L’industrie des infrastructures routières, l’une des plus anciennes et essentielles à la mobilité humaine, se trouve aujourd’hui confrontée à une problématique complexe : comment concilier les besoins croissants en transport avec une empreinte écologique toujours plus réduite ? Une solution émergeant des laboratoires pourrait redéfinir les méthodes de construction tout en répondant aux exigences environnementales actuelles. Le pari repose sur un matériau issu de déchets agricoles, capable de remplacer partiellement les composants traditionnels du bitume.
Les routes modernes sont généralement constituées d’un mélange de roches, de sable et de produits pétroliers servant de liant pour créer des surfaces lisses et résistantes. Cependant, leur fabrication et leur mise en œuvre produisent des émissions toxiques qui affectent la santé des travailleurs et des communautés avoisinantes. Une équipe dirigée par Xianming Shi, titulaire de la chaire de génie civil et architectural à l’Université de Miami, a exploré une alternative respectueuse de l’environnement. Financée par une subvention de 1 million de dollars octroyée par le Département américain de l’agriculture, cette recherche s’est concentrée sur l’utilisation de déchets agricoles transformés en biochar, un matériau carbone-négatif obtenu par pyrolyse.
Cette technologie repose sur un procédé thermochimique permettant de chauffer des résidus organiques tels que des branchages d’arbres fruitiers, de la paille de blé ou des déjections aviaires dans un environnement pauvre en oxygène. Le résultat est un charbon stable qui peut être intégré au bitume, non seulement pour limiter son empreinte carbone, mais également pour prolonger la durée de vie des infrastructures routières. «Il s’agit probablement de la première solution véritablement capable de conduire les chaussées asphaltées vers un bilan carbone neutre», a affirmé Xianming Shi, ajoutant que des observations montrent déjà une diminution notable des émanations toxiques lors de la production de ces matériaux.
Un impact socio-économique mesurable
Outre leurs avantages environnementaux, les recherches menées par l’équipe ont mis en lumière un potentiel économique significatif. Des millions de tonnes de déchets organiques générés chaque année dans les exploitations agricoles sont souvent abandonnés ou laissés à se décomposer, libérant ainsi du méthane et d’autres gaz nocifs dans l’atmosphère. En transformant ces résidus en biochar et en bio-huile, il devient possible de les valoriser tout en capturant une grande quantité de carbone directement dans les chaussées. Les agriculteurs et producteurs avicoles pourraient alors bénéficier d’une nouvelle source de revenus grâce à ce recyclage innovant.
L’approche adoptée par le groupe de chercheurs dépasse largement le cadre technique. Trois économistes ont été intégrés à l’équipe afin d’évaluer les retombées locales de cette innovation. «Ce projet ne se limite pas à une collaboration entre ingénieurs visant à décarboner le bitume», expliquait Xianming Shi. «Cela constitue une démarche audacieuse qui créera un nouveau marché et des emplois verts ; c’est pourquoi nous prenons également en compte les dimensions socio-économiques.»
Des applications pratiques et des partenariats stratégiques
Pour valider leur concept, les chercheurs ont prévu de collaborer avec deux communautés tribales afin de tester le biochar dans des projets de pavage locaux. Cette phase expérimentale vise à démontrer la faisabilité pratique du matériau tout en renforçant les relations avec les populations autochtones. Les partenaires académiques incluent notamment des experts issus de l’Université d’État de Californie à Chico, de l’Université d’État de Washington et de l’Université de Géorgie.
Shi, dont le leadership imprègne désormais toute la direction du département, a recentré les objectifs institutionnels autour de la durabilité environnementale. «Nous évoluons vers un département d»ingénierie axé sur le climat», précisait-il. «Nos enseignants mènent des travaux fascinants sur la décarbonation des infrastructures bâties — qu’il s’agisse de routes, de ponts, de tunnels, de ports ou de bâtiments — en cherchant à réduire leur empreinte carbone. Étant basés à Miami, il est logique de se pencher également sur la résilience côtière, avec des innovations mondialement reconnues comme le SEAHIVE pour la défense des côtes.»
Légende illustration : Transformer les déchets agricoles en routes durables
Source : U. Miami