Le CO2 peut devenir une ressource précieuse

Dans le cadre d’une nouvelle étude, des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI montrent que ce qu’on appelle l’électrolyse du CO2 peut être profitable et contribuer à la protection du climat. Ce procédé consiste à capter le dioxyde de carbone dans l’atmosphère là où il apparaît, par exemple lors de la production industrielle. Grâce à une conversion ultérieure par cellule d’électrolyse, il est ensuite utilisable par l’industrie chimique. L’étude a simulé l’utilisation de différents concepts de cellules à l’échelle industrielle. Elle paraît aujourd’hui dans le revue spécialisée Renewable & Sustainable Energy Reviews.

Réduire la concentration de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère représente l’un des plus grands défis de notre époque. C’est à cette condition que nous pourrons enrayer le changement climatique. Pour ce faire, il ne suffit pas de réduire rapidement les émissions de l’industrie, des transports et des ménages Si l’on veut atteindre à temps les objectifs climatiques convenus – comme le montrent de nombreuses analyses – nous devons également retirer activement du CO2 de l’atmosphère ou le capter directement au niveau de ses sources pour le mettre hors d’état de nuire.

Une question importante demeure: qu’advient-il ensuite de ce gaz à effet de serre? Une possibilité consiste à le séquestrer. Cela se fait déjà dans le cadre de ce qu’on appelle les projets CCS (pour Carbon Capture and Storage), où le CO2 est pompé dans le sous-sol, par exemple dans d’anciens gisements de gaz ou de sel. L’autre option consiste à utiliser le CO2 comme matière première: on parle alors de CCU (pour Carbon Capture and Utilization). Le CO2 peut être exploité directement comme agent extincteur, comme réfrigérant et comme engrais. Mais le plus payant est de l’utiliser comme matière première pour d’autres produits.

Des études antérieures, entre autres du PSI, ont montré que le monoxyde de carbone (CO) et l’acide formique (HCOOH) étaient des produits particulièrement prometteurs, car ils sont assez faciles à produire à partir de dioxyde de carbone: avec de l’eau par électrolyse. L’acide formique est utilisé par exemple comme antirhumatismal en médecine, ou encore comme agent décapant et comme agent imprégnant dans l’industrie textile et l’industrie du cuir. Le monoxyde de carbone est utilisé par exemple comme agent réducteur dans la fonte des minerais. Mais surtout, il peut être combiné avec de l’hydrogène pour produire des carburants synthétiques. Et ces derniers sont considérés comme très prometteurs, car ils peuvent remplacer le diesel, l’essence et le kérosène à partir de sources fossiles et sont neutres en CO2.

Le PSI mène de très nombreuses recherches dans ce domaine: au début de l’année, l’institut a lancé l’initiative SynFuels, encouragée par le Conseil des EPF, avec le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa). Par ailleurs, le Centre de compétence Stockage de la chaleur et de l’électricité (SCCER Heat and Electricity Storage) était placé sous l’égide du PSI. Ces deux initiatives ont rendu possible la recherche de l’étude présente..

Dans le cadre de cette étude, les chercheurs du PSI ont examiné en collaboration avec des collègues internationaux si l’électrolyse du CO2 en CO et en HCCOH pouvait être profitable en termes économiques, et si elle utilisait davantage de CO2 qu’elle n’en produisait par le biais de sa consommation d’énergie. En d’autres termes: ce procédé peut-il rapporter de l’argent et en même temps protéger le climat en tant que puits de CO2?

Simulation de six fabriques d’électrolyse différentes

Les chercheurs emmenés par Bernhard Pribyl-Kranewitter – qui pendant cette étude était doctorant au Laboratoire d’électrochimie du PSI – ont commencé à passer au crible la littérature scientifique pour repérer les données disponibles sur les systèmes d’électrolyse à basse température les plus efficaces pour produire du CO et du HCOOH. «Nous avons sélectionné les quatre meilleurs concepts de production de monoxyde de carbone – y compris un développement breveté par le PSI – et les deux meilleurs concepts de production d’acide formique», explique Bernhard Pribyl-Kranewitter. Ensuite, pour chacune des architectures cellulaires, les chercheurs ont construit et modélisé virtuellement des installations électrochimiques à grande échelle pour la production des deux produits chimiques. « Nous avons utilisé des logiciels de simulation, dont certains étaient très complexes, pour pouvoir représenter de manière aussi réaliste que possible le rendement des cellules à l’échelle industrielle », précise Bernhard Pribyl-Kranewitter.

Lors de leurs simulations, les chercheurs ont appliqué deux scénarios. Le premier était basé sur la technologie actuelle et partait d’une production journalière de 75 tonnes de CO, respectivement de 75 tonnes de HCOOH. Le deuxième était un scénario optimiste, qui postulait une amélioration de la technologie au cours des prochaines années, ainsi que des progrès au niveau de certains paramètres importants et de la production totale. Il simulait 100 tonnes par jour. Dans les deux scénarios, la durée de vie des installations était de 25 ans.

Dans les deux scénarios, le résultat des simulations a été le suivant: l’acide formique peut être produit de manière profitable dans ce qu’on appelle des cellules microfluides. Mais sa production génère plus de CO2 qu’elle n’en consomme. Cette consommation d’énergie est en effet relativement élevée: l’acide formique est produit sous forme de liquide en solution avec l’eau et doit être séparé au terme d’un processus très gourmand en énergie pour pouvoir être utilisé. En même temps, la production d’acide formique nécessite moins de CO2 que celle de la même quantité de monoxyde de carbone. Le mix de courant actuel de l’UE, qui repose encore pour plus de la moitié sur des énergies fossiles, génère 235 grammes de CO2 par kilowattheure. Or la production d’acide formique ne constitue un puits de CO2 qu’au-dessous d’un seuil de 137 grammes par kilowattheure. Autrement dit, la part d’énergies renouvelables doit encore considérablement augmenter pour que l’électrolyse du CO2 en acide formique ait un effet positif sur le climat.

Le monoxyde de carbone constitue un puits de CO2 potentiel

Pour la fabrication de monoxyde de carbone dans les systèmes de cellules alcalines couramment utilisés à cet effet, une valeur inférieure à 346 grammes par kilowattheure suffit, car le produit est obtenu sous forme de gaz et peut être facilement séparé. « Aujourd’hui déjà, la production de monoxyde de carbone constitue donc un puits de CO2 potentiel, estime Thomas Justus Schmidt, chef de projet et chef de la division de recherche Energie et environnement au PSI. Et plus la part d’énergies renouvelables augmentera dans le mix de courant, plus ce puits de CO2 sera important. » Toutefois, dans le scénario de base, aucune architecture cellulaire n’a permis de produire le monoxyde de carbone de manière profitable. A noter toutefois que la cellule d’électrolyse développée au PSI est celle qui présentait le meilleur potentiel. Dans le scénario optimiste, en revanche, les quatre architectures ont obtenu un résultat positif et celle du PSI a même fait mieux que l’une des cellules pour la production d’acide formique. « Même si ces résultats sont déjà positifs, le potentiel économique de notre architecture cellulaire n’est pas encore épuisé », relève Bernhard Pribyl-Kranewitter. Les chercheurs espèrent par ailleurs que les coûts des catalyseurs et des membranes baisseront.

« Le résultat de cette étude est très prometteur », souligne Thomas Justus Schmidt. En moyenne, la production de monoxyde de carbone présente une amélioration de 22% dans le scénario optimiste comparé à la fabrication d’acide formique. Cela signifie que si la technologie s’améliore encore et si les prix baissent comme on peut s’y attendre, le monoxyde de carbone présente au total le plus important potentiel pour une exploitation économique et écologique du dioxyde de carbone. « Sa fabrication peut apporter une contribution importante au tournant énergétique, étant donné qu’il s’agit de ce qu’on appelle une technologie à émissions négatives », poursuit Thomas Justus Schmidt. Son marché, notamment, est beaucoup plus important que celui de l’acide formique. En 2015, la production mondiale de CO atteignait 210 gigatonnes, alors qu’en 2019, celle de HCOOH était de 0,76 mégatonnes, soit une fraction seulement. « Nous devrions donc nous concentrer sur le perfectionnement de l’électrolyse du CO2 pour produire du monoxyde de carbone, recommande Thomas Justus Schmidt. Et poursuivre avec l’acide formique comme alternative. »

Auteur : Jan Berndorff

Influence of low-temperature electrolyser design on economic and environmental potential of CO and HCOOH production: a techno-economic assessment

Pribyl-Kranewitter, B., Beard, A., Gîjiu, C.L., Dinculescu, D., Schmidt, T.J.

Renewable and Sustainable Energy Reviews, 03.11.2021

DOI: 10.1016/j.rser.2021.111807

A propos du PSI

L’Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l’institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l’énergie et l’environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d’environ CHF 400 millions.

CP
Lien principal : dx.doi.org/10.15252/emmm.202013818
Autre lien : www.psi.ch

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Daniel

Dommage que les fabrications auxiliaires au procédé (membranes par exemple) ne soient pas incluses dans l’analyse bilan CO2.