Découvert il y a moins de vingt ans dans le bassin de la Jadar, au cœur de la Serbie, le minéral baptisé « jadarite » intrigue autant qu’il nourrit les fantasmes. Son assemblage chimique, proche de celui attribué à la kryptonite dans l’univers de Superman, alimente les comparaisons. Or, loin des clichés hollywoodiens d’une pierre fluorescente capable d’affaiblir un super-héros, la jadarite recèle un potentiel bien réel : fournir à grande échelle du lithium et du bore, métaux indispensables à l’électrification des économies.
Points forts |
---|
La jadarite a été comparée à la "kryptonite" de Superman en raison de leur composition chimique similaire. |
En 2004, les géologues d’exploration du groupe Rio Tinto forent le sous-sol serbe à la recherche de borates. À 700 m de profondeur, leurs carottes de sondage révèlent un minéral inconnu, blanc et mat, qui trahit toutefois, sous ultraviolet, une discrète luminescence rosée. Les échantillons traversent bientôt deux continents pour analyses croisées au Musée d’histoire naturelle de Londres puis au Conseil national de la recherche du Canada. Deux ans plus tard, la Commission minéralogique Internationale valide l’existence d’une nouvelle espèce : Na Li Si B₃O₇(OH). L’officialisation intervient en 2006, propulsant la jadarite dans les journaux scientifiques du monde entier.
La nomenclature, pour le moins cocasse, fait aussitôt le bonheur des passionnés de pop culture : dans Superman Returns, sorti quelques mois plus tôt, un fragment de kryptonite volé par Lex Luthor porte, inscrit sur son écrin, exactement la même formule, à l’exclusion de l’atome de fluor et du fameux halo vert. Les clins d’œil du hasard, parfois, défient toute attente.
Composition et propriétés : la science démêle la fiction
La jadarite s’apparente à un silicate complexe associant sodium, lithium et bore. Cette combinaison réunit deux éléments stratégiques :
- le lithium, pilier des batteries Li-ion qui équipent voitures électriques, smartphones et stockage stationnaire ;
- le bore, clé de voûte dans les fibres de verre, les aimants néodyme-fer-bore et certains semi-conducteurs.
Contrairement à l’imaginaire populaire, le minéral n’émet pas de rayonnement vert. Sa fluorescence, ténue, vire au rose-orange sous rayons UV. À l’état brut, la pierre affiche une dureté comparable à celle du gypse et une densité modérée. Rien de bien spectaculaire, sinon la concentration exceptionnelle des métaux qu’elle renferme : jusqu’à 1.8% de lithium et près de 13% d’oxyde de bore, d’après les premières campagnes d’analyse menées par Rio Tinto.
Un gisement majeur au service de la transition énergétique
Les réserves du bassin de la Jadar sont estimées à 16 millions de tonnes de carbonate de lithium équivalent. Sur cette base, l’Institut géologique des États-Unis classe le site parmi les dix plus grands gisements mondiaux. L’enjeu dépasse largement la Serbie : la demande de lithium pourrait être multipliée par six d’ici 2040, sous l’impact conjoint de l’électromobilité et du stockage d’énergies renouvelables. Or, pour l’heure, près de 60% de la production provient d’Australie et du Chili, concentrant les risques d’approvisionnement.
En Australie précisément, l’Organisation scientifique et technologique du nucléaire (ANSTO) s’intéresse aux procédés capables de valoriser des minéraux atypiques. Michael Page, chercheur au sein de l’institution, insiste sur la singularité de l’enjeu : « En l’absence de super-pouvoirs, la jadarite offre néanmoins une opportunité majeure pour sécuriser l’accès à deux éléments critiques : le lithium et le bore », précise-t-il. L’ANSTO, qui pilote avec la CSIRO et Geoscience Australia un hub dédié aux minéraux stratégiques, a déjà validé en laboratoire la production d’hydroxyde de lithium « batterie grade » à partir de jadarite. Une étape indispensable pour convaincre les industriels de la viabilité économique du minerai.
Des défis techniques et l’acceptabilité locale
Exploiter la jadarite nécessite toutefois de relever deux obstacles majeurs. D’abord, la complexité minéralogique. Extraire simultanément le lithium et le bore implique des circuits chimiques multiples : phases de lixiviation sous haute température, précipitation sélective, puis purification. Rio Tinto annonce avoir mis au point un schéma hydrométallurgique propriétaire, mais garde secrètes les conditions de pH et les réactifs utilisés, invoquant la concurrence accrue sur le marché du lithium.
Ensuite, l’enracinement local. Dans la vallée de la Jadar, l’annonce d’une mine à ciel ouvert a suscité une contestation vigoureuse. Les associations écologistes et les agriculteurs craignent une pollution des nappes phréatiques, tandis que les autorités serbes misent sur les retombées économiques avec 2,4 milliards d’euros d’investissements et 1,000 emplois directs selon Belgrade. Face à la pression citoyenne, le gouvernement a suspendu en 2022 les permis environnementaux. Le projet reste en suspens, à mi-chemin entre ambition industrielle et prudence sociétale.
Vers un nouveau chapitre de la géo-économie des métaux
Si l’avenir de la mine serbe demeure incertain, l’impact symbolique de la jadarite, lui, s’affirme. Les grands groupes miniers réévaluent désormais des bassins longtemps jugés secondaires, en quête de sources de lithium autres que la traditionnelle spodumène australienne ou les saumures andines. Par effet domino, les instituts de recherche se penchent sur des silicates jusqu’alors négligés : l’hectorite aux États-Unis, la zinnwaldite en Allemagne, la pétalite au Zimbabwe.
Le fameux parallèle avec la kryptonite n’aura été qu’un trait d’esprit. La jadarite, pourtant, rappelle une réalité plus prosaïque : l’électrification des économies repose sur des atomes bien terrestres, dont l’extraction, la transformation et la mise en marché exigent rigueur scientifique, innovation industrielle et concertation publique. La transition énergétique, loin des super-pouvoirs, dépendra surtout de leur bonne gouvernance.
Source : CSIRO