Des physiciens du MIT ont capturé les premières images d’atomes individuels interagissant librement dans l’espace. Les images révèlent des corrélations entre les particules « libres » qui, jusqu’à présent, avaient été prédites mais jamais observées directement. Ces résultats, publiés aujourd’hui dans la revue Physical Review Letters, aideront les scientifiques à visualiser des phénomènes quantiques inédits dans l’espace réel.
Les images ont été prises à l’aide d’une technique mise au point par l’équipe, qui permet tout d’abord à un nuage d’atomes de se déplacer et d’interagir librement. Les chercheurs allument ensuite un réseau de lumière qui fige brièvement les atomes et appliquent des lasers finement réglés pour éclairer rapidement les atomes suspendus, créant ainsi une image de leurs positions avant qu’ils ne se dissipent naturellement.
Les physiciens ont appliqué cette technique pour visualiser des nuages de différents types d’atomes et ont réalisé un certain nombre de premières en matière d’imagerie. Les chercheurs ont observé directement des atomes appelés « bosons », qui s’agglutinent dans un phénomène quantique pour former une onde. Ils ont également capturé des atomes appelés « fermions » en train de s’apparier dans l’espace libre, un mécanisme clé qui permet la supraconductivité.
« Nous sommes en mesure de voir des atomes isolés dans ces nuages d’atomes intéressants et ce qu’ils font les uns par rapport aux autres, ce qui est magnifique », déclare Martin Zwierlein, professeur de physique Thomas A. Frank au MIT.
Dans le même numéro de la revue, deux autres groupes utilisent des techniques d’imagerie similaires, dont une équipe dirigée par le lauréat du prix Nobel Wolfgang Ketterle, professeur de physique John D. MacArthur au MIT. Le groupe de Ketterle a visualisé des corrélations de paires renforcées entre bosons, tandis que l’autre groupe, de l’École normale supérieure de Paris, dirigé par Tarik Yefsah, ancien postdoc dans le laboratoire de Zwierlein, a imagé un nuage de fermions n’interagissant pas.
L’étude de Zwierlein et de ses collègues est cosignée par les étudiants diplômés du MIT Ruixiao Yao, Sungjae Chi et Mingxuan Wang, ainsi que par Richard Fletcher, professeur adjoint de physique au MIT.
À l’intérieur du nuage
Un atome unique a un diamètre d’environ un dixième de nanomètre, ce qui correspond à un millionième de l’épaisseur d’une mèche de cheveux humains. Contrairement aux cheveux, les atomes se comportent et interagissent selon les règles de la mécanique quantique ; c’est leur nature quantique qui rend les atomes difficiles à comprendre. Par exemple, il est impossible de savoir à la fois où se trouve un atome et à quelle vitesse il se déplace.
Les scientifiques peuvent appliquer différentes méthodes pour imager les atomes individuels, notamment l’imagerie par absorption, où la lumière laser brille sur le nuage d’atomes et projette son ombre sur l’écran d’une caméra.
« Ces techniques permettent de voir la forme et la structure globales d’un nuage d’atomes, mais pas les atomes individuels eux-mêmes », note M. Zwierlein. « C’est comme voir un nuage dans le ciel, mais pas les molécules d’eau individuelles qui le composent ».
Ses collègues et lui ont adopté une approche très différente afin d’obtenir une image directe des atomes interagissant dans l’espace libre. Leur technique, appelée « microscopie à résolution atomique », consiste d’abord à enfermer un nuage d’atomes dans un piège lâche formé par un faisceau laser. Ce piège contient les atomes en un seul endroit où ils peuvent interagir librement. Les chercheurs font ensuite clignoter un réseau de lumière qui fige les atomes dans leur position. Ensuite, un second laser illumine les atomes en suspension, dont la fluorescence révèle leur position individuelle.
« Le plus difficile a été de recueillir la lumière des atomes sans les faire sortir du réseau optique », explique Zwierlein. « Vous pouvez imaginer que ces atomes n’apprécieraient pas d’être attaqués au lance-flammes. Au fil des ans, nous avons donc appris quelques astuces pour y parvenir. Et c’est la première fois que nous le faisons in situ, où nous pouvons soudainement geler le mouvement des atomes lorsqu’ils interagissent fortement, et les voir, l’un après l’autre. C’est ce qui rend cette technique plus puissante que ce qui a été fait auparavant ».

Grappes et paires
L’équipe a appliqué la technique d’imagerie pour observer directement les interactions entre les bosons et les fermions. Les photons sont un exemple de boson, tandis que les électrons sont un type de fermion. Les atomes peuvent être des bosons ou des fermions, en fonction de leur spin total, qui est déterminé par le fait que le nombre total de protons, de neutrons et d’électrons est pair ou impair. En général, les bosons s’attirent, tandis que les fermions se repoussent.
Zwierlein et ses collègues ont d’abord imaginé un nuage de bosons composé d’atomes de sodium. À basse température, un nuage de bosons forme ce que l’on appelle un condensat de Bose-Einstein – un état de la matière dans lequel tous les bosons partagent un seul et même état quantique. Ketterle, du MIT, a été l’un des premiers à produire un condensat de Bose-Einstein à partir d’atomes de sodium, ce qui lui a valu le prix Nobel de physique en 2001.
Le groupe de Zwierlein est désormais en mesure de visualiser les atomes de sodium individuels au sein du nuage, afin d’observer leurs interactions quantiques. Il est prévu depuis longtemps que les bosons se regroupent, c’est-à-dire qu’ils ont une probabilité accrue d’être proches les uns des autres. Ce regroupement est une conséquence directe de leur capacité à partager une seule et même onde mécanique quantique. Ce caractère ondulatoire a été prédit pour la première fois par le physicien Louis de Broglie. C’est l’hypothèse de l’« onde de Broglie » qui est en partie à l’origine de la mécanique quantique moderne.
« Cette nature ondulatoire nous permet de mieux comprendre le monde », constate M. Zwierlein. « Mais il est très difficile d’observer ces effets quantiques et ondulatoires. Cependant, notre nouveau microscope nous permet de visualiser directement cette onde ».
Lors de ses expériences d’imagerie, l’équipe du MIT a pu voir, pour la première fois in situ, des bosons se regrouper car ils partageaient une onde de Broglie quantique et corrélée. L’équipe a également imagé un nuage composé de deux types d’atomes de lithium. Chaque type d’atome est un fermion, qui repousse naturellement son propre type, mais qui peut interagir fortement avec d’autres types de fermions particuliers. En observant le nuage, les chercheurs ont constaté que les types de fermions opposés interagissaient et formaient des paires de fermions, un couplage qu’ils ont pu observer directement pour la première fois.
« Ce type de couplage est à la base d’une construction mathématique imaginée pour expliquer les expériences. Mais quand on voit des images comme celles-ci, on voit sur une photographie un objet qui a été découvert dans le monde mathématique », explique Richard Fletcher, coauteur de l’étude. « C’est donc un très beau rappel que la physique concerne des choses physiques. C’est une réalité. »
À l’avenir, l’équipe appliquera sa technique d’imagerie pour visualiser des phénomènes plus exotiques et moins bien compris, tels que la « physique de Hall quantique », c’est-à-dire des situations dans lesquelles des électrons en interaction présentent des comportements corrélés inédits en présence d’un champ magnétique.
« C’est à ce moment-là que la théorie devient vraiment délicate – lorsque les gens commencent à dessiner des images au lieu de rédiger une théorie complète parce qu’ils ne peuvent pas la résoudre entièrement », conclut M. Zwierlein. « Nous pouvons désormais vérifier si ces dessins d’états de Hall quantique sont réels. Car il s’agit d’états assez étranges. »
Légende illustration : Grâce à la microscopie résolue à l’atome unique, des gaz quantiques ultrafroids composés de deux types d’atomes révèlent des corrélations spatiales nettement différentes : les bosons de gauche présentent un effet de grappe, tandis que les fermions de droite affichent un effet d’anti-grappe. Crédit : Sampson Wilcox
Article : « Measuring pair correlations in Bose and Fermi gases via atom-resolved microscopy » – DOI : https://journals.aps.org/prl/accepted/5a079Y60Lf016e80733215023fc6b429b2f7d4405