Choc

Ces chocs, et notamment le premier, nous ont surpris. On nous a conseillé de mettre un pull-over pour baisser nos thermostats, et la première réglementation thermique pour nos logements est née de ce coup de tonnerre dans un ciel que nous pensions rester éternellement bleu. Les deux chocs étaient liés à des conflits armés, à des affaires de géopolitique. Une fois les crises, ou leurs paroxysmes, passés, les choses redevenaient normales. Le contre-choc venait montrer que ce n’était somme toute qu’un mauvais moment à passer, et qu’il valait mieux gonfler ses réserves pour tenir les quelques semaines sensibles, plutôt que de changer nos habitudes. Les chocs sont conjoncturels, dit-on dans les milieux informés, et non structurels. Ils ne changent rien en profondeur. Ceux qui ont cru devoir changer, investir dans de nouvelles technologies comme les maisons solaires, en ont été pour leurs frais. Finalement, les intérêts des grands pays producteurs et de leurs principaux clients sont liés, on finit toujours par trouver un arrangement, après quelques parties de bras de fer et autres prises d’otages. C’est une manière un peu brutale de négocier[1], mais on ne peut pas toujours l’éviter. On finit par trouver un arrangement, car le problème n’est pas physique, il ne s’agit pas de la disponibilité matérielle de la ressource, mais de conflits d’intérêts et de décisions humaines.

C’est pour cette raison que le mot choc peut être trompeur. Le phénomène que nous connaissons aujourd’hui n’est pas de même nature. Il y a bien sûr toujours des questions d’intérêt, et le jeu des acteurs reste important, mais le contexte est radicalement différent. Nous étions sur un fond d’abondance[2], nous sommes aujourd’hui dans un climat de pénurie, avec une demande en forte croissance du fait de l’arrivée dans la société de consommation de quelques milliards de Chinois et d’Indiens, et de bien d’autres populations qui vivaient jusque là dans un état d’extrême pauvreté. Un choc n’est que momentané, il laisse des traces mais finit par se résorber. Si l’on associe les mots choc et conjoncturel, alors il faut trouver un autre terme pour décrire l’envolée actuelle du cours du pétrole. Il y aura peut-être, du fait des phénomènes spéculatifs et des conflits, des mouvements de yo-yo, mais la tendance de fond semble irréversible.

Pourtant, les tensions[3] auxquelles nous sommes soumis provoquent des réactions parfois bien utiles. Nous avons vu que les réglementations thermiques sont nées en réponse au premiers choc pétrolier, et les industriels ont mis sur le marché des matériels plus sobres. L’effort n’a pas été trop long, il n’a pas fallu aller chercher dans les réserves pour se sortir d’affaire. Aujourd’hui, ce sera plus long, plus compliqué. Il faut des remises en cause plus profondes, et on parle de ruptures technologiques. Des énergies de substitution montent en puissance, et une recherche exigeante d’économies a remplacé la chasse au Gaspi, amorce sympathique d’une politique de sagesse énergétique. Mais curieusement, ce n’est pas la disponibilité de l’énergie qui est le point dur. L’envolée des prix de l’énergie est une aubaine, car elle provoque et amplifie une baisse de la consommation partout où elle est possible. Le vrai problème n’est pas dans la ressource, qui reste abondante pour quelques temps, mais dans la conséquence de sa consommation, les rejets, et l’effet de serre qui en découle. Ce sont eux, les rejets, qui devraient être très cher payés, car ils coutent très cher à la société, et couteront de plus en plus cher au cours de ce siècle. Comme nous avons encore du mal à faire payer pour les rejets, il faut se féliciter de la crise sur la ressource qui conduit à la sagesse. Faute de disposer des instruments de l’économie de demain, réjouissons-nous d’une conjoncture qui permet aux instruments d’hier de rendre encore service. N’oublions pas que le carbone est encore abondant à la surface de la planète, celui qui est stocké sous forme de charbon, facile à extraire, ou sous d’autres formes qui exigeront des prouesses d’ingénieur pour le rendre accessible[4]. Il faut quelques années pour retrouver un équilibre, car les capacités de traitement de ces ressources, pour les rendre comestibles pour nos voitures et nos chauffages, ne sont pas prêtes, mais c’est une question de quelques années. L’épreuve est plus longue que lors des chocs pétroliers, mais on peut s’en sortir !

Un tel raisonnement serait catastrophique, il ne tiendrait pas compte du vrai facteur limitant, qui n’est pas le pétrole mais le produit de sa combustion. La vraie réponse, au-delà des chocs pétroliers passés, présent et à venir, est de se passer de carbone. C’est un nouveau monde à créer, avec des transitions qui seront souvent dures pour certains, qu’il faudra aider sans pour autant faire durer des situations désespérées et sans avenir.

Il faut trouver de nouvelles manières de satisfaire nos besoins, et si les crises pétrolières nous y conduisent, vive la crise !

Notes :

[1] Négociation, chronique du 18/09/2006 et n°45 dans Coup de shampoing sur le développement durable, Ibispress, 2007
[2] Abondance, chronique du 19/03/2007
[3] Tension, chronique du 08/03/2007
[4] Voir sur ce sujet l’ouvrage d’Henri Prévot, au titre provocateur Trop de pétrole ! : Energie fossile et réchauffement climatique, Seuil, janvier 2007

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Dominique Bidou

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