“L’île de Sein est invisible de Paris ; serait-elle mal éclairée ?”

Le projet de loi sur la transition énergétique a été amendé et adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Le projet devra maintenant passer de la même façon au Sénat qui va certainement le modifier.

Ce serait en janvier 2015. Il devrait alors être discuté une dernière fois en commission mixte Assemblée – Sénat. Il y aura un vote. Et suite à cela, le projet de loi deviendra loi.

3 amendements ont été déposés pour les petites îles non interconnectées (ZNI) de moins de 2 000 clients. Leur adoption permettrait à l’île de Sein de faire elle aussi sa transition.

La rapporteure, bien que la commission n’avait pas étudié cet amendement, a donné un avis défavorable au nom de la Commission et la Ministre a donné le même avis défavorable et l’amendement a ainsi été rejeté. Cet avis est surprenant et tout à fait contradictoire à tous les propos de Madame la Minsitre. Nous lui transmettons donc la lettre ouverte que vous pourrez lire en pièce jointe.

Bien sûr, nous ne pouvons pas cacher que nous avons perdu une bataille. Mais comme on dit, nous n’avons pas encore perdu la guerre !

Lettre ouverte à Madame Royale, Ministre de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie

Objet : Loi sur la transition énergétique – rejet de l’amendement 2122

Les zones insulaires non interconnectées au réseau électrique métropolitain français (ZNI) de moins de 2 000 clients représentent de très petites consommations d’énergie qui n’encouragent pas les opérateurs de grande taille à étudier de nouveaux systèmes, notamment la production d’énergies renouvelables, pourtant abondantes dans ces régions (énergies marine, solaire et éolienne).

Non connectées au réseau, ces îles pourraient sans problème dépasser le seuil de 30 % de renouvelables actuellement défini pour éviter les perturbations du réseau de distribution. En effet, comme le prévoit l’arrêté du 23 avril 2008 mis en avant par l’opérateur EDF, ces zones disposent déjà de fait des capacités de stockage dépassant 100 % des besoins électriques, le premier stockage étant le fioul.

Par ailleurs, dans ces petites îles entièrement dépendantes à ce jour des importations de fioul pour toute leur énergie (chaleur, mobilité, électricité), dont dépend aussi en grande partie leur alimentation en eau potable (dessalement), l’innovation ne peut pas porter uniquement sur la production, mais doit couvrir tout le système énergétique. Cette question est au centre du projet de territoire de ces îles, mais elle leur échappe à ce jour : les décisions appartiennent au seul opérateur EDF, qui investit dans ces territoires dans de nouveaux générateurs au fioul et n’envisage pas d’évolution notable.

Cette production d’électricité au fioul entraîne des surcoûts très élevés qui sont compensés par la Contribution au Service Public de l’Électricité (CSPE). Selon la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), en 2014, 1,65 milliard € (soit 27 % du produit de la CSPE) a servi à financer l’achat de fioul pour approvisionner l’ensemble des ZNI.

L’amendement proposé vise à donner aux territoires insulaires non interconnectés de moins de 2 000 habitants la possibilité d’opter pour un autre opérateur qu’EDF, afin de pouvoir y mener des expériences alternatives à la production coûteuse et polluante du fioul.

Désigné par le Ministre chargé de l’énergie après avis de la CRE, cet opérateur devrait accepter les contraintes du service public, mais bénéficierait en contrepartie de la CSPE. Un tel opérateur s’affranchirait des limites d’intervention de l’opérateur historique (électricité) et pourrait aborder techniquement toutes les évolutions en rapport avec l’énergie (chauffage, mobilité terrestre et maritime, électricité, production d’eau potable, réseaux intelligents).

Ne concernant de fait que cinq îles ou archipel de France métropolitaine, ce projet n’aurait qu’un impact très limité. Le contrôle par la CRE garantit le bénéfice à terme pour la collectivité nationale.

Les risques techniques sont également extrêmement limités.

Le bénéfice pour le pays de ces expérimentations en vraie grandeur serait considérable en matière de transition énergétique (production d’énergies renouvelables en particulier les énergies marines, stockage, conversion, régulation).

Par ailleurs, le marché mondial pour des petits systèmes énergétiques autonomes est très important : des milliers d’îles et de zones insulaires non interconnectées pourraient bénéficier du savoir-faire développé pour ces projets. Le prix de l’énergie dans ces zones étant déjà aujourd’hui plusieurs fois supérieur au prix du marché de l’électricité en Europe, un développement à l’exportation basé sur l’expérience en ZNI nationale ne nécessiterait aucune subvention.

L’île de Sein, la preuve par l’exemple

Il y a une vingtaine d’années, les élus de l’île de Sein demandent à EDF de produire un peu d’électricité avec du renouvelable. Une étude est alors réalisée en 1998 avec un résultat sans équivoque : on peut produire 50 % de l’électricité de l’île avec du renouvelable et faire par la même occasion 350 000 F d’économie par an (économie de fioul). EDF ne fait rien. Les élus insistent. Une nouvelle étude est réalisée. Plus complète, elle arrive à un résultat encore plus flagrant : on peut produire 75 % avec du renouvelable. EDF engage alors « une action de grande envergure » : le changement de quelques ampoules !

Les nouveaux élus de 2008 ne sont pas convaincus. Et ils commencent à se dire qu’il faudrait installer eux-mêmes, avec les habitants, du renouvelable. La réponse d’EDF est claire : c’est impossible.

Finalement, les élus décident à l’unanimité de lancer un projet local en juillet 2012. La population se mobilise, crée une société locale dès juillet 2013 avec une gouvernance locale et remporte une exceptionnelle adhésion : plus de 25 % de la population est actionnaire !

Aujourd’hui, un projet techniquement et eacute;conomiquement fiable est prêt. Ce projet est soutenu par des Députés locaux, la Région Bretagne (qui a décidé de mettre l’énergie dans les îles au premier rang de ses priorités !)…Ce projet est aussi reconnu par la recherche, l’enseignement supérieur et des industriels, prêts à participer à sa mise en œuvre et à réaliser des expérimentations et des innovations. Il permettrait de plus de diminuer les taxes que paye chaque consommateur d’électricité en France et qui sont utilisées par EDF pour bruler du fioul (27% de la CSPE).

Le blocage que l’entreprise EDF opère sur l’île de Sein est constaté sur toutes les petites îles (voir le cas de Saint-Pierre et Miquelon où EDF, privilégiant le fioul, bien que plus cher, en dehors de toute justification technique, a entrainé la démolition des éoliennes installées depuis 2000)

Un amendement conforme à vos convictions, mais rejeté… Nous vous avons à plusieurs reprises entendue dire que « les îles sont des territoires d’innovation », « il faut favoriser les projets participatifs et l’implication des citoyens », « l’implication est nécessaire pour la réussite de la transition », « réduire les énergies carbonées », « réduire les taxes », « expérimentation », «rôle des collectivités territoriales » etc. En totale contradiction, vous balayez une initiative locale répondant à l’ensemble de ces critères. Qui plus est, l’expérimentation proposée par cet amendement ne comporte strictement aucun risque technique supplémentaire et ne peut qu’entrainer des économies financières.

Pour rejeter cet amendement, votre premier argument est qu’EDF n’a aucune rentabilité dans ces petites ZNI. Nous pensons au contraire que c’est parce que la société EDF a beaucoup trop à perdre dans cette affaire que vos conseillers vous ont transmis ces arguments. Et d’ailleurs, si comme vous le dites, Sein était une charge pour l’entreprise EDF, ne serait-elle pas heureuse de s’en débarrasser ?

Votre deuxième argument est que personne d’autre qu’EDF ne souhaite intervenir sur ces petites ZNI. Le minimum que l’on pourrait attendre d’une Ministre serait au moins qu’elle respecte les petites sociétés et les populations qui se bagarrent pour défendre leur territoire et l’intérêt général depuis de nombreuses années, à Sein et ailleurs. Qu’elle respecte les collectivités locales comme les Régions qui soutiennent ce type de projet. Sans compter que nous avons rencontré votre cabinet et que vous avez reçu notre dossier au moins à deux reprises. En l’occultant ainsi, vous affichez votre mépris pour les habitants de Sein et leur initiative.

Quant à la rapporteure Madame Bareigts qui émet un avis défavorable de la commission, bien que la commission n’ait pas émis d’avis, elle oppose un argument totalement surréaliste comme quoi cela casserait la péréquation tarifaire. C’est vrai qu’après une journée et une nuit complète, à 6h14, on peut être fatigué. Nous avions pourtant été auditionnés par Madame Bareigts… Les iliens seraient-ils assez stupides pour demander la fin de la CSPE ? Bien évidemment non ! Il n’a jamais été préconisé de supprimer la péréquation, il est juste proposé de passer par une autre structure qu’EDF, cette entreprise gérant aujourd’hui la CSPE selon ses volontés et sans aucun contrôle, au détriment de l’intérêt général.

Madame la Ministre, permettez-nous de vous dire que votre décision entraine un grand gâchis pour notre petite île mais aussi pour la France :

► La CSPE va continuer à augmenter car, en soutenant l’entreprise EDF, vous soutenez le fioul pour de nombreuses années, fioul qui augmentera inéluctablement ;

► Vous découragez des habitants motivés pour engager la transition énergétique et découragez par avance beaucoup d’autres groupes de personnes et collectivités qui aimeraient s’investir ;

► Vous faites perdre encore de nombreuses années à des industriels français, en particulier dans le domaine des énergies marines et des smart grid qui attendaient cette loi pour pouvoir enfin installer leur prototype à Sein. Devront-ils attendre la prochaine loi dans dix ans ?

► Vous laissez mourir à petit feu notre île pour qui la transition énergétique était une occasion unique de développement local et territorial, et ce, sans demander de nouvelles
subventions à la collectivité nationale.

► Vous laissez passer une belle occasion pour la France d’avoir un projet exemplaire sur un site idéal pour l’innovation et qui pourrait servir à terme à l’ensemble du territoire national et des ZNI .

Madame la Ministre, si vous voulez être mise au courant, au lieu de vous adresser à EDF, adressez-vous à IDSE.

 

IDS Energies

Le 17 octobre 2014

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Temb

Encore un exemple de ce qu’est devenu EDF en France : le frein à l’innovation et au progrès… En espérant que le nouveau patron soit un peu moins arriéré que celui qui vient de partir!

Pastilleverte

Lîle de Sein pourrait effectivement utilement utiliser le générateur déjà présent pour palier l’intermittence des enr qui pourraient y être développées, éolien voire hydrolien. Question : prix de revient de cette éléetricité pour un si peti volume d’habitants (désolé les iliens, rien de personnel juste une constatation) Autrement dit, la solution la plus économique, à défaut de la plus “écologqiue” serait le maintien des générateurs à fioul, et pourqoi pas des “agrocarurants” ?

Ilien

A Pastille verte : pas désolé bien au contraire. La réponse sur le coût de revient actuel montre la faisabilité du renouvelable sur cette petite île. Avec le fioul, le kWh doit coûter au moins 50 centimes. Quelques soit le moyen de production renouvelable installé, cela laisse beaucoup de marge ! Ce sera entre 2 à 5 fois moins cher. Même si tout les kWh ne seront peut être pas utilisé, ce doit être possible.

Bachoubouzouc

On a déjà parlé de cette ile : EDF est en train de monter un projet, mais pendant ce temps là sur cette ile une bande d’excités gueule dans les médias sans rien proposer de concret. Comme d’habitude, c’est la guéguerre des irréductibles gaulois contre le grand méchant EDF SEI. Ce sont là des conneries insignifiantes, ça ne fait rien avancer, mais comme d’habitude les médias et les amateurs de théories du complot adore se bourrer le mou avec ce genre d’histoire.

Bilo

Commechacun le sait la péréquation finance les écarts de coûts de production entre la métropole et les ZNI notamment. Les Iliens sont fort reconnaissant de cette aide dont il peuvent aujourd’hui se passer. Mais peut être vaut il mieux maintenir certains territoires lointains dans la dépendance (energétique entre autres) que laisser une petite Ile montré la voie vers l’indépendance ne fut elle qu’energetique….

Stephsea

J’aurais pu écrire exactement cette lettre – en moins bien – et je me permets donc d’y adjoindre ma signature pleine et entière, de A à Z. Notez bien qu’il est rare que je n’ai pas quelques réserves. Là, je n’en ai aucune. Je suis d’accords avec l’intégralité de ce texte et dénonce d’une même voix les mêmes problèmes récurents, dont une partie au moins est imputable au monopole de EDF. Je ne parle pas de complot de la part de EDF car je n’en ai pas la preuve, mais je constate de mon coté un faisseau de présomptions assez lourdes en défaveur de EDF, y compris d’ailleurs les récentes révélations sur un certains nombre d’employés qui portent le même nom que certains hommes ou femmes politiques bien en vu. Bartolone, Dati, etc. Aucun lien me diront avec véhémence les pronukes de service ( ils sont tout le temps de service, infatigables!). Je dis que si. Une boite qui s’adonne à ces petits jeux ne peut pas d’un autre côté être blanche comme neige quand il s’agit de gérer ses intérêts, ses conflits d’intérêts en l’occurence. Nous savons aussi à quel point les lobbyistes sont puissants (faut il encore le prouver après les récentes révélation sur le tabac?) quand ils sont mandatés par des entreprises également puissantes, monopolistiques et historiques. Si quelques journalistes un peu aiguisés s’y emploient, nous sauront bientôt pourquoi cette députée à rendu un avis défavorable aussi peu crédible et bizarre. Le problème est de savoir si l’énergie n’est pas un domaine trop pointu pour être sujet à de vraies investigations à grand retentissement. Les affaires de fracturation ont fait la preuve que le domaine n’est pas fermé à l’attention du peuple. Mais les ENR et pire les EMR restent globalement des “animaux” très exotiques au yeux du citoyen moyen. Leur notorités est pour le moins chahutées, grâce justement à quelques “vendus” – prescriteurs d’opinion – qui ont pignon sur TV. On nous parle beaucoup plus de paysages – la blague – que des grandes manoeuvres des énergéticiens contre cette énergie renouvelable si dangereuse à leurs yeux. On ous parle aussi du renchérissement de cette énergie à cause de son caractère renouvelable. C’est sûre que l’énergie “normale” est toujours plus chère que l’énergie subventionnée (chut il ne faut pas le dire) dont une partie majeure des couts reste cachée sous forme de dette environnementale. Allez discuter paysage avec les actionnaires de la société “civile” des habitants de Sein qui souhaiterait s’affrranchir de la tutelle énergétique EDF. Ils savent de quoi ils parlent, eux, en matière de paysage! Il est clair que EDF ne pouvait pas laisser faire ce précédent. EDF devait reprendre le dossier, soit pour l’étouffer, soit pour imposer SA solution ENR, s’apercevant qu’elle est rentable, soit pire, pour imposer une solution qui prouverait finallement que les ENR sont impossibles, chères, polluantes, dangereuses, ingérables, imprévisibles… Et que le Nuke est globalement donc le SEULE solution viable, à peu de chose près, preuves à l’appui. Sein serrait alors un de ces élements de preuve! Mais continuons de croire que ces idées noires sont l’effet de notre paranoia. Action! Je signe et resigne ce papier pour tout ce qu’il dit, et je soutiens cette initiative technique et politique (dans le beau sens du terme). Je veux être actionnaire! Les iles, les villages, les communautés ont parfois de l’or énergétique autours d’eux, de l’or renouvelable… Qu’ils s’en emparent, le fassent fructifier, et le revendent, et revendent les solutions, et leur exemplarité. Il y a déjà quelques rares exemples dans le monde, il faut donc forcer la porte si elles se ferme, pousser. Il faut y aller! Ca finira par marcher.

Tech

je soutiens les habitants de Sein, car en fait de cette façon j’ouvre la possibilité à beaucoup d’autres zones ‘isolées’ de gagner leur indépendance énergétique. ce refus d’ EDF me fait penser au blocage des évolutions du minitel par quelques caciques de Transpac (très liés à France télécom!) et qui en voulant protéger leur réseau “bas débit” on gelé les évolutions du minitel qui aurait pu dévenir en le laissant évoluer, l’internet que l’on connait!!! habitants de l’ile de sein, faites appel au financement participatif via internet, vous aurez plus facilement les fonds qu’en passant par les politiques et de plus vous pourrez démontrer que votre solution fonctionne et vous débarasser des lobbyistes.