D’un simple coup d’œil, rien ne trahit la fatigue d’une route. Des microfissures, des tassements ou des faiblesses à l’intérieur même de la chaussée restent invisibles jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Un consortium piloté par l’Institut Fraunhofer WKI propose aujourd’hui une réponse inédite : un textile biosourcé, truffé de capteurs, intégré directement dans la couche de base asphaltique.
Connecté à des algorithmes d’intelligence artificielle, le dispositif promet une surveillance continue et non destructive de l’état structurel des chaussées. L’objectif est d’obtenir des interventions mieux ciblées, moins coûteuses et, surtout, plus respectueuses des usagers comme de l’environnement.
Une toile de lin sous l’asphalte
Au cœur du système, une étoffe de fibres de lin est entrelacée de fils conducteurs d’à peine un millimètre, insérés dès le tissage sur un métier à rapière double. Économique à produire et capable de couvrir de grandes surfaces, le support végétal se distingue par sa robustesse : il doit résister à la pose des engins de chantier et au passage répété des poids lourds.
« Le tissu est conçu pour endurer les rigueurs de l’installation et les contraintes environnementales, comme nos premiers tests l’ont démontré », souligne Christina Haxter, chercheuse au Fraunhofer WKI.

En service, la toile joue le rôle d’un réseau nerveux : chaque déformation de la couche de base modifie la résistance électrique des fils métalliques. Ces variations, remontées vers une unité de mesure en bord de route, dessinent la “signature” interne de la chaussée.
« Notre objectif est de planifier sur le long terme, de suivre en continu l’évolution de l’état de la route et, sur cette base, d’établir des prévisions pour la gestion de la maintenance », explique la chercheuse. L’analyse fine de micro-changements doit permettre d’intervenir avant l’apparition de fissures visibles, évitant ainsi les coûteux forages de carottes et les fermetures de voies.

L’IA comme tour de contrôle
La seconde brique de l’innovation se niche dans le cloud. Des modèles d’apprentissage automatique croisent séries temporelles de résistances et historiques de dégradations pour établir un diagnostic en temps réel et simuler l’évolution future de la chaussée. Les gestionnaires disposent ainsi d’un tableau de bord en ligne qui hiérarchise les sections critiques, chiffre les coûts et propose des fenêtres optimales d’intervention. En diffusant ces informations aux riverains et aux entreprises, la plateforme ambitionne aussi de réduire l’impact social des chantiers.
Après des validations en laboratoire, un démonstrateur grandeur nature est en fonctionnement sur un tronçon d’une zone industrielle allemande. La toile sensorielle, installée sur toute la largeur de la voie, enregistre déjà les passages de véhicules et affine les modèles. « Le tissu doit être conçu de manière à ne pas se désagréger dans l’asphalte, tout en protégeant les capteurs lors de la mise en place », rappelle Christina Haxter, insistant sur les impératifs de durabilité.
Si les essais confirment leurs promesses, ces routes “intelligentes” pourraient bouleverser la planification des travaux publics. Anticiper l’usure plutôt que la constater limiterait les fermetures inopinées, prolongerait la durée de vie des chaussées et optimiserait l’usage des deniers publics. À plus long terme, la même approche pourrait être adaptée aux pistes d’aéroport ou aux infrastructures ferroviaires.
Source : Fraunhofer Institute