a accueilli ces travaux avec enthousiasme. Ferenc Kun, physicien à l’université de Debrecen en Hongrie, a qualifié ces résultats de « remarquables » pour leur applicabilité étendue et leur capacité d’ajustement dans des situations comportant des contraintes supplémentaires, comme dans le cas des plastiques où les fissures peuvent parfois « cicatriser ».
Néanmoins, la loi universelle connaît des limites bien définies qu’il convient de préciser. Elle fonctionne optimalement lorsque les objets se brisent de manière aléatoire, comme un verre qui heurte le sol, mais échoue avec les matériaux très souples ou lorsque la rupture suit un schéma ordonné. Le cas typique d’échec concerne un filet d’eau se fragmentant en gouttelettes uniformes sous l’effet de la tension superficielle, où la régularité du processus contredit l’hypothèse de « randomness maximal ».
Des applications industrielles aux enjeux climatiques
Les implications pratiques dépassent largement le cadre théorique et touchent des secteurs économiques majeurs. Dans l’industrie minière, où le broyage du minerai représente parfois plus de 50% de la consommation énergétique totale, comprendre finement les mécanismes de fragmentation pourrait permettre d’optimiser ces processus et réaliser des économies substantielles. Chaque amélioration de rendement, même minime, se traduit par des réductions significatives d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle globale.
De même, dans les régions montagneuses où le réchauffement climatique dégrade le pergélisol, cette recherche pourrait contribuer à anticiper l’activité accrue des éboulements rocheux. La capacité à prédire la taille et la distribution des fragments rocheux lors d’un effondrement présente un intérêt crucial pour la gestion des risques naturels et l’aménagement du territoire dans les zones alpines.












