Les applications quantiques requièrent une précision extrême dans la manipulation et la mesure des atomes. Les lasers, avec leur capacité à émettre une lumière extrêmement stable et pure, sont indispensables pour des dispositifs tels que les horloges atomiques à deux photons, les interféromètres à atomes froids et les portes quantiques. Toutefois, la technologie laser actuelle, massive et coûteuse, limite ces applications aux laboratoires. La question se pose : comment rendre ces technologies plus accessibles et applicables en dehors des murs des laboratoires ?
Les lasers utilisés pour des mesures ultra-précises et des contrôles atomiques sont généralement des systèmes de laboratoire volumineux et onéreux. Ils sont conçus pour générer et émettre des photons dans un spectre très étroit, offrant ainsi une lumière stable et à faible bruit.
À l’Université de Californie à Santa Barbara, le professeur d’ingénierie Daniel Blumenthal et son équipe travaillent sur une solution permettant de miniaturiser ces lasers. Leur objectif est de les rendre aussi performants que les systèmes de table, mais dans un format suffisamment petit pour tenir dans la paume de la main.
« Les lasers plus petits permettront des solutions scalables pour les systèmes quantiques réels, ainsi que des lasers pour des capteurs quantiques déployables sur le terrain et dans l’espace », a indiqué Andrei Isichenko, étudiant chercheur dans le laboratoire de Blumenthal. Leur travail vise à influencer des domaines technologiques tels que le calcul quantique avec des atomes neutres et des ions piégés, ainsi que des capteurs quantiques à atomes froids comme les horloges atomiques et les gravimètres.
Dans un article publié dans Scientific Reports, les chercheurs ont présenté un laser à faible largeur de raie à auto-injection verrouillée, d’une taille comparable à celle d’une boîte d’allumettes. Cet appareil, selon les chercheurs, surpasse les lasers à faible largeur de raie existants en termes de performance, tout en étant bien moins coûteux à fabriquer et à loger.
Le rubidium au cœur de la recherche
Le rubidium, choisi pour ses propriétés bien connues, est central dans le développement de ce laser. Sa transition optique D2 particulièrement stable le rend idéal pour des applications de haute précision telles que les horloges atomiques. Sa sensibilité le fait également privilégier pour les capteurs et la physique des atomes froids. En faisant passer un laser à travers une vapeur d’atomes de rubidium, on peut stabiliser la lumière laser sur la transition atomique.
« On peut utiliser les lignes de transition atomique pour verrouiller le laser », a noté le Pr. Blumenthal, l’auteur principal de l’article. « Autrement dit, en verrouillant le laser sur la ligne de transition atomique, le laser adopte plus ou moins les caractéristiques de cette transition en termes de stabilité. »
Supprimer le bruit est essentiel pour obtenir une lumière de qualité souhaitée. Daniel Blumenthal compare cela à la différence entre une note parfaite jouée avec un diapason et une corde de guitare dont la résonance peut contenir plusieurs harmoniques. Les lasers de laboratoire utilisent des composants supplémentaires pour purifier la lumière, un défi que l’équipe de Blumenthal a relevé en intégrant ces fonctionnalités sur une puce.

Technologie et performance
L’équipe a utilisé une diode laser Fabry-Perot commerciale, des guides d’onde à très faible perte et des résonateurs de haute qualité, tous fabriqués sur une plateforme de nitrure de silicium. Grâce à cela, ils ont pu reproduire la performance des systèmes de table sur un support bien plus compact, avec une performance supérieure en termes de bruit de fréquence et de largeur de raie.
« L’importance des valeurs de faible largeur de raie est que nous pouvons atteindre un laser compact sans sacrifier la performance », a expliqué pour sa part Andrei Isichenko. « D‘une certaine manière, la performance est améliorée par rapport aux lasers conventionnels grâce à une intégration complète à l’échelle de la puce. Ces largeurs de raie nous aident à interagir mieux avec les systèmes atomiques, éliminant les contributions du bruit laser pour résoudre pleinement le signal atomique en réponse, par exemple, à l’environnement qu’ils détectent. »
Outre la performance, ce laser utilise une diode à 50 dollars ainsi qu’un procédé de fabrication économique et modulable, compatible avec le procédé CMOS à l’échelle des wafers, s’inspirant de la fabrication de puces électroniques. Cette avancée technologique ouvre la possibilité de déployer ces lasers intégrés de haute performance et à faible coût dans divers contextes, tant dans les laboratoires que dans des applications de terrain, y compris des expériences quantiques, la chronométrie atomique et la détection des signaux les plus faibles, comme les variations de l’accélération gravitationnelle autour de la Terre.
« On peut mettre ces dispositifs sur des satellites pour créer une carte gravitationnelle de la Terre avec une certaine précision », a conclule Pr. Blumenthal. « On pourrait mesurer la montée du niveau de la mer, les changements dans la glace de mer et les séismes en détectant les champs gravitationnels autour de la Terre. »
Leur compacité, leur faible consommation d’énergie et leur légèreté sont parfaitement adaptées pour des applications spatiales.
Légende illustration : Andrei Isichenko tient le résonateur annulaire de très haute qualité (à gauche), qui permet de transformer la lumière « grossière » d’une diode laser Fabry-Perot disponible dans le commerce (à droite) en un laser à faible largeur de raie. Crédit : Sonia Fernandez
Article : « Sub-Hz fundamental, sub-kHz integral linewidth self-injection locked 780 nm hybrid integrated laser » – s41598-024-76699-x