Dans le paysage des technologies lasers, une nouvelle ère se dessine avec l’entrée en scène du système ZEUS, un dispositif américain de 3 pétawatts qui repousse les limites de la physique moderne. Ce monstre technologique, installé à l’Université du Michigan, représente bien plus qu’un record de puissance : il offre un outil extraordinaire pour explorer des phénomènes jusqu’ici inaccessibles, de la médecine à l’astrophysique en passant par la sécurité et la science des matériaux.
Derrière son acronyme – Zettawatt Equivalent Ultrashort laser pulse System – se cache une immense ambition scientifique, où la manipulation de la lumière à des intensités extrêmes pourrait révéler des secrets fondamentaux de l’univers.
Un outil multidisciplinaire aux applications inédites
Les capacités de ZEUS ne se limitent pas à sa seule puissance. Son interaction avec les électrons, accélérés à des vitesses proches de celle de la lumière, permet de simuler des conditions extrêmes, ouvrant des perspectives dans plusieurs domaines. En médecine, par exemple, le laser pourrait transformer l’imagerie des tissus mous, offrant des diagnostics d’une précision exceptionnelle. « De meilleures méthodes d’imagerie pour les tissus mous et l’avancement de la technologie utilisée pour traiter le cancer et d’autres maladies », souligne Vyacheslav Lukin, directeur du projet ZEUS pour la Fondation nationale des sciences (NSF). Cette avancée pourrait rendre possibles des interventions chirurgicales mini-invasives ou le ciblage ultra-précis de cellules malades grâce à des nanorobots guidés par laser.
Dans le domaine de la sécurité nationale, les capteurs quantiques développés à partir des principes de l’intrication pourraient détecter des explosifs ou des agents pathogènes avec une sensibilité inégalée. Quant à la science des matériaux, les conditions extrêmes générées par ZEUS permettent d’étudier des états de la matière jamais observés, comme les supraconducteurs à température ambiante ou les métamatériaux aux propriétés optiques inédites. Ces découvertes auraient des retombées majeures en électronique, en énergie et en construction.
Mais l’un des défis les plus fascinants reste l’astrophysique en laboratoire. En recréant des phénomènes cosmiques violents – explosions de supernovae, jets de trous noirs –, ZEUS offre aux chercheurs un observatoire terrestre pour étudier ces événements lointains. « La possibilité de reproduire en laboratoire des conditions similaires à celles rencontrées dans l’univers profond est une opportunité unique », explique un astrophysicien collaborant au projet.
L’accélération Wakefield : une révolution dans la physique des particules
Au cœur de ZEUS se trouve une technique innovante : l’accélération Wakefield. Cette méthode utilise des impulsions laser intenses pour générer des ondes de plasma capables d’accélérer les électrons à des vitesses proches de celle de la lumière sur des distances extrêmement courtes. Contrairement aux accélérateurs traditionnels, qui s’étendent sur des kilomètres et coûtent des milliards d’euros, les dispositifs basés sur cette technique pourraient tenir dans un laboratoire universitaire, avec un coût réduit d’un facteur mille.
« L’objectif est d’utiliser deux faisceaux laser distincts : l’un pour former un canal de guidage et l’autre pour accélérer les électrons à travers celui-ci », détaille Anatoly Maksimchuk, chercheur à l’Université du Michigan. Cette approche pourrait miniaturiser les accélérateurs de particules, rendant la recherche en haute énergie plus accessible. Les gradients d’accélération atteignent ainsi 1 000 fois ceux des installations classiques, ouvrant la voie à des applications comme la hadronthérapie, une forme de radiothérapie avancée, ou à des sources de rayons X compactes pour l’industrie.

Des défis techniques à surmonter
La mise en œuvre de ZEUS n’a pas été sans obstacles. La fabrication de cristaux de saphir dopés au titane, nécessaires à l’amplification des impulsions laser, a constitué un défi majeur. Ces composants, mesurant près de 15 centimètres de diamètre, sont extrêmement rares et demandent des procédés de fabrication hautement spécialisés. Par ailleurs, la gestion de l’assombrissement des réseaux de diffraction, causé par les dépôts de carbone lors des tirs laser, a exigé le développement de protocoles de nettoyage rigoureux.
« Ces défis illustrent la complexité de la manipulation de la lumière à des intensités extrêmes », note Franko Bayer, chef de projet pour ZEUS. Selon lui, chaque innovation technologique repousse les limites de ce qui est possible, mais exige une ingénierie de pointe et une collaboration interdisciplinaire.
ZEUS n’est pas une installation isolée, mais un espace d’innovation ouvert à la communauté scientifique internationale. Des chercheurs du monde entier peuvent soumettre des propositions d’expériences, sélectionnées par un comité indépendant. « Cette ouverture attire de nouvelles idées d’une communauté scientifique plus large », insiste John Nees, responsable des opérations techniques. Depuis son inauguration, ZEUS a déjà accueilli des dizaines d’équipes venues explorer des questions allant de la physique des plasmas à la gravitation quantique.
Cette collaboration internationale accélère non seulement les découvertes, mais aussi le partage des connaissances. Les données collectées pourraient alimenter des projets futurs, comme des réacteurs à fusion nucléaire ou des détecteurs de matière noire.

L’illusion du zettawatt : une fenêtre sur l’invisible
Le nom ZEUS, qui évoque la puissance d’un zettawatt (10^21 watts), n’est pas une exagération. Lorsque les électrons accélérés par le laser interagissent avec l’impulsion lumineuse, leur référentiel relativiste amplifie l’énergie perçue par un facteur d’un million. Cette illusion d’optique permet d’étudier des phénomènes physiques impossibles à observer autrement, comme la création de paires particule-antiparticule à partir du vide.
« Cette démonstration de la puissance de ZEUS ouvre la voie à l’expérience phare prévue cette année, lorsque les électrons accélérés entreront en collision avec des impulsions laser venant en sens inverse. Dans le référentiel des électrons, l’impulsion laser de 3 pétawatts semblera un million de fois plus puissante, atteignant une échelle de zettawatt. » Cette illusion donne son nom complet à ZEUS : Zettawatt Equivalent Ultrashort laser pulse System, explique John Nees, responsable des opérations techniques.
Au-delà de ses applications immédiates, l’utilisation de ZEUS soulève des interrogations éthiques urgentes. La puissance du laser, capable de modifier la matière à l’échelle atomique, pourrait être détournée à des fins militaires ou industrielles contestables. « Il est important de ne pas se laisser aveugler par la puissance brute », prévient Vyacheslav Lukin. Selon lui, le développement de ces technologies doit s’accompagner de cadres réglementaires stricts pour garantir leur usage responsable.
