L’entreprise européenne Gauss Fusion a dévoilé une cartographie inédite identifiant près de 900 sites potentiels pour l’implantation de la première centrale électrique à fusion du continent. Cette étude, qui place la France en excellente position avec 161 localisations possibles, marque une étape décisive dans la transition de cette technologie du laboratoire à l’application industrielle.
Le rêve d’une énergie propre, quasi illimitée et sûre, inspirée du fonctionnement des étoiles, quitte peu à peu le domaine de la physique fondamentale pour entrer dans celui de l’ingénierie et de l’aménagement du territoire. C’est le sens de l’étude de grande ampleur menée par Gauss Fusion, en collaboration avec l’Université Technique de Munich (TUM). En scrutant neuf pays européens, les chercheurs ont dressé un inventaire précis des lieux les plus à même d’accueillir une centrale à fusion, transformant une ambition lointaine en un projet aux contours géographiques de plus en plus nets.
La fusion, l’énergie des étoiles à portée de main ?
Avant d’envisager son déploiement, il convient de rappeler ce qui distingue la fusion de la fission nucléaire, sur laquelle reposent nos centrales actuelles. La fission consiste à casser des noyaux d’atomes lourds (comme l’uranium) pour libérer de l’énergie, un processus qui génère des déchets radioactifs à très longue durée de vie. La fusion, au contraire, vise à faire fusionner deux noyaux atomiques légers, généralement des isotopes de l’hydrogène comme le deutérium et le tritium, pour former un noyau plus lourd (hélium). Ce processus, identique à celui qui se produit au cœur du Soleil, libère une quantité d’énergie colossale.
Les avantages théoriques sont immenses : le combustible est abondant (le deutérium se trouve dans l’eau de mer), le processus ne produit pas de gaz à effet de serre ni de déchets radioactifs de haute activité à vie longue, et le risque d’accident de type emballement est physiquement impossible. Le défi, cependant, reste immense : il faut chauffer la matière à des températures extrêmes, plus de 150 millions de degrés Celsius, et la confiner dans un champ magnétique pour qu’elle ne touche aucune paroi. C’est l’objet de recherches mondiales, incarnées notamment par le projet international ITER, en construction à Cadarache, dans le sud de la France.
Une cartographie stratégique pour l’Europe industrielle
L’initiative de Gauss Fusion se place dans une logique de concrétisation. L’étude ne s’est pas contentée de chercher des terrains vagues, mais a appliqué une grille d’analyse rigoureuse pour identifier les écosystèmes les plus favorables. Plusieurs critères techniques, environnementaux et infrastructurels ont été passés au crible :
- La connectivité au réseau électrique : Une centrale, quelle qu’elle soit, doit pouvoir injecter sa production dans le réseau à haute tension existant. La proximité d’infrastructures robustes est donc un prérequis.
- L’accès à des sources de refroidissement : Comme toute installation thermique, une centrale à fusion génère une chaleur intense qui doit être évacuée, nécessitant un accès à d’importantes quantités d’eau (fleuve, mer).
- Le potentiel de valorisation de la chaleur : Au-delà de l’électricité, la chaleur fatale produite pourrait être utilisée pour des procédés industriels ou des réseaux de chauffage urbain, améliorant le rendement global du site.
- La réutilisation d’infrastructures existantes : Les anciens sites de centrales (charbon, nucléaire) sont des candidats de choix, car ils disposent déjà de nombreuses connexions et d’un environnement habitué à une activité énergétique.

Cette approche pragmatique vise à ancrer la future filière dans le réel. « Les futures centrales à fusion ne devraient pas exister de manière isolée, mais s’intégrer dans le tissu industriel européen existant. Cette étude nous rapproche un peu plus de cet avenir, en démontrant que les infrastructures, l’industrie et les réseaux énergétiques nécessaires pour faire de la fusion une source d’énergie pratique, évolutive et souveraine existent déjà à travers l’Europe », souligne Milena Roveda, PDG de Gauss Fusion.
La France, terre d’accueil privilégiée ?
Avec 161 sites répartis en 14 « clusters » (pôles géographiques), la France figure parmi les pays au plus fort potentiel. L’étude met en évidence des zones denses entre Paris et Verdun, ainsi qu’un axe majeur entre Marseille et Privas. Le cas de l’ancienne centrale nucléaire de Fessenheim est explicitement mentionné comme un site en cours d’évaluation pour une reconversion, capitalisant sur son histoire industrielle et ses infrastructures. La proximité de zones industrielles à forte demande de chaleur et la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de l’énergie sont des atouts majeurs pour l’Hexagone.
La présence du projet ITER confère déjà à la France une place centrale dans la recherche mondiale sur la fusion. L’identification de ces nombreux sites potentiels pour une centrale de production renforce cette position et pourrait faire du pays un leader non seulement de la recherche, mais aussi du déploiement commercial de cette technologie d’avenir.
Du plan à la réalité : un calendrier ambitieux
Cette cartographie n’est qu’une première étape. Gauss Fusion va désormais engager des discussions avec les gouvernements, les régulateurs et les partenaires industriels des pays concernés. Le choix final du site qui accueillera le premier réacteur de l’entreprise est attendu pour la fin de l’année 2027. « Cette étude marque la transition entre la conception et la mise en œuvre. Elle a fourni à Gauss Fusion une méthodologie robuste et une base de données géospatiale permettant d’évaluer systématiquement les sites de fusion potentiels à travers l’Europe », explique Frédérick Bordry, directeur technique de l’entreprise.
Si l’Allemagne arrive en tête en nombre de sites (257), la répartition européenne témoigne d’un potentiel largement partagé. Gauss Fusion précise qu’il est plus pertinent de raisonner en termes de clusters qu’en nombre de sites bruts, certains étant très proches les uns des autres.
- Allemagne : 53 clusters, 257 sites
- Italie : 22 clusters, 196 sites
- Espagne : 17 clusters, 116 sites
- République Tchèque : 6 clusters, 38 sites
- Autriche : 7 clusters, 24 sites
- Pays-Bas : 7 clusters, 21 sites
- Suisse : 7 clusters, 20 sites
- Danemark : 5 clusters, 13 sites
Bien que la route vers la production d’électricité par fusion soit encore longue et semée d’embûches technologiques, cette initiative illustre une accélération notable. La course à l’énergie du futur ne se joue plus seulement dans les équations des physiciens, mais aussi, désormais, sur les cartes des ingénieurs et des aménageurs.
Source : Gauss Fusion











