L’exploration des matériaux capables de répondre aux exigences complexes des technologies quantiques suscite un intérêt croissant dans les milieux scientifiques. Parmi eux, une pierre précieuse, longtemps appréciée pour ses qualités esthétiques, s’est révélée bien plus qu’un simple joyau. L’étude menée par des chercheurs internationaux met en lumière une dimension insoupçonnée du spinel, ouvrant ainsi une fenêtre inédite sur son potentiel dans le domaine quantique.
La recherche, réalisée conjointement par des équipes issues de l’Université de Tohoku, de l’Université de Chicago et du laboratoire national d’Argonne, a été publiée dans la revue « Applied Physics Express ». Cette publication constitue le premier résultat tangible issu de l’alliance entre ces institutions, alliance formalisée en juin 2023 sous le nom de Chicago-Tohoku Quantum Alliance. Son objectif principal consiste à renforcer les liens entre universités, entreprises et gouvernements, notamment au Japon, afin de favoriser des avancées significatives dans divers champs technologiques.
Dans ce cadre, une équipe pluridisciplinaire a exploré les propriétés méconnues du spinel (MgAl₂O₄), une gemme connue pour ses couleurs vibrantes similaires à celles du rubis ou du saphir. Le professeur David Awschalom, directeur adjoint de la recherche à l’École d’ingénierie moléculaire Pritzker de l’Université de Chicago, illustre l’importance accordée à cette pierre dans le cadre des recherches actuelles : «Cette découverte souligne le potentiel extraordinaire de matériaux comme le spinel, qui ont longtemps été prisés pour leurs qualités esthétiques mais révèlent aujourd’hui des capacités scientifiques profondes.»
Les bases scientifiques du spinel dans les systèmes quantiques
Les technologies quantiques reposent sur l’utilisation des principes de la mécanique quantique pour traiter, stocker et transmettre des informations de manière inédite. Au cœur de ces dispositifs figurent des collections de qubits, unités fondamentales permettant de manipuler des données selon des règles non classiques. Des matériaux solides comme le diamant ou la moissanite sont déjà exploités pour leur capacité à piéger des spins électroniques grâce à des défauts atomiques spécifiques. Ces propriétés contribuent à isoler les qubits tout en garantissant leur stabilité lors des manipulations expérimentales.
Manato Kawahara, doctorant à l’Institut de recherche en communication électrique de l’Université de Tohoku, a expliqué : «Pensez à cela comme un globe de neige ; le verre protège les objets des perturbations extérieures, tout en permettant leur manipulation lorsque nous le secouons.»
Dans le contexte des qubits, des champs magnétiques ou électriques contrôlent le spin de ces derniers, assurant ainsi leur fonctionnement précis.
Les travaux préliminaires réalisés par les chercheurs de l’Université de Chicago, du laboratoire national d’Argonne et de l’Université de Tohoku avaient permis dès 2021 de définir des lignes directrices pour identifier de nouveaux systèmes à base de spins solides. En 2022, une méthode visant à accélérer la découverte de matériaux viables avait également été mise au point. Ces efforts ont conduit l’équipe actuelle à tester expérimentalement le spinel en utilisant un faisceau laser pour exciter la matière, avant d’analyser la lumière émise.

Une validation expérimentale et les implications futures
Shun Kanai, professeur à l’Institut de recherche en communication électrique et co-responsable de l’équipe, confirme deux des trois fonctions essentielles attendues d’un système qubit : l’initialisation et la détection. «En utilisant un système de mesure optique pour détecter l’information du qubit, nous avons découvert que le centre cérium (Ce) dans le spinel peut retenir des informations à très basse température (4 K), sous un champ magnétique de 500 mT.»
Pour être pleinement opérationnel, le système doit encore démontrer sa capacité à manipuler efficacement le spin du qubit. Cependant, les résultats obtenus jusqu’à présent permettent d’envisager des applications dans des domaines variés, allant du capteur quantique aux communications et au calcul. David Awschalom a ajouté : «Nous prévoyons de manipuler et contrôler le spin du qubit pour des applications émergentes.»
L’intégration du spinel dans les technologies quantiques pourrait redessiner certaines dynamiques industrielles. Les partenariats initiés par l’alliance Chicago-Tohoku visent à rapprocher davantage les mondes académiques et industriels, créant ainsi un environnement propice à l’innovation. Les entreprises japonaises, particulièrement impliquées dans ce projet, bénéficient d’un accès privilégié aux résultats issus de ces recherches.
Bien que des étapes restent nécessaires pour atteindre un niveau optimal de performance, les travaux actuels montrent que le spinel possède des caractéristiques exceptionnelles pour répondre aux besoins des systèmes quantiques modernes. Sa capacité à maintenir des informations à des températures extrêmement basses représente une avancée notable, susceptible d’influencer les développements futurs.
Légende illustration : une spinelle rose – GEN AI
Title: Polarization-dependent photoluminescence of Ce-implanted MgO and MgAl2O4
Authors: M. Kawahara, Y. Abe, K. Takano, F.J. Heremans, J. Ishihara, S.E. Sullivan, C. Vorwerk, V. Somjit, C.P. Anderson, G. Wolfowicz, M. Kohda, S. Fukami, G. Galli, D.D. Awschalom, H. Ohno, and S. Kanai. Journal: Applied Physics Express. DOI: 10.35848/1882-0786/ad59f4