Etat des lieux d’une ressource précieuse : l’eau

Après les épisodes de sécheresse qu’a subis l’Union Européenne au printemps dernier, et la situation dramatique que connaît la Corne de l’Afrique actuellement, la société Alcimed revient sur la situation de l’accès à l’eau dans le monde et l’utilisation de l’eau pour des fins énergétiques.

D’un point de vue global et très cartésien, l’eau ne manque pas sur Terre.

Sur les 1,4 milliards de km3 d’eau sur Terre, 97% est salée, puis la majeure partie de l’eau douce restante est gelée aux pôles. Au final, nous disposons d’environ 9 millions de km3 d’eau douce. Cependant ce chiffre correspond à une réserve d’eau en majorité non renouvelable, puisque la plupart des mers intérieures et eaux souterraines ont des fréquences de renouvellement de plusieurs milliers d’années.

La quantité d’eau douce renouvelable disponible nous est en fait donnée par le cycle de l’eau : il tombe plus d’eau sur les continents sous forme de précipitations qu’il ne s’en évapore. Un flux d’eau s’écoule alors naturellement des continents vers les océans, sous forme de fleuves et de rivières.

Au total, l’Homme ne dispose donc que d’environ 40 000 km3 d’eau douce renouvelable par an.

Cela est-il suffisant ? D’un point de vue global, oui. Nous sommes à présent 7 milliards sur Terre et la population mondiale devrait se stabiliser autour de 9 milliards en 2050, ou au plus 10 milliards en 2100, ce qui nous laissera à chacun 4 000 m3/an.

A titre de comparaison, un Américain prélève « seulement » 1 550 m3/an (industrie, agriculture et usage domestique compris) et un Français 512 m3, laissant suffisamment d’eau à l’environnement.

Pourtant 884 millions de personnes n’ont toujours pas accès directement à l’eau potable.

Pour comprendre pourquoi 1 personne sur 8 n’a pas accès directement à l’eau potable, on peut tout d’abord identifier une première cause qui est la répartition inégale de l’eau sur Terre. De nombreuses régions, notamment en Afrique septentrionale ou au Moyen-Orient, sont en condition de stress hydrique (moins de 1 700 m3/hab/an) ou de pénurie (moins de 1 000 m3). Pour exemple, alors que l’Islande possède 540 000 m3 d’eau renouvelable/hab/an, le Koweït doit se satisfaire de 7 m3.

Mais un difficile accès à l’eau n’est pas toujours synonyme de non accès à l’eau. L’Arabie Saoudite, en prélevant près de 10 fois sa ressource renouvelable dans des aquifères épuisables et en désalinisant l’eau de mer, fournit de l’eau potable à la totalité de sa population. A contrario, au Congo, moins de 50% des habitants ont un accès direct à l’eau potable alors que chaque personne pourrait disposer en moyenne de 230 000 m3 d’eau douce renouvelable par an…

Le problème principal de l’accès à l’eau est celui de l’assainissement et de la distribution

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) établis en 2000 par les Nations Unies visent une réduction de moitié, d’ici 2015 par rapport à 1990, du pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable, et de moitié également du pourcentage de la population qui n’a pas accès à un système d’assainissement (le premier système d’assainissement étant la latrine à fosse simple).

Les objectifs concernant l’approvisionnement en eau seront a priori atteints, avec un pourcentage qui a baissé de 23% en 1990 à 13% en 2008, mais l’assainissement serait encore hors de portée pour 2,7 milliards de personnes en 2015, au lieu des 1,7 milliards visés.

L’assainissement est un facteur très important puisqu’il a été remarqué que le seul accès à l’eau, sans évacuation ni traitement, entraîne une pollution accrue et une hausse des maladies transmises par l’eau. Dans les pays en voie de développement, 80% des égouts sont déversés directement dans les rivières sans traitement préalable, à tel point que la moitié des habitants de ces pays souffrent d’une ou plusieurs maladies liées au manque d’approvisionnement en eau et de dispositifs d’assainissement. Enfin, 2,2 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent par an à cause du facteur « eau, assainissement, hygiène ».

Pour améliorer cette situation, il faut bien évidemment que les Etats soient politiquement forts (les guerres en Afrique limitent drastiquement les possibilités d’un développement des infrastructures dans l’eau et l’agriculture), mais il faut surtout qu’ils aient les moyens de fournir ces installations à toute la population, ce qui est d’autant plus dur que la croissance démographique est importante.

L’agriculture est le secteur le plus consommateur en eau, mais celui de l’énergie pourra entrer en compétition avec les besoins en nourriture et en eau dans certaines situations.

Le développement des pays entraîne aussi bien un accroissement de la demande en eau que de la demande en énergie. Dans les pays en développement, l’énergie représente d’ailleurs le premier poste de coût dans l’acheminement et le chauffage de l’eau. Inversement, il peut être intéressant de se demander en quelles quantités l’eau est requise par le secteur énergétique, et si celui-ci ne pourrait pas un jour empiéter sur les besoins fondamentaux de boire et de se nourrir.

Deux secteurs de la production d’énergie sont à prendre en compte : la production d’électricité et l’extraction des ressources naturelles.

La production d’électricité se fait encore majoritairement à partir de ressources fossiles via des centrales thermiques (thermique à flamme ou nucléaire). Ces centrales thermoélectriques nécessitent de grandes quantités d’eau pour le circuit de refroidissement. En France, 94 l d’eau sont prélevés pour produire 1 kWh via une centrale thermoélectrique, la part de la production d’électricité dans les prélèvements d’eau atteignant alors 59%. Cependant, l’essentiel de cette eau est restituée :

– Si le circuit de refroidissement est en circuit ouvert (par exemple directement relié à la mer), toute l’eau prélevée est renvoyée, plus chaude d’une dizaine de degrés ;

– Si le circuit de refroidissement est en circuit fermé avec un aéroréfrigérant (comme c’est le cas pour les centrales au bord des fleuves), moins d’1% de l’eau prélevée est évaporée et donc perdue. La consommation d’eau est alors d’environ 2 l / kWh.

Cette différence entre eau prélevée et eau consommée (c’est-à-dire l’eau qui n’est pas restituée à son milieu) est particulièrement significative, comme on peut le voir sur ces graphes qui concernent la France :

Cette différence met notamment en avant le fait que l’impact majeur du secteur énergétique sur l’eau est la modification environnementale qu’il peut apporter. Concernant les centrales thermoélectriques, il s’agit principalement du réchauffement de l’eau du fleuve, qui est facilement mesurable et contrôlable ; concernant l’extraction des ressources fossiles, les impacts peuvent être beaucoup plus importants.

Pour l’extraction d’hydrocarbures, l’eau est utilisée majoritairement lors de l’extraction secondaire, c’est-à-dire lorsque la pression dans le puits n’est plus suffisante pour que le pétrole sorte de manière spontanée. On injecte alors de grandes quantités d’eau dans le puits pour compenser cette baisse de pression.

S’il s’agit d’une plateforme offshore, l’eau est tout simplement prélevée dans la mer ; onshore il faut aller puiser dans les rivières, les aquifères ou les eaux usées.

Actuellement, il faut en moyenne 200 litres d’eau pour produire un baril d’hydrocarbure. Au niveau mondial, entre 65 et 70% provient de la mer, et 10% d’aquifères salins. Le prélèvement d’eau douce dans le cadre de l’extraction d’hydrocarbures est donc faible.

De plus, lorsque le pétrole est extrait, une grande quantité d’eau ressort spontanément : c’est ce qu’on appelle l’eau produite. Plus le champ est mature, plus la quantité d’eau produite est importante (en moyenne, 3 à 5 barils d’eau sont produits pour 1 baril d’hydrocarbure). Lors de l’extraction secondaire, même si une partie de l’eau injectée n’est jamais récupérée (puisque, de manière simplifiée, il faut compenser la perte de pétrole dans le puits pour maintenir la pression), une majorité de cette eau ressort avec l’eau produite.

Cependant, ces eaux produites sont fortement dégradées (corrosives, huileuses, toxiques…) et un traitement est indispensable avant de pouvoir les réutiliser.

La majeure partie est rejetée soit en mer soit en rivière après traitement, surtout pour les plateformes offshore (80 à 90% de l’eau produite est rejetée). Il faut alors s’assurer de la qualité pour ne pas dépasser les normes environnementales. Une partie est également renvoyée dans des aquifères salins. Enfin, le reste de l’eau produite est réinjecté dans le puits.

La proportion d’eau réinjectée sur les champs onshore varie actuellement entre 20 et 60%
et est amenée à croître avec l’augmentation des réglementations environnementales. Une gestion intégrée efficace des eaux de production pourrait permettre de se rapprocher du 100% de recyclage.

Cette extraction secondaire ne permettant pas de dépasser un taux de récupération de 35%, de nouvelles techniques commencent à être rentables pour aller au-delà de ce taux : c’est l’extraction tertiaire ou EOR (Enhanced Oil Recovery). L’EOR regroupe trois méthodes différentes, toutes trois très consommatrices d’eau :

– L’injection de vapeur : 800 l d’eau / baril équivalent pétrole (bep)

– L’injection de CO2 : 5 000 l d’eau / bep

– L’injection d’eau avec additifs (alcalins, tensioactifs, polymères) : 48 000 l / bep

A cause de la diminution des découvertes de nouveaux gisements, l’EOR va être de plus en plus utilisée et il faudra alors faire très attention à l’augmentation de la demande en eau, et surtout à l’impact environnemental des rejets.

Si un champ pétrolier ne prélève que 10% du débit d’une rivière mais y rejette de l’eau impropre à la consommation, c’est toute la rivière qui est contaminée et inutilisable.

Pour les ressources non conventionnelles comme les sables bitumineux ou les gaz de schistes, ce sont d’ailleurs les conséquences environnementales qui font le plus débat.

L’impact de l’énergie sur les ressources en eau provient donc principalement des rejets dans l’environnement.

Toutefois, dans les pays déjà touchés par un stress hydrique, l’extraction ou la production d’énergie peuvent venir en compétition avec les besoins en nourriture et en eau, et ainsi retarder le développement de ces pays.

Le réchauffement climatique aggrave les disparités de précipitations sur la Terre

Les observations actuelles, relevées notamment dans le tout dernier rapport de la FAO[1], tendent à montrer que le réchauffement climatique aggrave les disparités de précipitations sur la Terre, inondant les zones humides et asséchant les zones arides.

Dans les pays développés, comme en Europe, aux Etats-Unis ou en Australie, certaines régions s’approchent du stress hydrique et les sécheresses saisonnières sont de plus en plus courantes. Mais des solutions existent, comme la maîtrise de la consommation, la récupération des eaux de pluie et eaux usées ou la diminution des fuites dans le réseau urbain.

Dans les pays pauvres ou en voie de développement, le réchauffement climatique ne peut qu’empirer la situation déjà dramatique, d’où la nécessité d’agir au plus vite pour fournir le minimum vital d’eau et d’assainissement à l’ensemble de la population, sans quoi les tensions locales et régionales ne pourront que s’accentuer.

Finalement, pour une ressource qui ne s’échange pas sur les marchés mondiaux et qui ne peut être gérée que localement, l’eau représente un des grands enjeux planétaires de ce siècle. Pour lutter contre le non-accès à l’eau, exacerbé par la croissance démographique et le réchauffement climatique, la coopération internationale est plus que jamais nécessaire.

            

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Pastilleverte

Où l’on voir que, malgré les couplets alarmistes habituels, il existe des solutions, souvent “de bon sens”, pour règler la question de l’accès à l’eau douce ET à l’assainissement, comme il est bien montré que les deux aspects sont (devraient) être indissociables; La croissance démographique, ou plutôt la concentration démographique en milieu urbain plus ou moins anarchique reste(ra) un des gros points noirs, et encore plus pour la partie assinissement; Des solutions simples voire simplistes, dans le principe, telles que la chasse aux fuites, au gaspi, le stockage des eaux de pluie, une irrigation “durable” (sans aller jusqu’au “goutte à goutte”, quoique…), devraient permettre de garantir l’accès à l’eau et à l’assinisssement aux 9 à 10 milliards de terriens à l’horizon 2100. Cette cause vaut cent fois mieux que les milliards de dollars consacrés aux études sur le “changement climatique”, aux subventions aux énergies “vertes” et autres soit-disants “investissements-écologiques-pour-sauver-la- Planète, amen”..

Tock

Le problème de l’eau est que pas grand monde a conscience de son importance et les gens continuent de la gaspiller sans réfléchir en arrosant leur jardin en plein été, en construisant et remplissant leur piscine, en lavant leur voiture trop souvent, etc. Avec de l’eau de récupération, très bien, mais ce n’est pas souvent le cas… et les mairies et collectivités ne donnent pas forcément l’exemple lorsque l’on voit le nombre de pelouses publiques, ronds points, etc. arrosés chaque jour pour avoir des pelouses vertes! Changeons nos mentalités dès maintenant et arrêtons le gaspillage de l’eau!!!

gp

merci à Enerzine de nous offrir un article aussi complet sur l’eau. Ces dernières années, l’utilisation de l’eau “potable” à des fins énergétiques et d’exploitation minières suit les même tendances que la consommation des dites ressources. Et une fois n’est pas coutume (…), C en Amérique du Nord que le gaspillage atteint des sommets. Comme si ce continent vivait coupé du reste du monde… Entre l’exploitation des sables bitumineux en Alberta ( > 440L d’eau consommé pour produire un baril de brut) et l’exploitation industrielle du gaz de schiste un peu partout aux USA, ce sont plusieurs millions de m3 par jour qui partent “la poubelle”. C’est insupportable. Même à salt lake city ou à Las Végas, là où les réserves commencent sérieusement à se tarir, le gaspillage continue d’être la norme! Arrivera t-on un jour à “éduquer” ces gens-là??? Quand est-ce que les américains vont comprendre que la rareté est un train de prendre la place de l’abondance? On sous-estime trop souvent le rôle moteur que devrait jouer les 300 millions de consommateurs américains sur la question des ressources en eau et en énergie.