Printemps arabe, Fukushima, dettes des pays occidentaux, montée en puissance des gaz de schiste, prix record du pétrole : 2011 restera dans les annales.
Olivier Appert, président d’IFPEN, nous livre son analyse sur l’impact de ces événements sur les marchés énergétiques.
Quel bilan peut-on tirer de l’année 2011 ?
O. A. : Les évènements qui ont marqué 2011 vont modifier en profondeur la scène énergétique. Le risque géopolitique accru redonne corps au thème de la sécurité des approvisionnements, Fukushima pose la question de l’avenir du nucléaire, l’essor des gaz de schiste modifie la donne du marché gazier, etc.
Nous avons été par ailleurs confrontés à un troisième choc pétrolier rampant : le prix moyen du pétrole a dépassé largement le maximum atteint en 1980 lors du deuxième choc. La facture énergétique s’alourdit mais le poids du pétrole dans l’économie est plus faible, d’où un moindre impact sur l’économie.
La diversification géographique de nos approvisionnements en hydrocarbures et le développement de nouvelles formes d’énergie restent plus que jamais un impératif. La Chine l’a bien compris en investissant massivement dans les renouvelables (49G$ en 2010).
Comment se comportent les marchés pétroliers ?
O. A. : En janvier 2011, IFPEN avait pronostiqué un prix d’équilibre autour de 90$/b pour 2011. La hausse a été plus marquée. Deux raisons à cela : une croissance mondiale qui résiste aux crises des pays occidentaux et un contexte géopolitique qui a ajouté une prime de risque que l’on peut évaluer à 20 $/b.
Au-delà de ces événements conjoncturels, il convient de rappeler une tendance de fond qui impacte à la hausse le prix des hydrocarbures et plus généralement les matières premières. C’est bien entendu lié à l’augmentation de la population mondiale et à la croissance économique mondiale. Le pétrole subit, de plus, une hausse des coûts de production, une prime de tensions offre/demande et depuis 2011 une prime de risque.
La baisse de l’euro a-t-elle un impact ?
O. A. : Depuis 2010, la hausse du pétrole en $ expliquait, pour une large part, la hausse du prix des produits pétroliers en euro. En progressant dans le même temps, la monnaie européenne a permis, jusqu’en juillet 2011, de modérer cette hausse.
Ce n’est plus le cas depuis la crise d’août 2011 : L’euro s’est affaibli passant de 1,45 $ à moins de 1,3 $ début janvier. Dans le même temps le pétrole, coté en $, s’est maintenu à des niveaux élevés. La hausse du prix en $ se répercute ainsi davantage sur les prix en euros. La monnaie européenne ne joue plus son rôle d’amortisseur.
Quels pronostics pour 2012 ?
O. A. : Il est de plus en plus difficile d’élaborer des pronostics car les repères économiques et géopolitiques ont sauté. Mais une chose est sûre : en 2012, les prix du pétrole vont rester probablement élevés et fortement volatils.
Malgré une situation économique fragile, les incertitudes géopolitiques maintiendront une pression à la hausse :
– les tensions politiques en Libye, en Irak, en Syrie et au Yémen
– les conflits sociaux au Nigéria
– l’embargo décidé par l’Union européenne contre les importations de pétrole iranien.
L’Union européenne représente 25 % des exportations iraniennes. Deux questions se posent :
• L’embargo sera-t-il suivi par la Chine, le Japon, la Corée ou l’Inde qui représentent plus de 60 % des exportations iraniennes ?
S’ils ne suivent pas l’embargo, les exportations iraniennes se réorienteront vers ces pays, au prix vraisemblable d’un rabais. S’ils suivent l’embargo, certains pays producteurs, dont l’Arabie Saoudite, pourraient compenser la perte des exportations iraniennes en augmentant leur production. Mais ceci conduirait à une baisse des marges de production (capacités disponibles moins production) qui pèserait à la hausse sur les marchés.
• La menace brandie par les autorités iraniennes d’un blocage du détroit d’Ormuz sera-t-elle suivie d’effet ?
Cela aurait un impact majeur : par ce détroit transite, en effet, 20 % de la consommation mondiale de pétrole. En tout état de cause, si on exclut ce scénario extrême, on peut s’attendre à des effets psychologiques sur le marché, même si les effets réels seront maîtrisables.
Dans ce contexte, IFPEN parie sur un scénario central autour de 110 $. Il est basé sur une remise en cause minime de la croissance mondiale et sur l’absence de dérive au niveau géopolitique. Des variations à la hausse ne sont pas à exclure dans un contexte géopolitique plus dégradé.
Quelle est la situation du raffinage ?
O. A. : Selon l’analyse d’IFPEN, il y a quatre grandes tendances :
– Dans les 20 prochaines années, l’Europe et l’Amérique du Nord vont connaître une réduction des capacités de raffinage; C’est la conséquence d’une réduction de la consommation de produits pétroliers, compte tenu des nouvelles réglementations en matière de consommation des véhicules neufs et d’incorporation de biocarburants. La question du maintien en activité des raffineries les moins performantes se pose donc.
– La situation européenne reste marquée par des excédents d’essence en partie exportés sur le marché américain et par une dépendance extérieure au gazole.
– Deux contraintes vont également peser en Europe : l’évolution des normes soufre des fiouls de soute et la contrainte CO2 sur les raffineries.
– Les investissements continuent d’augmenter mais se concentrent en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du sud. L’activité se déplace, avec la hausse de la consommation, dans les grands pays émergents ou producteurs de brut.
A-t-on fait des découvertes d’hydrocarbures en 2011 ?
O. A. : Les investissements dans le domaine de l’exploration sont restés élevés. Les découvertes d’hydrocarbures ont donc été nombreuses. Parmi elles :
– En Mer du Nord, la découverte d’Avaldsnes – Aldous ouvre la voie à de nouvelles perspectives sur une zone considérée comme mature.
– En Guyane française, où l’exploration ne fait que commencer, la découverte de Zaedyus pourrait signaler la naissance d’une nouvelle province pétrolière
– En Angola, une découverte vient d’être faite dans les formations infra salifères, ce qui confirme le potentiel dans le Golfe de Guinée de cibles du type de celles déjà développées au Brésil
– L’activité intense dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels s’est poursuivie : shale oil aux USA, shale gas en Argentine, Pologne ou Chine.
Toutes ces découvertes sont susceptibles de réduire les tensions sur les marchés à moyen terme.
Et le marché gazier ?
O. A. : En Europe, les contrats long terme atteignent des niveaux records liés à l’envolée des cours du pétrole : autour de 12 $/MBtu contre 9 en 2010. Les prix spots anglais sont également en forte hausse : ils ont atteint 9 $/Mbtu, sous l’effet principal de la hausse du prix du charbon.
La demande galopante du marché asiatique, et en particulier du Japon suite à la catastrophe de Fukushima, a tiré à la hausse les prix du GNL. Le marché mondial du GNL devrait continuer d’être sous pression en 2012.
Il convient également de souligner le risque géopolitique, lié au conflit en Iran, susceptible de peser sur le marché gazier. Le Qatar représente, en effet, un quart du commerce mondial de GNL.
Sur le marché américain, les prix sont en baisse par rapport à 2010, compte tenu du développement des gaz non conventionnels.
Le ralentissement probable du développement du nucléaire va tout particulièrement bénéficier au gaz naturel. D’après le Scénario "Nouvelles Politiques" présenté par l’Agence internationale de l’énergie dans son WEO2011, la part du gaz dans le mix énergétique mondial passe de 21% en 2009 à 23% en 2035, rejoignant ainsi celle du charbon.
Quelles perspectives pour les gaz non conventionnels ?
O. A. : En Amérique du Nord, le développement des gaz non-conventionnels (gaz de schiste, gaz de houille) a encore fortement progressé en 2011. Ils représentent 30 % de la production américaine.
L’Argentine, la Chine, le Canada, et l’Australie ont également commencé à produire des gaz non-conventionnels. Et l’exploration est en cours dans de nombreux autres pays, en particulier en Pologne, où les ressources seraient considérables.
Les gaz non-conventionnels sont donc amenés à jouer un rôle croissant dans l’offre gazière mondiale, à condition, toutefois de pouvoir être exploités dans des conditions environnementales acceptables.
• L’Iran produit quelque 3,5 millions de barils par jour et 500 000 b/j de condensats et exporte environ 2,6 Mb/j, dont 50 000 b/j sous forme de produits raffinés.
• l’Union Européenne a importé quelque 0,6 Mb/j de pétrole et condensats iraniens au 3ème trimestre 2011.
• La Chine est, de loin, le principal client en brut de l’Iran avec des importations de 543 000 b/j au premier semestre 2011, selon l’Energy Information Administration américaine. Viennent ensuite l’Inde (341 000 b/j), le Japon (251 000 b/j) et l’Italie (249 000 b/j).
Le détroit d’Ormuz : par ce détroit transite 35 % du commerce international et 20 % de la consommation mondiale. 17 Mb/j en 2011, contre 15.5-16.0 Mb/j en 2009-2010. Compensations possibles en cas de blocage par l’Iran :
• Arabie Saoudite: petroline 5 mb/j
• Abqaiq-Yanbu natural gas liquids pipeline 0,3 mb/j
• Iraq-Turkey pipeline volumes limités
• Emirats Arabes Unis Pipeline 1,5 Mb/j (mise en production en 2012).