Une équipe de chercheurs de l’université Yale a réussi à contrôler, à l’aide de la lumière, les vibrations mécaniques d’un objet macroscopique jusqu’à leur état fondamental quantique. Publiés dans la revue Nature Physics, leurs travaux permettent d’envisager des applications en communication quantique, stockage d’information quantique, et conception de dispositifs plus robustes face à la décohérence, ce phénomène qui, en effaçant les propriétés quantiques, freine le développement d’ordinateurs quantiques fonctionnels.
Sous la direction de Peter Rakich, professeur de physique appliquée titulaire de la chaire Donna Dubinsky, les scientifiques ont conçu un résonateur microscopique en quartz cristallin, pesant environ dix microgrammes, une masse infime à l’échelle humaine, mais gigantesque dans l’univers quantique.
« Dans le domaine quantique, “massif” est un terme relatif », précise Peter Rakich. Leur approche ne repose pas sur la masse absolue, mais sur la capacité à maintenir un comportement collectif quantique sur un système composé d’un nombre astronomique de particules, une réalisation jusqu’alors réservée à des objets bien plus petits, souvent de l’ordre du nanomètre.
La taille, un atout contre la fragilité quantique
L’importance de leur réalisation tient en grande partie à la dimension inhabituelle du système étudié. Jusqu’à présent, les tentatives de contrôle quantique des vibrations mécaniques ou phonons se limitaient à des structures environ un million de fois plus petites. Or, en augmentant la taille de l’objet, les chercheurs ont observé un allongement significatif de la durée pendant laquelle l’information quantique conserve ses propriétés : ce que les physiciens appellent le temps de cohérence.
Ce gain n’est pas anodin. Dans les systèmes quantiques, chaque interaction parasite accélère la perte de cohérence. Plus un objet est petit, plus la proportion d’atomes situés en surface est élevée, et plus ces interactions perturbatrices deviennent prégnantes. « Il est notoirement difficile de contrôler les diverses interactions qui se produisent à la surface », souligne Peter Rakich. Leur approche contourne ce problème en exploitant les ondes acoustiques à l’intérieur même du cristal, loin des bords, là où les atomes sont moins exposés aux perturbations environnementales.
Hagai Diamandi, ancien postdoctorant dans le laboratoire de Rakich et auteur principal de l’étude insiste sur la robustesse du matériau choisi : « La structure du résonateur à l’échelle micrométrique est très robuste contre le chauffage non désiré, ce qui rend bien plus facile l’utilisation de ce système comme mémoire quantique. »
Un dispositif optique sur mesure
D’autres équipes avaient déjà fabriqué des résonateurs cristallins capables de supporter des phonons acoustiques de volume, c’est-à-dire des vibrations se propageant à travers la masse du matériau plutôt qu’à sa surface. Mais ces dispositifs étaient conçus pour interagir avec des signaux électriques, ce qui limitait leur accès à des phonons de très basse fréquence. L’innovation de l’équipe de Yale réside dans la conception d’un résonateur acoustique massif spécifiquement optimisé pour interagir avec la lumière.
Pour y parvenir, les chercheurs ont intégré leur cristal de quartz dans un résonateur optique de type Fabry-Perot, un dispositif composé de miroirs à haute réflectivité qui amplifient le champ lumineux à l’intérieur du matériau. Grâce à cette configuration, ils ont pu renforcer considérablement l’interaction entre les photons du laser et les phonons mécaniques. En ajustant précisément la fréquence et l’intensité du faisceau laser, ils ont extrait de l’énergie du système jusqu’à atteindre l’état fondamental quantique des vibrations — un état où aucune énergie vibratoire ne peut être retirée sans violer les lois de la mécanique quantique.
Ce refroidissement optique n’est pas une simple réalisation technique : il permet de stabiliser les phonons, de réduire leur bruit intrinsèque, et d’enrichir leurs propriétés quantiques. « Disposer d’un système qui peut contrôler précisément les phonons tout en maintenant leurs propriétés uniques autorise des possibilités intéressantes pour faire progresser le domaine de la recherche quantique », affirme Hagai Diamandi.
Vers des applications concrètes
Si ces expériences restent pour l’heure confinées au laboratoire, leur portée dépasse largement la simple démonstration théorique. La maîtrise des phonons dans des systèmes massifs pourrait permettre de concevoir des mémoires quantiques plus durables, des transducteurs opto-mécaniques plus efficaces, ou encore des capteurs ultra-précis exploitant les propriétés quantiques des vibrations mécaniques.
Dans un domaine où la stabilité des états quantiques est souvent mesurée en microsecondes, chaque gain de cohérence représente un pas vers la faisabilité technique. Le fait de déplacer le lieu de l’interaction constitue une stratégie élégante et potentiellement généralisable à d’autres matériaux ou architectures.
La prochaine étape consistera à intégrer ces résonateurs dans des circuits hybrides, où phonons, photons et qubits pourraient interagir de manière coordonnée. Rien, dans les lois de la physique, n’interdit cette évolution. Tout, dans les résultats publiés, suggère qu’elle est désormais envisageable.
Source : Yale Engineering