Grâce au rover Perseverance, des scientifiques ont pour la première fois détecté des décharges électriques sur Mars, comme le rapporte une étude parue dans Nature le 26 novembre. L’analyse de 28 heures de son a permis d’isoler 55 événements électriques, presque tous survenus durant les périodes de vents les plus intenses, ce qui confirme l’importance du vent dans ce processus. L’étude précise que l’activité des « dust devils », très variable, pourrait être 20 fois plus fréquente dans d’autres régions de la planète.
Les tempêtes de poussière balayant la surface de Mars ne constituent pas de simples événements météorologiques ; elles agiraient comme un moteur chimique d’une puissance insoupçonnée. Une étude antérieure menée par l’Université Washington de Saint-Louis, mettait en lumière le rôle non négligeable des décharges électriques au cœur des tourbillons dans le cycle du chlore sur la planète rouge. En reproduisant les conditions martiennes en laboratoire, les chercheurs avaient réussi à quantifier l’impact global du phénomène, offrant une explication inédite aux fortes concentrations de perchlorates dans le sol et de gaz chlorés dans l’atmosphère.
Une lueur invisible aux effets tangibles
Si les télescopes terrestres capturent aisément l’ampleur des tempêtes de poussière, un processus plus subtil échappe aux observations directes. Lorsque les particules entrent en collision, elles génèrent de l’électricité statique, un phénomène de tribo-électrification bien connu sur Terre. Toutefois, l’atmosphère martienne, en raison de sa faible densité, ne produit probablement pas d’éclairs spectaculaires. Alian Wang, professeure de recherche en sciences de la Terre et des planètes à l’Université Washington, décrit une manifestation visuelle différente : « Cela pourrait ressembler un peu aux aurores des régions polaires sur Terre, où des électrons énergétiques entrent en collision avec des espèces atmosphériques diluées. »

La particularité réside ici dans l’efficacité du processus. La ténuité de l’enveloppe gazeuse de Mars favorise la rupture des champs électriques. Comme le souligne Alian Wang, « la fine atmosphère de Mars rend beaucoup plus facile la rupture des champs électriques accumulés sous forme de décharge électrostatique. En fait, c’est cent fois plus facile sur Mars que sur Terre. »
Une telle facilité de décharge transforme les tempêtes en de véritables réacteurs chimiques à ciel ouvert, invisibles mais omniprésents.
Simulation d’un réacteur planétaire
Face à la difficulté d’observer les réactions in situ, l’équipe scientifique a opté pour une reconstitution en laboratoire. Grâce à la chambre de simulation planétaire PEACh (Planetary Environment and Analysis Chamber), les sels de chlorure ont été soumis à des décharges électriques dans des conditions imitant l’environnement de Mars. Les résultats, révèlent une transformation radicale de la matière : l’électricité décompose les sels de surface, libérant du chlore gazeux et générant de nouveaux composés.

Kevin Olsen, chercheur à l’Open University au Royaume-Uni et co-auteur de l’article, insiste sur la pertinence des résultats pour comprendre l’atmosphère actuelle : « Le taux élevé de libération de chlore à partir de chlorures courants révélé par cette étude indique une voie prometteuse pour convertir les chlorures de surface en phases gazeuses que nous voyons maintenant dans l’atmosphère. »
La corrélation avec les observations orbitales est frappante. Kevin Olsen ajoute que « ces découvertes soutiennent l’idée que les activités de poussière martienne peuvent entraîner un cycle global du chlore. Avec l’ExoMars Trace Gas Orbiter, nous voyons une activité saisonnière répétée qui coïncide avec les tempêtes de poussière mondiales et régionales. »
Un rendement chimique à l’échelle géologique
L’aspect le plus saisissant de l’étude concerne l’ampleur des réactions chimiques engendrées. Contrairement à des processus géologiques lents, la chimie électrique opère avec une rapidité sans nom. Les simulations ont montré qu’en quelques heures, un pourcentage significatif des molécules de chlorure se décompose. « Les vitesses de réaction sont énormes », précise Alian Wang, avant d’ajouter qu’il « est important de noter que le chlore libéré dans un processus de décharge électrostatique de force moyenne et de courte durée se situe à un niveau de pourcentage. »
Les implications temporelles seraient pour le moins incroyables. Les modèles mathématiques élaborés par l’équipe suggèrent que les concentrations de produits chimiques observées dans le sol martien ont pu être accumulées par le seul biais des tempêtes durant la moitié de la période amazonienne, soit les trois derniers milliards d’années.
Le scénario offre une explication autosuffisante à la composition chimique actuelle de la surface, sans nécessiter d’hypothèses plus complexes. Alian Wang conclut avec assurance : « Aucun autre processus que nous connaissons ne peut faire cela, surtout avec un rendement quantitativement aussi élevé de libération de chlore. »
La compréhension de la planète rouge s’en trouve bouleversée. Mars n’est finalement pas un monde figé, mais un environnement où la poussière et l’électricité remodèlent en permanence la surface.
Article : « Detection of triboelectric discharges during dust events on Mars » – DOI : 10.1038/s41586-025-09736-y
Article : « Quantification of Carbonates, Oxychlorines, and Chlorine Generated by Heterogeneous Electrochemistry Induced by Martian Dust Activity » – DOI : 10.1029/2022GL102127
Sources : WashU | Nasa | UCSC Planetary Science











