Avalanche magnétique déclenchée par des effets quantiques

Avalanche magnétique déclenchée par des effets quantiques

Les matériaux ferromagnétiques comme les vis en fer, sont composés d’atomes dont les électrons se comportent comme de petits aimants. Bien que les orientations de ces aimants soient alignées au sein d’une même région du matériau, elles ne le sont pas d’une région à l’autre. Lorsqu’un champ magnétique est appliqué, les orientations des spins dans les différentes régions s’alignent et le matériau devient entièrement magnétisé. Ce processus d’alignement des spins ne se produit pas instantanément, mais plutôt de manière progressive, à la manière d’une avalanche de neige.

Des chercheurs du California Institute of Technology (Caltech) ont récemment démontré que ce phénomène, connu sous le nom de bruit de Barkhausen, peut être produit non seulement par des moyens classiques, mais également par des effets quantiques. Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles applications dans le domaine des capteurs quantiques et des dispositifs électroniques.

Le bruit de Barkhausen : un phénomène classique revisité

Le bruit de Barkhausen, mis en évidence pour la première fois par le physicien Heinrich Barkhausen en 1919, est le résultat de l’alignement progressif des spins dans un matériau magnétique sous l’effet d’un champ magnétique externe. Ce processus se produit de manière discontinue, par sauts, et peut être comparé à une avalanche de neige : un petit groupe de spins bascule, entraînant le basculement des groupes voisins, jusqu’à ce que l’ensemble du matériau soit magnétisé dans la même direction.

Traditionnellement, ces basculements de spins sont considérés comme des phénomènes classiques, résultant de l’activation thermique des particules qui acquièrent temporairement suffisamment d’énergie pour franchir une barrière énergétique. L’étude menée par les chercheurs de Caltech montre que ces basculements peuvent également se produire de manière quantique, par un processus appelé effet tunnel.

L’effet tunnel quantique : une nouvelle perspective

L’effet tunnel quantique permet aux particules de franchir une barrière énergétique sans avoir à passer par-dessus, à la manière d’une balle de golf qui traverserait une colline plutôt que de devoir la gravir. Dans le monde quantique, les particules sont en réalité des ondes, et une partie de leur fonction d’onde peut se trouver de l’autre côté de la barrière énergétique.

Les chercheurs ont également mis en évidence un effet de co-tunneling, dans lequel des groupes d’électrons en tunneling communiquent entre eux pour orienter les spins électroniques dans la même direction. Contrairement au cas classique où chaque mini-avalanche se produit de manière indépendante, l’effet de co-tunneling permet à deux avalanches de se produire de manière synchronisée, grâce aux interactions entre de grands ensembles d’électrons.

Christopher Simon tient un cristal de fluorure de lithium holmium yttrium. Crédit : Lance Hayashida/Caltech

Une expérience révélatrice

Pour leurs expériences, les chercheurs ont utilisé un matériau cristallin rose, le fluorure de lithium holmium yttrium, refroidi à des températures proches du zéro absolu. En enroulant une bobine autour du matériau et en appliquant un champ magnétique, ils ont mesuré de brefs sauts de tension, similaires à ceux observés par Barkhausen en 1919. Ces pics de tension indiquent le moment où des groupes de spins électroniques basculent leur orientation magnétique, produisant ainsi le bruit de Barkhausen.

En analysant ce bruit, les chercheurs ont pu montrer qu’une avalanche magnétique se produisait même en l’absence d’effets classiques. Ils ont notamment constaté que ces effets étaient insensibles aux variations de température du matériau, ce qui les a conduits à conclure que des effets quantiques étaient à l’origine de ces changements à grande échelle.

Des implications potentielles pour les technologies quantiques

Cette étude met en évidence le fait que des effets quantiques microscopiques peuvent entraîner des changements macroscopiques dans les matériaux. Les régions de basculement des spins peuvent contenir jusqu’à un million de milliards de spins, sur un total d’environ un milliard de billions de spins dans l’ensemble du cristal.

Selon Thomas F. Rosenbaum, professeur de physique à Caltech et co-auteur de l’étude, ces travaux s’inscrivent dans la lignée des recherches menées par son laboratoire, qui visent à isoler les effets quantiques afin de les comprendre de manière quantitative. Une autre étude récente publiée dans PNAS par l’équipe de Rosenbaum a également montré comment de minuscules effets quantiques peuvent conduire à des changements à plus grande échelle dans l’élément chrome.

En synthèse

La découverte du bruit de Barkhausen quantique par les chercheurs de Caltech ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la physique fondamentale et des technologies quantiques. En démontrant que des effets quantiques microscopiques peuvent entraîner des changements macroscopiques dans les matériaux ferromagnétiques, cette étude pose les bases de futures applications dans le domaine des capteurs quantiques et des dispositifs électroniques.

Pour une meilleure compréhension

Qu’est-ce que le bruit de Barkhausen ?

Le bruit de Barkhausen est un phénomène qui se produit dans les matériaux ferromagnétiques lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique externe. Il est caractérisé par des sauts discontinus dans la magnétisation du matériau, résultant de l’alignement progressif des spins électroniques dans les différentes régions du matériau.

Qu’est-ce que l’effet tunnel quantique ?

L’effet tunnel quantique est un phénomène qui permet aux particules de franchir une barrière énergétique sans avoir à passer par-dessus. Dans le monde quantique, les particules sont en réalité des ondes, et une partie de leur fonction d’onde peut se trouver de l’autre côté de la barrière énergétique.

Qu’est-ce que le co-tunneling ?

Le co-tunneling est un effet quantique dans lequel des groupes d’électrons en tunneling communiquent entre eux pour orienter les spins électroniques dans la même direction. Cet effet permet à deux avalanches de spins de se produire de manière synchronisée, grâce aux interactions entre de grands ensembles d’électrons.

Quels sont les matériaux utilisés dans l’étude ?

Les chercheurs ont utilisé un matériau cristallin rose, le fluorure de lithium holmium yttrium, refroidi à des températures proches du zéro absolu pour leurs expériences.

Quelles sont les implications potentielles de cette découverte ?

La découverte du bruit de Barkhausen quantique ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la physique fondamentale et des technologies quantiques. Elle pourrait conduire à de futures applications dans le domaine des capteurs quantiques et des dispositifs électroniques.

Références

Article : “Quantum Barkhausen noise induced by domain wall cotunneling” – DOI : https://doi.org/10.1073/pnas.2315598121

[ Rédaction ]

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