Les aurores boréales, fascinantes manifestations lumineuses, résultent de l’interaction entre les électrons tombant du ciel et la haute atmosphère. Ces phénomènes naturels émerveillent par leur diversité de couleurs, principalement dues aux lignes d’émission des atomes de nitrogène et d’oxygène, neutres ou ionisés, ainsi qu’aux bandes d’émission moléculaires. Comprendre en profondeur ces couleurs nécessite des observations spectrales détaillées, tant sur le plan temporel que spatial.
Pour analyser les processus d’émission et les couleurs des aurores, il est essentiel de décomposer la lumière. Des observations spectrales complètes permettent d’étudier en détail les processus d’émission aurorale. La variété des couleurs caractéristiques, telles que le vert et le rouge, découle des niveaux d’énergie de transition, des vibrations et rotations moléculaires.
L’Institut national des sciences de la fusion (NIFS) observe l’émission de lumière provenant du plasma dans un champ magnétique à l’aide du Grand dispositif hélicoïdal (LHD). Divers systèmes ont été développés pour mesurer le spectre de la lumière émise par le plasma, permettant d’étudier les processus de transport d’énergie ainsi que les émissions atomiques et moléculaires. En appliquant cette technologie aux observations aurorales, il devient possible de mieux comprendre la luminescence aurorale et le processus de production d’énergie des électrons responsables de cette luminescence.
Développement d’une caméra hyperspectrale
Les observations aurorales traditionnelles utilisent des filtres optiques pour obtenir des images de couleurs spécifiques, mais cette méthode présente l’inconvénient d’une résolution de longueur d’onde limitée. En revanche, une caméra hyperspectrale offre l’avantage d’obtenir une distribution spatiale du spectre avec une haute résolution de longueur d’onde. En 2018, un projet de développement d’une caméra hyperspectrale haute sensibilité a été lancé, combinant un spectromètre à lentille avec une caméra EMCCD et un système optique à balayage d’image utilisant des miroirs galvanométriques.
Après cinq ans de développement, un système capable de mesurer les aurores à 1kR (1 kilo-Rayleigh) a été installé en mai 2023 au KEOPS, situé au Centre spatial Esrange de la Swedish Space Corporation à Kiruna, en Suède. Cet emplacement, situé directement sous la ceinture aurorale, permet des observations fréquentes des aurores. Le système a réussi à acquérir des images hyperspectrales des aurores, c’est-à-dire des images bidimensionnelles décomposées par longueur d’onde. Les observations ont débuté en septembre 2023, et les données sont acquises à distance depuis le Japon.
Analyse des données et publication
Les intensités d’émission aurorale et les positions d’observation ont été calibrées en se basant sur les positions des étoiles obtenues après l’installation. Les données seront mises à disposition du public. En utilisant les données d’une rupture aurorale survenue le 20 octobre 2023, il a été possible de clarifier le type de données pouvant être visualisées avec ce système. L’énergie des électrons a été estimée à partir du rapport d’intensité de la lumière à différentes longueurs d’onde, ce qui a conduit à la publication de cette étude.
La figure 1 montre la différence de couleur des aurores lorsque les électrons arrivent à des énergies et vitesses faibles par rapport à des énergies et vitesses élevées. Les électrons lents émettent une lumière rouge intense à haute altitude, tandis que les électrons rapides pénètrent à des altitudes plus basses et émettent une lumière verte ou violette intense. La figure 2 présente une image bidimensionnelle des aurores résolue en chaque couleur (longueur d’onde) observée avec la caméra hyperspectrale de pointe. La distribution différente par couleur a été observée car les éléments produisant la lumière varient selon la hauteur à laquelle elle est générée.
Estimation de l’énergie des électrons
À partir du rapport d’intensité de la lumière rouge (630nm) à la lumière violette (427.8nm), il est possible de déterminer l’énergie des électrons responsables de l’aurore. Grâce à la caméra hyperspectrale (HySCAI), capable de spectroscopie fine de la lumière, l’énergie des électrons entrants lors de l’explosion aurorale observée a été estimée à 1600 électrons-volts, une énergie équivalente à la tension d’environ 1000 piles sèches. Les valeurs observées étaient cohérentes avec celles précédemment connues, validant ainsi les observations.
Pour la première fois, une distribution spatiale détaillée des couleurs (image bidimensionnelle) et une image hyperspectrale des aurores boréales ont été obtenues. De nombreuses études aurorales antérieures utilisaient un système où la lumière était sélectionnée par un filtre ne laissant passer que certaines longueurs d’onde. Ce nouveau système compense cet inconvénient en permettant l’observation de changements spectrales détaillés, contribuant ainsi à l’avancement de la recherche sur les aurores. En parallèle, le système offre des perspectives sur le transport d’énergie dû à l’interaction entre particules chargées et ondes dans un champ magnétique, un sujet également étudié dans le domaine des plasmas de fusion. Cette étude interdisciplinaire, menée en coopération avec des universités et instituts de recherche au Japon et à l’étranger, devrait contribuer au développement mondial de la recherche sur les aurores.
Article : « Development of Hyperspectral Camera for Auroral Imaging » – DOI: 10.1186/s40623-024-02039-y
Légende illustration : Images de l’observation des différences de couleur dans les aurores boréales à l’aide de l’équipement de pointe. Les électrons à haute énergie font briller les aurores à basse altitude, produisant une lumière violette. Crédit : National Institute for Fusion Science